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Critiques de Timothée Demeillers (84)
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Demain la brume

Début années 90, ICI , à Nevers, il y a Katia et Pierre-Yves, LÀ-BAS, à Zagreb et Vukovar, il y a Damir, Jimmy, Sonja et Nada. Des jeunes, dans le bonheur d'un âge où tout semble possible, pour le meilleur ou le pire. Des jeunes qui veulent s'émanciper, faire l'amour, de la musique, tout en étant préoccupés par la peur de l'avenir . 1990, c'est l'année où l'Irak envahit le Koweït, en Yougoslavie, Tito est mort, les courants nationalistes sont en train de monter, Damir d'un père serbe et d'une mère croate , vivant à Zagreb commence à en faire lourdement les frais, mais le pire est encore à venir….

Entre France et Yougoslavie, le passage à l'âge adulte de jeunes en rêves de liberté, à la poursuite d'idéaux , accéléré par la marche du monde. L'âge de rébellion innocente où l'on pense « la vie sans rien, mais la vie libre parce que les poches vides, on peut plus facilement s'accrocher à un train de marchandises pour tenter sa chance ailleurs », cette soif de liberté qui tournera vite à l'insensé. Alors que la Yougoslavie sombre dans le chaos, où la norme est devenue la folie, la paix en suspend n'attend qu'une étincelle pour s'embraser, « il faut choisir son camp ». Les amis et les amoureux d'hier deviennent les ennemis d'aujourd'hui . ICI et LÀ-BAS vont se croiser alors que LA BÊTISE HUMAINE sans rationalité, ni nationalité éclatera dans toute son ampleur. Et le Monde suivra le spectacle comme au cinéma …..”oh tu sais le Cambodge c'était quand même autre chose que cette dispute de cambroussards….vers Ilok ça barde là-bas, t'as des bonnes images à faire…Ilok j'en reviens maintenant, mais plus proche et plus spectaculaire t'as Gospic…. “





Qu'il écrit bien Thimotée Demeillers !

Une prose magnifique, où il alterne les styles narratifs avec aisance. Chaque style narratif reflétant la personnalité du personnage auquel il correspond, « Toi, Jimmy, qu'avais jamais tenu un fusil, tu t'es retrouvé sniper. C'était pas vraiment différent de la musique….. D'ailleurs, tout te semblait comme sur scène ici, les cris des collègues comme les hurlements de la foule, le barouf des obus comme la saturation de la guitare de Tiho, l'adrénaline, la putain d'adrénaline. de la précision. de la rigueur. Comme sur scène. Ça te changeait pas tant que ça. »

Partant d'une histoire réelle celle du « Français de Vukovar », un superbe roman choral intense parfaitement orchestré. Un livre qui dévoile « Le pire de l'âme humaine. L'homme réduit à l'animal. Un animal qui s'acharne sur un animal qui essaie de survivre animalement ».Deuxième livre lu de Demeillers, excellent auteur aux sujets et questions intéressantes .







« la houle a atteint les arbres des forêts,

a obscurci les sentiers de montagne,

laissant des villes brûlées,

du gros sel et les cris du silence,

demain la brume, demain la brume, »
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Jusqu'à la bête

5412.5413.5414.....clac,clac,clac, les carcasses qui défilent..... « Me perdre dans le boulot. Dans le bruit. S'abrutir de bruit. S'abrutir de sang. S'abrutir de froid. Se glisser entre les vaches mortes. Se faufiler parmi les cadavres...... », un boulot, une ambiance glauque à subir quinze ans, une parenthèse « Laëtitia », «  l'événement », et la chute dans un treize mètres carrés......Erwan, ex-ouvrier dans un abattoir près d'Angers est en taule, condamné à dix-huit ans, dont il en a purgés deux. Des pensées fixées sur son passé, des cauchemars sans fin, le temps qui semble immobile.



