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Citations de Sylvain Prudhomme (413)


M. le fils allemand de Malusci tu es au courant n’est-ce pas que ton grand-père a eu un fils en Allemagne à l’époque où il était soldat d’occupation au bord du lac de Constance
Un fils avec une Allemande qu’il a connue pendant quelques semaines tu le savais n’est-ce pas
Moi abasourdi incapable de rien faire d’autre qu’enregistrer
Le prénom M
Les mots fils allemande de Malusci
Les mots une Allemande qu’il a connue pendant quelques semaines
Chaque nouvelle phrase de Franz comme une déflagration sourde que j’avais sentie se propager dans tout mon être
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Naître bâtard c'était gagner du temps, mûrir à vitesse accélérée, apprendre à composer dès les premiers pas avec le boitement inévtiable de la vie. C'était grandir plus courageux, plus honnête avec soi-même et avec la vie, tout simplement plus vrai.
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Il l'appelle Grand-Père pour faire comme ses enfants. C'est un surnom que le vieil homme a toujours aimé. Sa tenue de travail est rudimentaire : vieux tee-shirt élimé, vieux slip, simples claquettes aux pieds, orteils crispés sur le plastique pour ne pas glisser dans la pente. Les mollets ont encore maigri depuis la dernière fois, à croire que c'est par là qu'il fond, la seule partie de son corps à laquelle le régime bière chocolat ne suffisent pas. Sous les genoux les tibias sont deux frêles béquilles patinées, lustrées de soleil à présent, d'un brun mat seulement piqué de poils blancs qui s'entortillent et ramassent tout ce que la lame déchiquette, éclat de branches, mâchis de feuilles et de branches, gouttes de sève, fourmis, perce-oreilles, gendarme en fuite. P.36
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Vous savez c'est un moment très fort qu'on vit chaque fois, avec chaque enfant, s'est excusée d'une voix calme une infirmière plus âgée que les autres. Pendant tout le temps que dure la crise on tremble, on attend, on guette, chaque jour on observe les courbes, on tente de comprendre ce qu'elles annoncent, on regarde le gamin écrasé de fièvre et on prie pour qu'enfin la température tombe. Il y a des enfants qu'on sauve, a dit la femme, et alors dans tout le service c'est une fête, pendant plusieurs jours l'étage entier vibre de l'euphorie des parents et de l'équipe, tout le service est fier, dans ces moments il n'y a pas de métier qui procure le centième de l'émotion que procure le nôtre. Et puis il y a des enfants qu'on perd et vous ne pouvez imaginer ce que ça fait, le désespoir qu'on en éprouve, la colère contre la vie entière, contre la saloperie du monde, la tristesse, la rage, l'infini envie de tout envoyer paître. Alors pour se protéger on coupe. On rentre chez soi et je ne sais pas comment vous dire, c'est de la survie, on ne veut plus penser à rien qui est trait à cet étage et à son odeur de biseptine et de gel hydroalcoolique, à son éclairage de néons blafards, on ne veut plus rien se rappeler, plus revoir le visage d'aucun gamin sauvé ou perdu. On veut être dans la vie. Dans sa vie à soi. Parler à ses gamins. p.11
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Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l'étourdissement des paysages et des ruines, l'amertume des sympathies interrompues. Il revint. G. Faubert
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De toute façon la nouvelle devait déjà se savoir. La ville était toute petite et nous-mêmes savions quels couples allaient bien, quels autres au contraire vacillaient. J'ai regardé la petite troupe de parents massés là dans la cour et j'ai été pris d'un élan de compassion, de tendresse. Je nous ai vus, toutes et tous, avec nos fragilités, nos blessures, A. et moi au premier chef. Je nous ai trouvés émouvants. Cabossés de la vie. Amochés mais vaillants. Pigeons lestés de plusieurs volées de plomb mais qui continuaient de se traîner comme ils pouvaient. Les séparés encore frais, yeux rougis, plaies à vif. Les séparés rancuniers, amers, qui le seraient toute la vie. Les promis à la séparation, perpétuellement agacés, tendus, hors d'eux. Les séparés de longue date déjà, apaisés, pleins de sagesse, exquis - les seuls que je regardais avec un peu d'envie.
