Pierre Rabhi

Que le temps et l’âge ne vous accablent pas, car ils vous préparent à d’autres naissances et dans vos jours amoindris, si votre vie fut juste,il naîtra de nouveaux songes heureux, pour ensemencer les siècles.

Lorsque vous immolez un animal, sachez que c’est la vie qui se donne à la vie et que rien ne soit dilapidé de ce don.

"Il semble que le mystère soit en fin de compte la seule vérité dont nous puissions vraiment témoigner sans risque d'erreur.
Et cet aveu d'ignorance n'est paradoxalement pas d'impuissance mais nous grandit parce qu'il est intelligence . "

bonjour tout le monde
Est ce qu'on peut considérer Parole de terre comme un roman?

Il est difficile de définir ce qui fait une destinée humaine.
Je vois mon propre itinéraire comme un chemin initiatique.

Partis de rien, nous sommes devenus des gens qui ont réussi à subsister sur un bout de terre presque inhospitalier. Et si nous avions à dire quelque chose, ce serait que notre malheureuse société n'est pas une fatalité, mais l'image pétrifiée de notre conscience.
Nous avons fait des choix générateurs d'injustice, de misère pour le grand nombre et de boulimie maladive pour une minorité. Il faudra faudra bien que nous changions ce désordre.
Le superflu est reconnaissable à se qu'il retourne contre vous en vous donnant l'illusion qu'il est à votre service. Le seuil idéal a pour limite la nécessité. Au-delà commence l'avidité des gens qui ont peur, en même temps que les troubles de toute nature.
Nous avons voulu ici témoigner pour la joie, car, malgré les appparences, elle existe, nous ne l'avons pas seulement rencontrée, elle habite les jours paisibles qui abritent notre patience. (page 285 fin du livre)

Lama Lhundroup :
Souvent, les gens se demandent : A quoi bon si finalement tout cela s'écroule ?
Pourquoi y aurait-il une éthique, une aspiration au bonheur pour soi et les autres, si les fins sont proches ?
Il semble que l'éthique fasse partie de notre nature.

Dans le Dharma, nous parlons de bonté fondamentale, qui est l'harmonie de la vie. Et c'est de là que vient l'éthique.

Père Holtoff :
Il y a beaucoup de gémissements actuellement. Deux me semblent importants : le gémissement des pauvres et, comme l'appelle saint Paul, le gémissement de la Création, asservie au pouvoir du néant.

Pierre Rabhi :
Je partage [note : entre autres, avec Aigle Bleu qui vient d'intervenir]
l'idée selon laquelle il faudra reconfigurer le système social dans l'avenir, surtout en ce qui concerne l'Occident. N'oublions pas que 70% de l'humanité sont des êtres humains analphabètes, paysans ne vivant que de la terre.

Le sort global de l'humanité est clivé entre d'un côté un système occidental reposant sur l'efficacité, la technologie, la combustion, etc. et d'un autre des communautés vivant dans la simplicité. Elles ne sont pas encombrées d'un fatras de choses qui demandent du temps pour être produites, qui enclenchent une logique de l'insatisfaction et aboutissent au pillage de la planète.

Sur le plan biologique, nous infligeons à la nature des souffrances, mais ce que nous ne percevons pas, c'est que nous les infligeons aussi à nous-mêmes.
Elles se retrouvent en nous-mêmes. Le développement des cancers est bien dû à nos transgressions. Ce qui retarde notre évolution, c'est que nous pensons dominer la nature. Et tant que nous resterons dans cette idée, nous continuerons à croire que la science pourra tout résoudre (...)
Revenons à la modestie : nous ne sommes pas là pour dominer la nature mais pour la comprendre, pour l'aimer et en prendre soin.

Aigle Bleu :
A court ou moyen terme, la situation va se transformer.

De plus en plus de personnes entrent dans une certaine conscience. Elles perçoivent que la voie dans laquelle nous nous sommes lancés est en échec, que nous avons perdu la fraternité et le partage, érigé la guerre comme moyen de contrôle de la population. Les gouvernements (...) prennent des décisions répressives, contraires à la vie.

Cette situation est appelée à changer beaucoup plus vite qu'on ne le pense. Le message que je reçois de mes aînés est un message d'espoir, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Père Holtoff :
Il y a deux moments : la distinction et l'unité. Dans la Genèse, durant les jours de la création, il y a toujours un soir et un matin, chacun ayant son importance.

Le soir, nous voyons les choses dans leur distinction, séparées de nous,
et le matin, nous les rapportons à leur Créateur, dans l'unité.