Encore en toile de fond, un père tyran, une mère soumise et deux garçons qui essaient d'y survivre par tous les moyens. Pas d'amour, beaucoup de solitude et zéro communication. de l'enfer de la famille à celui de l'abattoir, du travail à la chaîne froid et métallique, il n'y a qu'un pas, « emportés par le désespoir, par l'alcool,par la cigarette...Emportés par le vide. Par l'absurdité de nos existences. Par nos gestes machinaux et répétés. Par l'impression de n'être personne. de ne servir rien. ». Humiliation, frustration, un travail vampire qui colle comme une seconde peau ......mais tout a une fin, une fin qui va malheureusement lui faire perdre même cette vie qui ne servait à rien......



Vous avez compris, c'est noir, même s'il y a ici et là quelques étincelles de semblant de bonheur. L'abattoir, l'auteur le connaît. Sa mère y travaillant, le temps d'un été de sa vie d'étudiant, il en a aussi fait l'expérience. Avec une prose simple et aérée de brefs digressions, de courtes phrases cinglantes comme des claques, il nous raconte l'histoire poignante d'un homme pris dans l'engrenage de la vie, du mauvais côté. Il dénonce l'extrême souffrance humaine générée par la déshumanisation du travail au profit du Profit pur, à tout prix. Un roman engagé, fort qui ne peut laisser indifférent.



Ce livre est en lice pour le prix littéraire « Hors concours », je lui souhaite beaucoup

de chance.

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Voyage au Liberland

Complètement fou ! Ça ressemble à une blague pour ceux qui, comme moi, vivent dans une grotte, mais figurez-vous qu'aujourd'hui 13 avril c'est l'anniversaire deuuu…? Non, personne ? de cette micro nation autoproclamée : le Liberland ! Si-si, je vous assure.





La littérature a cela de merveilleux qu'elle ne cesse de nous surprendre : On a beau avoir l'impression de savoir des choses, on en apprend tous les jours de nouvelles. Ici, Messieurs DEMEILLERS et OSOHA, journalistes et co-auteurs de ce livre de non-fiction, m'ont appris qu'il existe encore dans notre monde des parcelles de terre qui ne sont revendiquées par aucun pays. En l'occurrence, en raison de différents frontaliers entre la Serbie et la Croatie, des territoires frontaliers sont revendiqués par les deux pays… Et d'autres par aucun ! N'étant pas d'accord sur le tracé des frontières, chaque pays attribue ces bouts de territoire à l'autre.





En apprenant cette nouvelle, le 13 avril 2015, Vit Jedlicka a fait de l'une de ces terra nullius (« terre sans maître »), une micro-nation : la république libre du Liberland. La devise du Liberland est « Vivre et laisser vivre ». Son objectif est de fonder une société où l'on peut prospérer sans lois et impôts contraignants. Il prend exemple de pays comme Monaco ou le Liechtenstein. Vit appartient à la mouvance libertarienne : Il s'agit d'un mouvement philosophico-économico-politique qui prône un libéralisme radical. Autrement dit un paradis fiscal reposant sur la privatisation à outrance, afin que l'Etat ait le moins d'ingérence possible avec, par conséquent, des impôts uniquement volontaires, une solidarité à la carte, une réussite au mérite, etc…





Un tel pays peut-il seulement exister, ou ce concept n'est-il pas viable ? S'il l'est, est-il une utopie ou clairement dystopique par nature ? Ceux qui, en l'occurrence, y croient et veulent (s')investir dans ce projet - que ce soit en tant que bénévoles ou en tant que généreux donateurs - seront-ils comblés ou déçus ? Se feront-ils arnaquer ou seront-ils au contraire récompensés pour leur contribution ? Comme dans un roman, le lecteur lit pour avoir le fin mot : Ce projet a-t-il fonctionné, existe-t-il aujourd'hui ? a-t-il capoté, basculé dans le scandale ? Pour nous exposer cette véritable histoire, racontée d'une façon plaisante à mi-chemin entre le roman et l'enquête journalistique, les auteurs sont allés mener leur enquête sur place, ont réalisé des interviews de tous les acteurs, fouillé les réseaux sociaux…





Comme dans un roman, nous suivons différents personnages qui seront les acteurs de ce que les pays alentours nomment une mascarade. Vit, élu Président par les trois seuls premiers citoyens du Liberland, devra se battre sur tous les fronts : imposer leur présence physique sur place, contestée par les autorités locales, via diverses actions locales plus ou moins inspirées ; parvenir à convaincre la scène internationale de le reconnaître comme Etat en démarchant des hommes politiques reconnus ; collecter les fonds nécessaires à ce train de vie consistant à la fois à occuper la scène politique internationale et à financer des tas de projets pour faire connaître cette nouvelle entité ; établir un mode de tri des candidatures de citoyens à accepter, car le pays est trop petit pour tout le monde ; occuper le terrain des réseaux sociaux car c'est aujourd'hui sur l'espace virtuel que se joue presque tout, etc… Mais au fur et à mesure, les belles idées du début laissent place à des questions pratiques : quid de l'opacité des financements ? des petites magouilles pour devenir Président à la place du Président ? du fait que sans posséder physiquement de terre d'accueil pour ses citoyens, le Président soit discrédité, accusé d'arnaque, et même de devenir à son tour un dictateur ?





Tant de questions intéressantes, autant de droit international que d'idéologie pure, soulevées par une idée de départ certes un peu folle, mais qui a le mérite de bousculer les certitudes et acquis politiques et de les questionner. Une lecture surprenante et rafraîchissante, même s'il ne faut pas chercher dans cette non-fiction la plume et les rebondissements d'un véritable roman. En tous cas, un bel objet livre, agréable à toucher et à lire.
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Jusqu'à la bête

Ouvrir ce livre, c’est rencontrer une plume. Une écriture particulière. Qui gronde comme un torrent, grossit percute les roches, emporte des morceaux de pierres, retourne la terre. Un tsunami qui emporte tout sur son passage qui malmène le lecteur jusqu’à la nausée. Des phrases courtes qui claquent au milieu d’un flot de pensées qui s’emballe pendant des pages avant d’être brusquement interrompu par les bruits de l’usine, les images de l’usine, l’odeur de l’usine, par ce monstre aux multiples visages qui habite l’esprit tout entier. Ce monstre qui soumet vos sens. C’est un bruit un souvenir qui fait renaître le monstre à qui les journées sont consacrées.L’odeur du sang, le bruit des crochets qui s’entrechoquent, les images de la viande suspendue, le froid qu’on ressent jusqu’aux os. L’usine vous possède, vous hante, vous habite. Même une fois la porte refermée l’ouvrier ne la quitte jamais tout à fait.



Le Fordisme ou comment transformer les êtres humains en automates efficaces et rentables. Charlie CHAPLIN dans Les temps modernes dénonçait déjà ce travail répétitif et déshumanisant. Mais les hommes ne sont pas des automates et ce travail les tue à petit feu.



Au début ce n’est qu’un boulot, un peu glauque certes mais un gagne pain. Et puis peu à peu insidieusement il prend de la place. Les gestes répétés bousillent les muscles, les articulations les os, alors on change de poste et on va bousiller d’autres muscles, d’autres articulations d’autres os. Et puis pour travailler à la chaîne c’est qu’on est un peu con, pas bien malin, qu’on n’a pas bossé à l’école, qu’on n’est pas foutu de faire autre chose. Alors il y a les autres qui vous regardent de haut, les commerciaux, ceux des bureaux et puis comme on n’a pas grand-chose à dire pour leur tenir tête on fait le dos rond on se soumet et on commence à se détester. Nous avec nos fringues crasseuses eux avec leurs costards. Nous avec nos mains sales jusque sous les ongles, eux avec leurs mains de bébés immaculées. