Susan Sellers

Blotties dans le salon, nous ne savons pas comment continuer. Nous sommes comme des silhouettes dépouillées de toute forme, de toute couleur, de toute vie. Les rideaux sont tirés pour masquer la lumière froide du printemps.

Parfois l'amour instantanément, avec une certitude aveuglante, parfois c'est une brume marine, qui enveloppe lentement le paysage jusqu'au moment où l'on ne se rappelle pratiquement plus à quoi ressemblait le rivage.

J'ai parfois l'impression que nous voyons le monde avec les deux mêmes yeux, mais que nous portons des lunettes différentes. (p276)

Paris. La simplicité audacieuse de Manet. les surfaces appliquées comme des aplats de couleur : marron, jaune citron, bleu pâle. La lumière qu'on laisse imprégner la peinture, si bien que l'essence du sujet est saisie.

Écrire me semble être une bien meilleure activité pour une femme. Le corps est soutenu et, tant qu’on veille à s’asseoir bien droit, le dos ne subit aucune pression. Je ne crois pas qu’il puisse être bon pour Vanessa de passer ses journées debout devant un chevalet. As-tu pensé, ma chérie, à l’impact sur ton maintien ?

Parfois je poignarde Papa, parfois je l'étouffe avec son oreiller, parfois c'est le mélange mortel de médicaments que je concocte grâce aux fioles de sa table de nuit qui le tue. Ma méthode varie, mais le rêve prend toujours la même forme.

Nos visages sont des répliques inexactes l’un de l’autre, comme si un artiste tentait de peindre la même personne vue sous deux angles distincts. Ton visage est plus joli que le mien, tes traits sont plus fins, tes yeux sont un tourbillon rapide de lueurs. Dans mes relations avec le monde, tu es mon alliée naturelle. J’adore la manière dont tu me regardes faire les choses dont tu n’es pas encore capable. Je ne vois pas encore la frustration qui assombrit ce respect, le désir de me rattraper et de me renverser.

Non que ses orientations sexuelles lui aient jamais attiré de réactions ouvertement hostiles. Bien au contraire, à Eton puis Cambridge, et même au ministère des Finances, il a toujours été, sinon explicitement reconnu, du moins tacitement entendu que sa vie privée ne concernait que lui et devait être respectée. »

Nous sommes deux poupées mécaniques, toi et moi, manipulées par un marionnettiste invisible. Nous écoutons et observons, nous en disons juste assez pour que la balle de la conversation continue à rebondir de part et d’autre de la table. Nous en sommes les gardiennes malgré nous, nous devons la maintenir en mouvement, refoulant le désir éventuel de la projeter hors de son orbite ou de la laisser se reposer un moment. Nous devons l’envoyer vers la jeune femme timide dans le coin, en dosant notre force afin que la balle se pose assez doucement pour l’encourager à lever sa raquette et à se joindre à la partie. Nous devons la soustraire au monopole de nos tantes qui se la renvoient avec des airs de conspiratrices, empêcher les jeunes gens assis avec Papa de la dérober pour étaler leur érudition.

Lorsque Maman te prend sur son genou, tes mains potelées vont chercher le ruban qu’elle porte au cou. Comme elle fronce des sourcils réprobateurs, tu t’arrêtes et tu te penches en avant pour l’embrasser. Son sourire est comme le soleil par un après-midi d’hiver. J’ai l’impression que tu restes une éternité dans ses bras. Tes paumes applaudissent sur un rythme de comptine et quand Maman te félicite, je me demande ce qui arriverait si une étincelle jaillissait de la cheminée vers ton jupon. Je me représente tes vêtements prenant feu, tes cheveux roux s’enflammant et, dans la panique, Maman me serrant contre son sein.