Citations de Tibor Fischer (20)
Gyuri pouvait envisager de faire le brave s'il avait un public ou un soutien, mais ce courage solo qui persiste alors que personne n'est là pour le voir ou y prêter attention, non, il le savait bien, ce n'était pas dans ses cordes.
Ce sont toujours les objets qui trinquent, les objets sont toujours traités en objet.
Il se souvint par la suite d'avoir eu pour la première fois à cette occasion, la sensation d'être vieux, regardant avec envie ces jeunots qui n'avaient pas encore dépensé leur optimisme et pouvaient croire qu'en promenant un drapeau dans les rues, ils allaient changer le monde.
La bibliothèque universitaire gardait le mutisme et le sérieux de rigueur dans les bibliothèques où se sont déposés les sédiments des millénaires. La plupart d'entre elles, avec leur littérature accumulée, donnaient à Gyuri une curieuse impression de sécurité. Tout va bien, affirmaient les livres en silence, nous sommes là. Au dehors, les folies peuvent s'empiler jusqu'aux cieux, l'ineptie faire rage et la médiocrité des ravages, nous n'admettons rien de la stupiloquence en ce lieu réservé à l'approfondissement de la culture, à l'écrémage des siècles.
On perd tellement de temps à ressasser toujours les mêmes pensées. Les gens se plaignent de devoir toujours faire les mêmes choses, de devoir manger les mêmes choses, porter les mêmes vêtements, mais apparemment ça leur est égal d'avoir toujours les mêmes pensées.
(...) cette absence radicale, chez Elémer, de toute ossature morale, n'était-elle pas, à certains égards, admirable? Cette souplesse d'échine sans limite n'était-elle pas aussi digne d'attention que celle d'un contorsionniste de cirque? L'aptitude à survivre est indiscutablement louable.
Mais, dans la nuit du mardi, il se réveilla net. Des éructations mentales grondaient, produits de sa digestion cérébrale. Il était trois heures du matin, l'heure favorite des mouches du coche crâniennes pour interrompre son sommeil. Tout ce qui pouvait le tracasser s'imposait alors et, bien qu'il ne pût cerner le problème, un fort mécontentement émanait de son colon cérébral.
Une cloche comme officier, ça va bien tant que t'es à la caserne. (...) Qu'il mette deux heures à s'y reconnaître entre le haut et le bas d'une carte, c'est pas grave, mais quand tu arrives au front, il t'en faut un bon, ou t'es baisé.
On luttait pour s'endurcir, devenir coriace, dangereux et indépendant (...) mais l'autodiscipline est chose si délicate, une plante que suffit à flétrir un tout petit écart de température dans un sens ou dans l'autre.
Il y avait tout de même un côté agaçant dans sa façon de siffloter en plein totalitarisme : vos droits à l'auto-apitoiement s'en trouvaient pas mal compromis.
Farago était à la fois l'idiot du village et le voleur du village. Dans un petit coin comme ça, il faut cumuler.
Difficile de sympathiser avec le cardinal : Mindszenty restait un crétin, même si c'était une victime. L’Église catholique, en Hongrie, n'était pas dirigée par des lumières. Si seulement on pouvait faire un choix! se disait Gyuri avec rage. C'était comme la Hongrie, placée entre l'Allemagne et l'Union soviétique. Tu parles d'un choix! En quelle langue préfères-tu être fusillé ?
(...) la discussion, tant qu'elle concordait avec la ligne du Parti, vous avait un air plus démocratique.
C'était à coup sûr l'avantage d'une éducation religieuse : on savait à qui téléphoner en cas d'urgence et c'était déjà une consolation même si le numéro ne répondait pas.
Gyuri avait laissé tomber l'Église à peu près comme il avait cessé de croire au Père Noël : venait un moment où il était impossible de prendre l'une ou l'autre au sérieux.
Si tu tombes d'une falaise, la qualité de la cervelle qui va se répandre en bas ne compte pas tellement.
À quoi bon, en route vers l'abattoir, être un porc d'élite?
Il s'était baladé d'une épreuve à l'autre, puisant en chemin dans un manuel ou deux, emmagasinant des miettes de connaissance dans ses joues comme un hamster pour les recracher ensuite devant les examinateurs.
Aux maths, on devait reconnaître ce mérite, à défaut de tout autre : elles prêtaient à ce qui n'était pas elles, les fourmis, l'anglais, les tractions, le repassage, la vaisselle, un merveilleux attrait.
L'essence même du communisme : rendre à chacun plus pénible à faire ce qu'il fait.