Lors de l'émission de LA GRANDE LIBRAIRIE du 1er mai 2024, Gersende, libraire à l'Esperluète de Chartres, nous parle de son livre "hors norme" : SOUVIENS-TOI DES MONSTRES de Jean-Luc A. d'Asciano.
"Lire ce roman, c'est faire l'expérience d'un grand texte de littérature. D'Asciano nous emmène dans une Italie fantastique où l'on va suivre la vie de Raphaël et Gabriel. Ce sont deux frères siamois, monstrueux, avec un don magique, celui de tordre la réalité par leur chant. On y trouve du Queneau, du Rabelais, du Dante, du Stevenson, Pirates des Caraïbes. Et puis une touche de Monty Python. C'est un des textes qui m'a le plus marquée, le plus emportée et il est resté gravé au fond de mon coeur."
Merci Gersende !
Pour la petite histoire, ce roman est peut-être le seul à avoir été mentionné deux fois dans la Grande librairie, dans la partie "A livre ouvert", où des libraires parlent des textes qui les ont marqués. Il avait déjà eu cet honneur en 2018, lors de sa publication : Delphine, de la librairie AB de Lunel l'avait encensé !
Mais quoi de plus normal pour ce classique instantané, que lectrices et lecteurs se transmettent comme un secret gourmand ? Pour la petite histoire, le roman est sans doute le roman le plus lu du catalogue des forges de Vulcain car, superbement traduit en espagnol, il a connu le succès dans de nombreux pays.
Et vous, l'avez-vous lu ? Vous laisserez-vous tenter par ce texte "hors norme" ?
#littérature #roman #siamois #fantastique #unique
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- Moi, déclara Zazie, je veux aller à l'école jusqu'à soixante-cinq ans. (...) Je veux être institutrice.
- Pourquoi que tu veux l'être, institutrice?
- Pour faire chier les mômes (...). Je serai vache comme tout avec eux. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses.
- Tu sais, dit Gabriel avec calme, d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension et la gentillesse. (...) D'ailleurs, dans vingt ans, y aura plus d'institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l'électronique, des trucs comme ça.
- Alors, déclara-t-elle, je serai astronaute pour aller faire chier les Martiens.
- Ça m'arrive souvent de ne penser à rien. C'est déjà mieux que de ne pas penser du tout.
La vie? " Un rien l'amène, un rien l'anime, un rien la mine, un rien l'emmène "
Un poème
Bien placés, bien choisis,
Quelques mots font une poésie
Les mots, il suffit qu'on les aime
Pour écrire un poème.
On sait pas toujours ce qu'on dit
Lorsque naît la poésie
Faut ensuite rechercher le thème
Pour intituler le poème
Mais d'autres fois, on pleure, on rit
En écrivant la poésie
Ça a toujours kèkchose d'extrême
Un poème
[...] ... - Pour faire chier les mômes," répondit Zazie. "Ceux qu'auront mon âge, dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, dans mille ans, toujours des gosses à emmerder.
- Eh bien," dit Gabriel.
- "Je serai vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. Parce que je porterai des bottes. En hiver. Hautes comme ça (geste). Avec de grands éperons pour leur larder la chair du derche.
- Tu sais," dit Gabriel avec calme, "d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens-là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension, la gentillesse. N'est-ce pas, Marceline, qu'on dit ça dans le journal ?
- Oui", répondit doucement Marceline. "Mais toi, Zazie, est-ce qu'on t'a brutalisée, à l'école ?
- Il aurait pas fallu voir.
- D'ailleurs," dit Gabriel, "dans vingt ans, y aura plus d'institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l'électronique, des trucs comme ça. C'était aussi écrit dans le journal l'autre jour. N'est-ce pas, Marceline ?
- Oui," répondit doucement Marceline.
Zazie envisagea cet avenir un instant.
- "Alors," déclara-t-elle, "je serai astronaute.
- Voilà," dit Gabriel approbativement. "Voilà, faut être de son temps.
- Oui," continua Zazie, "je serai astronaute pour aller faire chier les Martiens. ... [...]
Debout, Gabriel médita puis prononça ces mots:
- L'être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l'homme qu'à la fin il disparaît. Un taxi l'emmène, un métro l'emporte, la tour n'y prend garde, ni le Panthéon. Paris n'est qu'un songe, Gabriel n'est qu'un rêve (charmant), Zazie le songe d'un rêve (ou d'un cauchemar) et toute cette histoire le songe d'un songe, le rêve d'un rêve, à peine plus qu'un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh! Pardon). Là-bas, plus loin – un peu plus loin – que la place de la République, les tombes s'entassent de Parisiens qui furent, qui montèrent, qui descendirent des escaliers, allèrent et vinrent dans les rues et tant firent qu'à la fin ils disparurent. Un forceps les amena, un corbillard les remporte et la tour se rouille et le Panthéon se fendille plus vite que les os des morts trop présents ne dissolvent dans l'humus de la ville tout imprégnée de soucis.
Ballade en proverbes du vieux temps
Il faut de tout pour faire un monde
Il faut des vieillards tremblotants
Il faut des milliards de secondes
Il faut chaque chose en son temps
En mars il y a le printemps
Il est un mois où l'on moissonne
Il est un jour au bout de l'an
L'hiver arrive après l'automne
La pierre qui roule est sans mousse
Béliers tondus gèlent au vent
Entre les pavés l'herbe pousse
Que voilà de désagréments
Chaque arbre vêt son linceul blanc
Le soleil se traîne tout jaune
C'est la neige après le beau temps
L'hiver arrive après l'automne
Quand on est vieux on n'est plus jeune
On finit par perdre ses dents
Après avoir mangé on jeûne
Personne n'est jamais content
On regrette ses jouets d'enfant
On râle après le téléphone
On pleure comme un caïman
L'hiver arrive après l'automne
ENVOI
Prince ! tout ça c'est le chiendent
C'est encore pis si tu raisonnes
La mort t'a toujours au tournant
L'hiver arrive après l'automne
Je suis inculte parce que je n'en pratique aucun, et insecte parce que je me méfie de toutes.
Les mots il suffit qu’on les aime pour écrire un poème.
LE NEZ FIN
Prends un brin d’herbe et froisse-le
entre la pulpe de tes doigts
et tu sentiras parfois une odeur amère
et parfois celle du printemps
c’est peut-être de l’anis c’est peut-être de la menthe
c’est peut-être la plante
qui fait rêver à tous les parfums de l’Arabie
à la cannelle au gingembre à l’ilang-ilang
au poil de l’âne qui fait hihan hihan
à la roche rôtie à la pierre panée
à la route rouillée à la boue piétinée
à l’eau
à rien