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Citations de Stefan Hertmans (139)


Il est témoin d'un épouvantable accident du travail : le fils du forgeron tombe tête la première dans le four brûlant. Il voit le forgeron, qui à ce moment-là était occupé à donner des coups de marteau en tournant le dos au four et ne s'était rendu compte de rien, retirer son fils des flammes en jurant, mais il est trop tard. Ce qu'ils aperçoivent est un visage détruit, une boule noircie par le feu, aux traits vaguement humains où bouillonne un liquide glaireux, mélangé à de la salive ensanglantée. Les yeux calcinés sont blancs comme ceux d'un poisson cuit ; la bouche est un trou noir où billent les dents du haut à présent dégagées. Un jeune ouvrier entre, un seau dans les mains, et verse de l'eau sur la tête. Dans le sifflement et le gargouillement asphyxiants que produit l'eau qui s'infiltre en profondeur dans la peau brûlée, le jeune homme agonisant expulse un dernier gargarisme, tandis que le corps se tord et se convulse. […] Les ouvriers et les apprentis observent la scène fixement. […]
C'est le premier mort qu'a l'occasion de voir mon grand-père. Aucune assistance psychologique n'était prévue à l'époque ; il rentre chez lui et se tait pendant toute la soirée. […]
Puis tout va très vite. Après quelques semaines de recherches et de tâtonnements, il se retrouve à la fonderie. Dur labeur, un garçon de treize ans à peine qui les premiers jours déambule, perdu, dans un vacarme assourdissant […]
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Quand le jeune David Todros arrive à Rouen, la ville compte cinq mille habitants juifs, environ un cinquième de la population totale. Avec Narbonne elle est la principale terra judaeorum de l'époque. En plus de l'école talmudique où le jeune Todros vient étudier, il y a une synagogue et un abattoir rituel. L'ensemble du quartier juif est contenu dans l'actuelle rue du Gros-Horloge et la rue aux Juifs. On retrouve même des traces du séjour de David: le nom Todros figure dans les archives juives de Rouen.
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Les Normands sont nombreux à enlever et à violer des femmes autochtones. Mais des liens affectifs se nouent aussi. Les intérêts matériels de familles entières s’imbriquent. On cherche à rétablir pleinement la paix de Dieu qui régnait autrefois. Quand les conquérants, contre lesquels on ne peut rien faire, se montrent prêts à se convertir au christianisme, ils obtiennent le droit de transmettre leurs possessions par voie de succession. On les appelle les Normands.
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Avec son mari, elle vit comme une exilée sur ce plateau reculé et il lui arrive parfois, lors des prières dans la galerie réservée aux femmes à la synagogue, de se remémorer la vie luxueuse qu’elle a quittée si précipitamment quatre ans auparavant par amour pour cet homme, qu’elle a aussi contraint sans le vouloir à l’exil.
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Elle a beau faire de son mieux pour s’intégrer à la petite communauté, avoir un mot gentil pour chaque personne qu’elle croise sur son chemin, elle n’obtient pratiquement pas de réactions, la plupart des villageois passent à côté d’elle avec indifférence. La jeune Normande de haut rang n’y a jamais été accoutumée, pas plus que la juive privilégiée qu’elle était à Narbonne.
À mesure qu’elle prend conscience qu’elle n’appartiendra jamais à cette communauté, elle cesse d’essayer de se montrer aimable. À partir de ce moment-là, on l’accepte plus ou moins en silence, car elle a adopté son rôle d’étrangère.
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Lorsqu’un lieu a une réputation de tolérance, il est connu des vagabonds. Au dix-huitième siècle, quand le village est mentionné dans les annales sous le nom Monilis, la commune comptait près de mille habitants. Les ruelles étroites surpeuplées, sans éclairage, étaient sinistres durant les rudes hivers à sept cents mètres d’altitude, mais fraîches au cours des longs mois d’été torrides. Dans les rigoles s’accumulait la crasse dont se nourrissaient les rats, qui quant à eux alimentaient les puces, et celles-ci la peste. Les premiers cas de peste dans la région sont décrits au quatorzième siècle.
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Marseille est inondée d'un soleil éblouissant. Je me promène parmi des jeunes branchés aux vilains tatouages et des Ethiopiens vendant de fausses Ray-Ban. Je traverse le marché arabe bigarré avec ses poulets vivants et une odeur prégnante de marihuana, de menthe, de morue, d'olives et de cannelle. L'eau coule sur les vieux pavés dans l'ombre bleue, les platanes amassent la poussière. J'ai envie d'un café fort et la tentation de recommencer à fumer me brûle la gorge. Je pense aux ports de l'autre côté, on ne peut pas faire autrement ici. J'ai envie de monter dans un bateau et de disparaître de ma propre vie. Dans mon journal du matin, je lis le énième article à propos de dizaines de noyés devant les côtes de la Grèce.
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Dans la fumée des foyers allumés pour brûler les ordures, je sens de l'encens et de la myrrhe, le feu du monde ancien. J'éprouve la curieuse envie de traîner ici, d'entrer quelque part, de m'asseoir pour ne plus me lever ; puis je me rends compte que je suis indiscret et dois poursuivre ma route. Mais ces quelques centaines de mètres à travers ce quartier très ancien me marqueront à jamais comme un voyage court, intense, à travers le temps, pendant lequel j'ai respiré, senti et vécu quelque chose qui m'a fait atterrir dans l'histoire après laquelle j'ai couru pendant tout ce temps.