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Il lui arrivait d'en formuler explicitement le vœu : aller plus loin que le moment partagé en voiture. Faire en sorte que le lien perdure. Qu'un fil demeure. À présent il ne notait plus seulement l'adresse des automobilistes qui le prenaient. Il leur donnait la sienne - la nôtre. Il insistait pour que les gens écrivent, passent, s'arrêtent quelques jours si le cœur leur en disait. Des lettres arrivaient parfois, de Bretagne, d'Alsace, de Bourgogne, des Pyrénées. Nous les déposions avec les photos dans le grand carton à trésors, cela jusqu'à nouvel ordre, jusqu'au jour où l'auto-stoppeur repasserait, car nous ne doutions pas qu'il repasserai tôt ou tard.
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J'ai pensé à M., essayé de me l'imaginer, dans la solitude lui aussi, là-bas, non loin du lac. J'ai pensé que je boirais bien une bière avec lui, là maintenant, attablés ensemble au bord de l'eau. Je nous ai vus, assis tous les deux, un peu étourdis d'être l'un en face de l'autre, après tout ce temps, sans se connaître. J'ai eu la certitude que nous serions proches. Que nous aurions mille choses à nous raconter.
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J'ai songé au mot qui servait communément à nommer les M. et les Franz : des bâtards. J'ai écouté le son glorieux que faisaient ces deux syllabes. J'ai pensé que naître bâtard c'était savoir d'avance que les autres ne vous feraient pas de cadeau. C'était apprendre d'emblée le grand partage entre ceux qui osaient nommer les choses et ceux qui préféraient les taire. Naître bâtard c'était gagner du temps, mûrir à vitesse accélérée, apprendre à composer dès les premiers pas avec le boitement inévitable de la vie. C'était grandir plus courageux, plus honnête avec soi-même et avec la vie, tout simplement plus vrai. N'était-ce pas ce que l'on disait des chiens bâtards : qu'ils étaient beaucoup plus intelligents que les chiens de race. Que pour eux la débrouille était une question de survie.
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M. âgé de quinze ans à peine filant dans la chaleur de l'été vers Malusci, espérant quoi au juste de ce trajet, sachant quoi de cet homme dont sa mère avait dû lui montrer tout au plus une photo, lui raconter deux ou trois détails inoubliables, qu'il chantait, qu'il adorait l'opéra, que toutes les femmes voulaient l'avoir. Attendant quoi des retrouvailles avec ce père qui pas une seule fois n'avait cherché à le connaître. Regardant défiler les forêts les champs les lacs traversés quinze ans plus tôt par l'autre en sens inverse, comme si quinze ans plus tard le fils retournait en quelque sorte à l'envoyeur : Malusci monté tout la-haut à la fin de la guerre déposer dans le ventre de l'Allemande quelques gouttes de semence qui maintenant lui revenaient sous la forme d'un gamin poussé grandi devenu presque aussi haut que lui et qui en quelques heures redévalait les centaines de kilomètres péniblement franchis autrefois sous le fracas des rafales et des bombes.
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je voudrais vivre dans un monde où leschoses peuvent se dire en face, la vérité s'affronter.
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Je voudrais vivre dans un monde où les choses puissent se dire en face, la vérité s'affronter. Où chacun de nous soit assez libre et fort pour accueillir la liberté des êtres qui l'entourent. P 215.
