En 2017, Ted Conover se rend dans la vallée de San Luis (Colorado) afin d'étudier le mode de vie rural de ses habitants, consistant à vivre de peu et à se tenir à l'écart des courants dominants. Il devient bénévole pour une association locale et rencontre alors une Amérique des laissés-pour-compte, où les périphéries, pétries de contradictions, font entendre leur voix de plus en plus fort.
En 1986, l'anthropologue brésilienne Aparecida Vilaça se rend dans la forêt amazonienne pour y étudier la tribu des Wari. Débute alors un travail de trente années auprès de ce peuple aux rites ancestraux ainsi qu'une relation particulière avec un homme nommé Paletó qui deviendra son père.
Dans leurs livres, les deux auteurs témoignent d'un travail minutieux où l'écriture se confronte à la culture locale et à des réalités particulièrement sensibles, qu'il s'agisse des marges étasuniennes ou de la déforestation.
Après des études d'anthropologie, Ted Conover est devenu journaliste spécialiste du reportage d'infiltration, publié dans les colonnes des plus prestigieux magazines américains. Il est notamment l'auteur de Au fil du rail (Éditions du sous-sol, 2016).
Aparecida Vilaça est professeure d'anthropologie sociale à l'université fédérale de Rio de Janeiro. Elle intervient régulièrement dans les établissements aussi prestigieux que l'EHESS et le Collège de France.
Rencontre animée par Sarah Polacci et traduite de l'américain par Morgane Saysana
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La société est définie par les personnes qui se trouvent à ses marges. C’est leur extériorité qui permet de définir le courant dominant.
Le monde des clandestins du rail a considérablement changé au cours des vingt ans qui ont suivi la première édition d'-Au fil du rail- (...)
Un autre terme "sans-abri", devenait de plus en plus fréquent à l'époque où j'ai écrit -Au fil du rail- ; au lieu de s'éteindre purement et simplement, semblait-il, les hobos allaient se fondre dans ce nouveau concept, qui ne désignait qu'un problème social et délaissait le charme romantique du monde du rail. Le plus fascinant avec les hobos, qui furent engendrés par la Grande Dépression, a toujours été leur manière de créer du romantisme à partir de la fatalité. (p. 10)
En mesurant la terre et en la découpant en parcelles, les Européens l’ont aussi transformée en unités qu’on pouvait vendre, acheter, et posséder pour un usage exclusif – encore un concept étranger aux Indigènes.
Parmi leurs points communs, il y a un désir d’être à l’écart, d’activement ne pas être dans une ville comme Denver, encore moins New York ou Los Angeles. Parfois je me demande si l’on ne peut pas voir en elles une réponse à la question, Pour qui l’Amérique est-elle, et pour qui n’est-elle pas ? De manière générale, les résidents de la plaine que j’ai rencontrés ne sont pas les jeunes et les idéalistes (malgré quelques exceptions). Ce sont plutôt les nomades et les fugitifs ; les désœuvrés et les accros ; les mécontents, la troupe des “on a donné”. Des personnes qui ont l’impression d’avoir été broyées et recrachées ont délaissé, voire combattu, des institutions auxquelles elles ont appartenu toute leur vie, que ce soit l’entreprise, l’école ou l’église. La prairie est leur sanctuaire et leur lieu d’exil
« “C'est pas l'idée d'avoir un putain de boulot que j'aime pas, c'est tout ce délire autour.” Il entendait par là le processus consistant à louer et aménager un appartement, à acheter des vêtements, à chercher un emploi, à remplir des formulaires. […] Le travail était un écheveau d'obligations et d'attentes qu'il ne semblait pas du tout pressé de démêler. Sa réaction face au travail me rappelait la mienne vis-à-vis de l'école quand j'étais plus jeune : surtout après de longues vacances, la perspective de devoir rentrer de nouveau dans un système cadré avec un emploi du temps strict était assez terrifiante. »
J’aime cet endroit et ce que j’y éprouve. Mais je ne suis pas certain que cette beauté fasse ressortir le bon en nous, les meilleures versions de nous-mêmes, comme le suggère Lopez. Le monde arctique de Barry Lopez n’a pas d’alcooliques, de poseurs de moquette en burnout noyant dans l’alcool leurs dernières semaines de vie ; il est quasiment dépourvu d’êtres humains. Dès que les humains entrent dans l’équation, la donne change
Il émane de cette région une sensation d’ancienneté, aussi bien géologique qu’humaine. Ce qui a dû être perçu comme une invasion et une apocalypse par les peuples indigènes allait être célébré comme un commencement par les Espagnols, les Mexicains, puis les Américains qui voyaient là un espace vide, un territoire du bout du monde que les colons pouvaient dompter avec des fermes et des ranchs.
J’adore ces paysages à perte de vue. Le vide est synonyme de liberté. Mais trop de vide peut s’avérer néfaste.
Je me souviens que la première ‘caravane’ est arrivée au moment de Thanksgiving. Et j’ai demandé, pourquoi on n’appelle pas ces gens des pèlerins ? Au lieu d’une caravane [on pourrait dire] que des pèlerins arrivent en quête d’une vie meilleure, à l’abri des persécutions.” Même si leurs effectifs sont conséquents, ce sont “des gens en danger, qui pourraient être accueillis”.
Ces gens qui ont si peu se serrent les coudes, s’unissent contre des ennemis, réels ou imaginaires. Au milieu de nulle part, ils partagent des repas, des boissons, des remèdes. À moins d’être un journaliste (ou bien de croire dans la science), on peut trouver dans ce foyer de bric et de broc une vraie chaleur humaine. Leur isolement n’est pas une solitude.