Page 281/282
(Promenade de l'auteur au Caire à la recherche de l'ancienne synagogue)
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Nous nous taisons, luttons contre nos cauchemars, éclatons parfois en sanglots sentant l’odeur du linge fraîchement repassé ou d’une tasse de lait chaud
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Des lettres dorées, une petite croix en carton-pâte avec une rose en plastique qui, chaque fois que je la redresse, retombe sous la brise légère. Des taureaux mugissant dans une étable sur l'autre rive. En provenance des bordures de roseaux, un son que je n'ai pas entendu depuis des décennies : le chant d'allégresse de la fauvette. Et même un coucou, clairement audible, de l'autre côté du fleuve – là encore, on en entend rarement de nos jours. Selon une vieille superstition, l'année sera bonne quand on entend le chant du coucou au printemps.
Quel paysage inaltéré ! Calme. Paix.
Ce sont les sons doux, lointains qu'il a dû entendre, lui aussi, que tous les soldats qui attendaient, dans l'angoisse de la mort, ont dû entendre : l'idylle dans l'enfer.
Paysage silencieux, nature indifférente, douceur, oubli de la terre, oubli dans cette eau coulant paisiblement qui a dû séparer la vie de la mort. En ce matin de printemps brumeux, tous les oiseaux ressemblent à d'étranges créatures qui crient des choses que je ne comprends pas. Mystique du temps et de l'espace. Quelle terre singulière que celle où nous avons l'habitude de vivre...
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Le présent s'évanouit, les bruits de la rue bruxelloise s'atténuent, les papiers font entendre un bruissement, devant moi s'ouvre un éventail en langue administrative alambiquée et derrière, comme à travers la poussière de l'Histoire qui s'envole, un homme vient à ma rencontre, il porte des lunettes avec un verre dépoli devant son oeil gauche, on ne le voit pas très bien dans l'obscurité mais on le sait, et il porte aussi un uniforme noir avec, par-dessus, le long manteau en cuir noir, il est deux heures et demie du matin et, suivi d'une dizaine de militaires tenant leur arme en joue, il tambourine à la porte d'un grand bâtiment sur le quai au Blé, un institut francophone, une enclave pour une caste en voie de disparition, mais c'est la nuit, personne ne le voit, de la brume s'élève du canal le long du bâtiment.
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J'ai toujours eu un faible pour l'odeur d' humidité et de délabrement dans les vieilles maisons. Peut-être parce que né peu après la guerre, j'ai dû encore traverser, en tenant la main de ma mère, des habitations endommagées par les bombardements, et que l'odeur de pierre humide et de moisi est devenue pour moi celle de la célèbre madeleine de Proust. Quand on est enfant et qu'on n' a pas encore de souvenirs, même l'odeur de délabrement est une source de bonheur.
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Pourquoi me fallait-il à tout prix voir cet endroit de mes propres yeux ? Peut-être la visite d'un lieu de souvenir, même si c'est celui d'autres personnes, est-elle une manière de laisser l'histoire s'apaiser.
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Plus je me plonge dans les mémoires d'Adri, plus je remarque les aspects qu'il n'a pas pu, ou pas voulu approfondir. Comme si la culpabilité était héréditaire et qu'il n'avait pas la force de porter le fardeau dont il s'était chargé : un fils aux épaules lestées du poids mort de son père. La douleur réside dans le silence entre les mots de son témoignage.
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Mais tout uniforme la fait frémir. Comment dormir l'un près de l'autre quand les rêves de chacun ont suivi leur propre voie obscure ? La nuit est une crapule. Les enfants respirent d'une innocence qui humidifie légèrement leurs lèvres, ils balbutient des absurdités dans leur sommeil. Que fait de nous la guerre, cher pasteur Wartena? Pourquoi mon bien-aimé est-il un étranger dans mon lit ?
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Le port de l'uniforme nazi est désormais strictement interdit, mais il faudra lever l'interdiction à peine une semaine plus tard du fait du grave manque de vêtements ; jusqu'à la fin des années cinquante on verra encore travailler dans leur jardin des hommes d'un certain âge vêtus de leur uniforme élimé dont ils ont retiré les insignes.
( p.188)
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Plus je me plonge dans les mémoires d'Adri, plus je remarque les aspects qu'il n'a pas pu, ou pas voulu approfondir. Comme si la culpabilité était héréditaire et qu'il n'avait pas la force de porter le fardeau dont il s'était chargé : un fils aux épaules lestées du poids mort de son père. La douleur réside dans le silence entre les mots de son témoignage.
( p.182)
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Stefan Hertmans
L'écriture de "Une ascension" m'a fait tomber dans une mini dépression. Il m'a fait regarder dans les profondeurs obscures de l'âmes humaine. J'ai envie de m'occuper d'un peu de beauté et d'espoir : il y en a aussi dans l'actualité.

