Citations de Paul Éluard (1675)
Jours de lenteur, jours de pluie,
Jours de miroirs brisés et d’aiguilles perdues,
Jours de paupières closes à l’horizon des mers,
D’heures toutes semblables, jours de captivité,
Mon esprit qui brillait encore sur les feuilles
Et les fleurs, mon esprit est nu comme l’amour,
L’aurore qu’il oublie lui fait baisser la tête
Et contempler son corps obéissant et vain.
Pourtant j’ai vu les plus beaux yeux du monde,
Dieux d’argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains,
De véritables dieux, des oiseaux dans la terre
Et dans l’eau, je les ai vus.
Leurs ailes sont les miennes, rien n’existe
Que leur vol qui secoue ma misère,
Leur vol d’étoile et de lumière
Leur vol de terre, leur vol de pierre
Sur les flots de leurs ailes,
Ma pensée soutenue par la vie et la mort.
Sourire aux visiteurs
Qui sortent de leur cachette
Quand elle sort elle dort.
Chaque jour plus matinale
Chaque saison plus nue
Plus fraîche
Pour suivre ses regards
Elle se balance.
Dans l’amour la vie a encore
L’eau pure de ses yeux d’enfant
Sa bouche est encore une fleur
Qui s’ouvre sans savoir comment
Dans l’amour la vie a encore
Ses mains agrippantes d’enfant
Ses pieds partent de la lumière
Et ils s’en vont vers la lumière
Dans l’amour la vie a toujours
Un cœur léger et renaissant
Rien n’y pourra jamais finir
Demain s’y allège d’hier.
La terre est bleue comme une orange
Les femmes et les enfants ont le même trésor de feuilles vertes, de printemps, de lait pur et de durée dans leurs yeux purs.
Qui de nous deux inventa l’autre ?
Au défaut du silence (1925)
Tu te lèves l'eau se déplie
Tu te couches l'eau s'épanouit
Tu es l'eau détournée de ses abîmes
Tu es la terre qui prend racine
Et sur laquelle tout s'établit
Tu fais des bulles de silence dans le désert des mots
Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de l'arc-en-ciel
Tu es partout tu abolis toutes les routes
Tu sacrifies le temps
A l'éternelle jeunesse de la flamme exacte
Qui voile la nature en la reproduisant
Femme tu mets au monde un corps toujours pareil
Le tien
Tu es la ressemblance.
(" Facile")
Allongé sur le lit le soleil me fait grâce
Je garde la tendresse de la nuit.
Le contact sans fin de la nuit
Dans les îles chaudes du coeur
Je parle d'un temps délivré
Des fossoyeurs de la raison
Je parle de la liberté
Qui finira par nous convaincre
Nul n'aura peur du lendemain
L'espoir ne fait pas de poussière
Rien ne sera jamais en vain
Mon amour nous dormions ensemble
Et nous avons ri au matin
Ensemble tout le temps qu'il nous fallait pour vivre
Toute une éternité
Et plus je te voyais vivre à côté de moi
Plus je te confondais avec l'aube et l'été
Dormir profond rêver plus haut
Et s'éveiller l'un bien à l'autre
Telle est la loi de l'innocence
Et vivre plus haut que nos rêves
Être pareils par la confiance
Tel a été notre plaisir
Dans un monde toujours trop jeune d'un instant
Pouvions-nous donc prévoir l'hiver ou notre mort
Croire au fossile avant la fin du grand printemps
Raison nous étions deux à t'incarner légère
Comme une joue sous la rougeur du feu premier
Raison nous étions libres nous avons vaincu.
Pour me trouver des raisons de vivre, j'ai tenté de détruire mes raisons de t"aimer. Pour me trouver des raisons de t'aimer, j'ai mal vécu.
Toi qui fus de ma chair la conscience sensible
Toi que j’aime à jamais toi qui m’as inventé
Tu ne supportais pas l’oppression ni l’injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre
Tu rêvais d’être libre et je te continue.
Chargée
De fruits légers aux lèvres
Parée
De mille fleurs variées
Glorieuse
Dans les bras du soleil
Heureuse
D'un oiseau familier
Ravie
D'une goutte de pluie
Plus belle
Que le ciel du matin
Fidèle
Je parle d'un jardin
Je rêve
Mais j'aime justement.
Le papier, nuit blanche. Et les plages désertes des yeux du rêveur.
Le cœur tremble.
Paul Eluard, en exergue de Les Mains libres, avec les Dessins de Man Ray, Éd. Poésie/Gallimard, 1947, p. 9 (Première publication par les éditions Jeanne Bucher à Paris en 1937).
"Le vent
"Le vent fait battre ton coeur,
Chaque vague, chaque feuille
Change, voit clair et rayonne,
Les ailes ont quitté le corps ,
De la forêt l'arbre s'envole.
Il règne de la terre au ciel,
Il s'éclaircit, il prend des forces,
Il chante et peuple le désert ."
Même quand nous dormons nous veillons l'un sur l'autre
Et cet amour plus lourd que le fruit mûr d'un lac
Sans rire et sans pleurer dure depuis toujours
Un jour après un jour une nuit après nous
(" Le dur désir de durer")
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j’ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par delà l’attente
Par delà moi même
Et je ne sais plus tant je t’aime
Lequel de nous deux est absent.
Le lit la table.
Pour l’éclat du jour des bonheurs en l’air
Pour vivre aisément des goûts des couleurs
Pour se régaler des amours pour rire
Pour ouvrir les yeux au dernier instant
Elle a toutes les complaisances.
Elle avait dans la tranquillité de son corps
Une petite boule de neige couleur d’œil
Elle avait sur les épaules
Une tache de silence une tache de rose
Couvercle de son auréole
Ses mains et des arcs souples et chanteurs
Brisaient la lumière
Elle chantait les minutes sans s’endormir.
Elle ne sait pas tendre des pièges
Elle a les yeux sur sa beauté
Si simple si simple séduire
Et ce sont ses yeux qui l’enchaînent
Et c’est sur moi qu’elle s’appuie
Et c’est sur elle qu’elle jette
Le filet volant des caresses.