Evidence Of Blood Trailer 1998
Il faut peut-être, une fois de temps en temps, faire une folie, (…). Ne serait-ce que pour se prouver qu'on existe.
- Que dites-vous de tout ça ? demanda-telle à brûle pourpoint ?
- Tout quoi ?
-- Toute cette agitation. Tout ce qui se passe en ville.
- Ca me navre.
- Mais de nous les Noirs, insista Esther. Que pensez-vous-vous, à titre personnel de nous ?
Il prit alors conscience qu'on ne lui avait jamais posé cette question et, sur le moment, ne sut que répondre. Puis il se souvint du jour où petit garçon, il s'était rendu compte que les Noirs s'asseyaient toujours au fond du tramway. Il avait demandé à sa mère qu'elle en était la raison, et elle s'était contentée de lui répondre : "Parce que ça leur plaît." Mais son père avait riposté : "Mais non ! Personne n'aimerait y être obligé." Y être obligé ? Ce fut la première et dernière conversation qu'il avait entendue sur ce sujet et pourtant, au fil des années, il n'avait jamais lancé un coup d'oeil vers le fond d'un tramway et vu les visages noirs tournés vers lui sans repenser à cette remarque de son père.
Gâté par le sort, je n'ai pas su voir les ténèbres ni ce qu'elles dissimulaient. Jusqu'au moment fatidique le mal s'est tenu à distance, circonscrit à des simples notes de cours sur les crimes perpétrés par des armées, des foules et des individus sanguinaires, auteurs d'actes abominables que j'exposais avec passion à mon auditoire d'élèves captifs.
Dans ses yeux brillants, je vis le soleil de sa vie se coucher.
Une phrase me frappa à jamais : « La vie ne vaut d’être vécue qu’au bord de la folie ». Je me souviens qu’une exaltation farouche gonflait mon cœur à mesure que je lisais et relisais cette phrase dans ma chambre, et qu’il me semblait qu’elle illuminait tout ce que j’avais ressenti jusqu’alors. Aujourd’hui encore, je suis frappé de constater que nulles ténèbres n’avaient jamais surgi d’une flamme aussi vive.
Certaines tristesses, il est vrai, sont inexprimables.
Puisque nos passions ne durent pas éternellement, notre véritable épreuve est de leur survivre.
Il faudrait savoir se contenter du simple fait d'être vivant.
Je ma rappelai qu'Ufala n'avait jamais pu s'adapter au balai à poils souples, lui préférant celui de paille au manche plus court dont le style avait peu évolué depuis son prototype, le besma, mot qui signifie "fagot de brindilles". Elle en venait à se voûter pendant qu'elle balayait, labeur à se briser les reins, chaque fois que je désignais l'autre balai flambant neuf que j'avais rapporté de Rupala, elle secouait la tête en signe de refus. Un jour que j'en avais parlé à Martine, celle-ci m'avait rétorqué, le sourire aux lèvres : "Le plus difficile dans la vie, Ray, c'est de comprendre ceux qu'on ne comprend pas."
De la joie. Oui, c'était cela, me remémorai-je. Martine puisait la sienne dans les formes, les sensations, les goûts et les bruits du Lubanda et, parmi ces délices éminemment sensuelles, elle se réveillait chaque matin comme au jour de Noël et là, devant ses yeux, étalés sous le sapin scintillant entrelacé de couleurs vives et de noeuds dorés, se trouvaient les plus savoureux plaisirs de la vie qu'il le lui restait plus qu'à déballer.