Lama Mingyour :
Du point de vue bouddhiste, il n'y a ni plan, ni Dieu créateur, pas de trajet déjà établi que l'on devrait suivre.
Par contre, nous trouvons dans ces enseignements l'idée de conditionnement et de liberté. Chacun de nous a les deux : du conditionnement, des choses répétitives qui l'emprisonnent, et un certain pourcentage de liberté.

A la question de savoir pourquoi l'humanité n'a pas tiré de leçons de ses erreurs passées, le Bouddha répond que l'origine de tous les problèmes est l'ego et la dualité.
Très concrètement, cela signifie que j'ai l'impression d'exister séparément de quelque chose d'autre. Dès l'instant où j'ai cette impression, je rentre dans une dynamique de désir - vouloir m'approprier ce qui me semble bon -, de haine - vouloir rejeter ce qui me semble mauvais -, et d'opacité mentale - ne pas vouloir entrer en relation quand je ne veux pas être dérangé.
C'est ce que nous appelons les trois poisons de l'esprit.

Dans notre société de surconsommation, le désir se développe à l'infini sans être jamais satisfait. L'homme cherche alors à contrôler le plus possible

Père Holtoff :
Pour tenter de comprendre l'évolution, je parlerai de la sagesse.
Dans la Bible, il y a une sagesse qui est la première créature de Dieu : c'est l'ensemble des êtres spirituels. Cette sagesse est co-créatrice : elle accompagne Dieu dans toutes ses œuvres. Dieu lui montre tout ce qu'il fait.

Pour la définir brièvement, cette sagesse est à la fois l'ordre du monde et celle qui inspire à l'homme tout ce qu'il doit faire. Elle n'a jamais manqué à l'homme et ne lui manquera jamais. Elle frappe à la porte de son cœur et s'il la demande, s'il lui est réceptif, elle vient à lui et éclaire ses actes.

Cette sagesse devrait nous donner une vision très optimiste pour l'avenir.

Les grand sages ont prônés le silence, espace merveilleux et confortable. Cultiver le silence, c'est se débarrasser de tout argument, de toute justification.

Nous avons aussi appris que la plus grande mutilation que l'on puisse faire l'homme, c'est de le priver de toute insécurité. L'insécurité nous a forcés à tirer de nous-mêmes des richesses que nous ne soupçonnions pas: créativité, imagination, résistance physique et psychique, victoires sur les privations de toutes sortes, les inconforts.

"Et ce n'est pas en se conformant aux lois de la nature qu'on va nourrir les milliards d'hommes qui crèvent de faim" Je dus ravaler ma déception, accepter que l'élan affectif qui me portait vers le naturel subisse quelques revers. Le poétique et le réel se fuyaient, me laissant perplexe dans l'espace créé par leur répulsion.

Les nantis peuvent en plus s'offrir de la bonne conscience comme on s'offre un vêtement de soie ou une pierre précieuse(...)C'est un luxe inverse.

Comment trouver l'apaisement au désir lancinant affranchi de la chair? Songe plus puissant que tous les réels. J'ai beaucoup de mal à mobiliser mon esprit pour faire des maths, de la géographie ou des sciences. Déjà à l'école primaire:"Une ménagère allait au marché avec son panier, elle a cent francs dans son portefeuille, elle achète des oeufs à tant l'oeuf, des légumes à tant le kilo, etc." Elle quitte sa maison entourée d'un jardinet fleuri, recommande à son joli et gentil chien d'être sage durant son absence. Elle porte une robe bleue dans le ciel et des souliers de satin vert, elle a une démarche légère. Le marché est plein de couleurs, de bruits agréables. Les marchands sont souriants derrière leur étal et crient:"Prenez, prenez ce qu'il vous faut, c'est pour rien" Ma ménagère est toute gracieuse...Une voix tonitruante au-dessus de moi "Rabhi, tu vas encore être en retard, comme d'habitude! Mais enfin, ce n'est pas bien compliqué! Si chaque oeuf coûte cinq francs et qu'elle en achète dix..."

La modération c’est ajuster l’indispensable et le nécessaire et réduire le superflu. Tant que nous ne réduirons pas le superflu, nous continuerons à être victimes de notre boulimie, car l’être humain est manipulé pour être insatiable. Un être humain qu’on installe dans l’idée qu’il n’a jamais assez, les gagneurs d’argent ne demandent que ça. Si l’être humain est satiable, c’est foutu pour lui.

Retourner à la terre c’était la façon à la fois de gagner sa vie et de se remettre dans le courant de la vie, la dynamique de la vie, qui n’est pas à la ville.