Dans le journal "Le Soir" du 21 janvier 2022;
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J’ai le DROIT d’enterrer mon frère,
ai-je craché au juge.
J’ai le DROIT d’avoir de l’humanité
pour quelqu’un qui est resté mon plus proche parent,
mon plus intime des êtres vivants,
même aujourd’hui, après sa mort…
Ça a jailli du fond de moi
comme une bile noire :
Il ne sera pas question pour moi d’apaisement
avant
que mon frère…
Que les restes de mon frère…
Avant que j’aie ce sac…
Ce sac, pour l’enterrer, ce sac-là,
que je veux ouvrir pour m’assurer
que c’est bien mon frère
qui a fait ça
Parce que j’en suis de moins en moins sûre.

Le juge a parlé de droit
Le juge a parlé d’Ėtat
Le juge a parlé d’équité
Le juge a parlé de procédure
Le juge a parlé d’un crime :
Vol du cadavre d’un terroriste.
Non, j’ai crié, pas vrai,
je ne vais pas enterrer un terroriste,
je vais enterrer mon frère.
C’est mon petit frère, je vous dis.
Le droit que je défends ici est immémorial.
C’est le droit qu’ont les familles de pouvoir
au moins rendre les derniers honneurs à un être cher.

Les honneurs ? a raillé le juge.
De bien grands honneurs, madame.
Trop d’honneur, même, dirais-je.
Avez-vous perdu la tête ?
Lois anciennes, lois immémoriales, j’ai crié,
les lois de la famille,
et j’ai serré le poing.

Allons, ma petite dame, ne faites pas
tant d’histoires, ne jouez pas l’hystérique.
Vous étudiez bien le droit moderne,
il me semble ?

Monsieur le juge m’a lancé un sourire mauvais.

Vous êtes la mieux placée, madame,
pour savoir…
Il a ri sous cape, comme si tout cela l’amusait.
Puis il m’a dit en fronçant les sourcils :
Les lois immémoriales du désert
ne sont ici d’aucune utilité, ma petite dame.
Ne me faites pas croire que vous l’ignorez.

C’est comme si on lâchait des démons dans ma tête.
Le désert, toujours le désert ! j’ai crié.
Foutez-moi la paix avec ce désert,
bande de chacals !
J’étudie le droit belge, vous voyez,
pas le droit du désert !
Le seul désert que je connaisse,
c’est le quartier où j’ai grandi,
ici même, dans votre pays !
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Elle ne connaît pas encore les stridulations des cigales, cet environnement lui est fondamentalement étranger, la forte odeur de thym et du romarin lui picote le nez. Elle sent et goûte pour la première fois du fenouil sauvage, une certaine mélancolie se mêle à l'excitation et aux attentes.
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