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Je me suis demandé ce qui expliquait que je sois du côté de M. Ce qui pouvait bien faire que depuis le début je me sente son complice. Je me suis vu dans ma solitude nouvelle, face au vertige de n'avoir plus personne à qui m'adosser, attiré par cet esseulé majuscule, ce délaissé qui avait connu l'abandon le vrai. Je me suis demandé quelle vérité j'espérais qu'il me dise. J'ai songé à mon métier d'écrire. J'ai pensé que comme M. je faisais partie des êtres qui avaient un problème avec le monde, n'arrivaient pas à s'en contenter tel quel, devaient pour se le rendre habitable le triturer, le rêver autre. J'ai pensé que j'étais le frère de M. dans l'ordre des condamnés au remodelage, à la fiction. Son frère dans l'ordre des intranquilles, des insatiables, des boiteux.
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J'ai regardé Franz. Regardé les troncs des trembles mangés de lichens. Les galets mangés de lichens sur le petit chemin de pierres près d'eux. Ecouté les bruits de la fête. J'ai laissé mes yeux glisser doucement à la surface des êtres et des choses. J'ai eu la sensation aiguë de leur épaisseur, de leur mystère, des doubles-fonds qui partout se cachaient.
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J'ai songé à ce nom : le lac de Constance. Je me suis demandé si vingt ans d'amour cela pouvait déjà s'appeler de la constance. Si A. et moi, malgré notre séparation, ne méritions pas un semblant de place, même infime, au bord du lac.
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Être adulte c’est ne plus savoir tomber. C’est vivre dans un corps qui a perdu la mémoire du sol, qui ne sait plus vivre avec lui, qui en a peur.
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Nous avons souri de sentir ce désir fou monter en nous, un désir qui peut-être saisissait toujours les amoureux au moment de se séparer après beaucoup d'années, un désir qui dans notre cas ne s'était jamais éteint, retardant longtemps notre décision de nous séparer. 
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J'ai songé au mot qui servait communément à nommer les M. et les Franz : des bâtards. J'ai écouté le son glorieux que faisaient ces deux syllabes. J'ai pensé que naître bâtard c'était savoir d'avance que les autres ne vous feraient pas de cadeau. C'était apprendre d'emblée le grand partage entre ceux qu’il osaient nommer les choses et ceux qui préféraient les taire. Naître bâtard c'était gagner du temps, mûrir à vitesse accélérée, apprendre à composer dès les premiers pas avec le boitement inévitable de la vie.
C'était grandir plus courageux, plus honnête avec soi-même et avec la vie, tout simplement plus vrai.
N'était-ce pas ce que l'on disait des chiens bâtards : qu'ils étaient beaucoup plus intelligents que tous les chiens de race. Que pour eux la débrouille était question de survie.
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J'ai songé à mon métier d'écrire. J'ai pensé que comme
M. je faisais partie des êtres qui avaient un problème avec le monde, n'arrivaient pas à s'en contenter tel quel, devaient pour se le rendre habitable le triturer, le rêver autre. J'ai pensé que j'étais le frère de
M. dans l'ordre des condamnés au remodelage, à la fiction. Son frère dans l'ordre des intranquilles, des insatiables, des boiteux.
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C’est-à-dire qu’il a revu Malusci avant sa mort.
Pendant toute une semaine. C’était déjà presque la fin, Malusci était à bout de forces, passait la journée entière à dormir. Mais chaque matin, pendant une heure ou deux, M. est venu s’asseoir à son chevet.
Je suis resté sans rien dire à imaginer le face-à-face du père et du fils. À tenter de me représenter ce qu’ils avaient pu se dire. L’émotion de M. au spectacle de ce père toute sa vie réclamé, retrouvé à l’instant de devoir le perdre définitivement, amaigri, alité, presque mourant déjà.
J’ai regardé Franz. Regardé les troncs des trembles mangés de lichens. Les galets mangés de lichens sur le petit chemin de pierre près d’eux. Ecouté les bruits de la fête. J’ai laissé mes yeux glisser doucement à la surface des êtres et des choses. J’ai eu la sensation aigue de leur épaisseur, de leur mystère, des doubles-fonds qui partout se cachaient.
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