Citations de Roger Nimier (128)
On restait en vie parce qu'on n'avait pas toujours un revolver ou la Seine sous la main. Le moindre délai était fatal : une voix optimiste et bêlante se faisait entendre. On prenait patience.
Elle consommait trop d'enthousiasme dans la haine et dans l'amour.
Avidement j'ai bu trois verres de cette eau qui coule, pareille à elle-même, indifférente et sentencieuse, dans toutes les cuisines du monde et qui est un peu comme les doigts purs du Présent.
Il faudrait se mettre à genoux devant chaque image du passé pour comprendre que le type allongé dans l’herbe, maintenant, est entré dans une heure sérieuse de sa vie, qu’il se nomme Berçac et qu’il n’est pas habitué, cette fois-ci, à ce qui lui arrive. A son tour, devant la mort, il est un pauvre petit nouveau. Il meurt dans le fracas du monde et la pureté du ciel.
Je m'approche de lui. Prudemment, je trempe un doigt dans son sang. Il est foncé, plein de caillots je crois, et d’une douce odeur pétrifiée. Tel était le secret de Berçac qui semblait vivre à mi-chemin entre les dieux et les officiers supérieurs de cavalerie. Je passe toute la main sur son ventre défoncé. Ma main prend cette odeur de champignon acide. Je la garde à hauteur de mon front devant moi.
Je ne comprends toujours pas, sinon que je ne saurai jamais mourir. Rien n’est plus horrible que de se mélanger à la nature, rien n’est plus odieux que la terre. Elle nous attend, elle n’est pas pressée. En une seconde je pense amoureusement aux villes, aux maisons bien-aimées, aux trottoirs, à leur douce peau goudronnée. Les villes si pudiques, si tranquilles après tout pour un garçon de mon âge.
Beaucoup de gens, disait-il, ont enragé. Il croyait qu'un monde nouveau allait naitre, mais le vieux monde était là, plus solide que jamais. Les seules mailles qui avaient craqué, c'était du côté du plaisir. La morale s'était assouplie, comme ils disent. La morale, ce n'était pas grave. Les gens en ont toujours de reste. C'était donc une imposture, vous comprenez, un mensonge permanent : cette liberté pour Américaines qui veulent s'encanailler.[...] C'était bien ca, tous ces pauvres types demandaient une révolution et on leur avait distribué des gâteaux qui restaient de l'avant-guerre. Car on s'avait s'amuser en 1910.
Je songe soudain que la guerre est une époque heureuse pour les enfants car les grandes personnes commencent à les imiter. Chacun reçoit une panoplie, se déguise en soldat. On détruit les maisons comme les châteaux de sable. On se bat, on se bouscule, on s'endort au hasard, on ne sait pas où l'on est.
"C'est comme ça que doit être le vrai chef: le mot pour rire au bon moment et le regard inflexible quand il faut".
Comme j'étais trop malheureuse, je me suis couchée sur ton lit. Et puis, j'ai eu peur qu'on vienne, je me suis glissée pieds nus sous le drap. J'étais comme dans une tente. Là, je me suis sentie bien. Tu étais avec moi seule, et la pièce c'était le monde entier. La nuit est venue. Je me suis réveillée à six heures du matin.
Le jazz infuse lentement ses vieilles tisanes.
[..........] Quant à François Sandres, son air pierreux, ses cheveux mal nourris, son regard vicieux et boudeur datent de Mantegna, inutile de le cacher.
[..........]. Elle est très laide ou très belle, ce détail ne compte guère. L'ingénieur brille dans les tangos ; dans les valses, il devient ce qu'il n'a jamais cessé d'être : un Autrichien fort en calcul.
Florence - Tels sont les militaires. Tant qu’ils n’ont pas massacré cent mille personnes, raflé le lait des enfants, supprimé l’importation des crèmes de beauté, ils ne savent pas quoi faire de leurs mains. Tels sont les hommes.
Cette mort, enfin, nous faisait participer un peu aux malheurs de la patrie. C'était plus chic, vous comprenez.
- Et votre frère? Le parachutiste...
- Oui... Celui-là a été tué à la guerre, mais par dysenterie. On n'a pas de chance dans la famille. On n'est pas doués pour l'héroïsme.
[le citoyen] Par un coup de génie, le XXe siècle lui donne à la fois l'esclavage et la divinité. Sa torpeur est douce. Il règne, il obéit comme dans les rêves. Et s'il ouvre un oeil, on crèvera cet oeil. Quand on a reçu la liberté on n'a plus besoin d'être libre, c'est un baptême de l'esprit, il dispense de toutes les questions.
... Marcel Proust n'a aucune opinion sur la nécessité de voter démocrate ou conservateur, en Amérique ; pour lui, précisément, l'Amérique n'existe pas, le monde moderne n'est pas le dernier salon de l'auto, mais un groupe de jeunes filles mal élevées sur la plage. Tout cela nous réconforte et nous plaît.
Pendant des siècles, l'insolente race française imposait sa logique, son langage, sa force. La mesure était belle, quand elle indiquait les passions domptées. Aujourd'hui elle n'est plus qu'un signe de déchéance.
« Les historiens ont la prétention de croire qu'ils sont les pères de leurs personnages. Aussi se croient-ils tout permis, même de faire sauter la vérité sur leurs genoux. »
« En ce temps-là, on commençait par être gendarme avant de devenir général, ce qui est infailliblement mieux que de faire le gendarme après avoir été général. »
À vrai dire, je comprends les gens qui entassent des couches de laideur les unes sur les autres (un nez camus, des yeux à fleur de peau, voter aux élections, porter des bottines à tige), car pendant qu’ils y sont, ils auraient tort de se gêner.
Les villes brûlent, la civilisation s’écroule, mais les petits garçons songent frénétiquement à jouer au soldat plus tard… Décidément, la vie reste favorable. Je souhaite passionnément une nouvelle guerre dans vingt ans, faute de quoi la France et l’Allemagne se réconcilieront. Nous autres, dans l’Histoire, nous aurons le rôle des trouble-fête, un peu comme ces combattants de Crécy ou de Waterloo que les historiens de la république insultent en leur criant : « Imbéciles ! Vous retardez l’Entente cordiale ! Les Anglais ne seront pas contents de vous. »
Les hommes ne savent que précipiter ou retarder les situations qu'il n'ont pas crées. Chacun de leurs gestes se répercute si loin qu'ils en ignorent le sens. Ils font leur destin mais ils ne le sauront jamais - ce qui revient à ne rien faire.
Avidement, j'ai bu trois verres de cette eau qui coule, pareille à elle-même, indifférente et sentencieuse, dans toutes les cuisines du monde et qui est un peu comme les doigts purs du Présent.
Dans son genre, pensait Michèle, la lucidité est une passion aveugle. Elle voit tout, mais elle tue ce qu'elle voit. Elle voit tout sauf la vie, qui reste importante même pour ceux qui n'en sont pas amateurs.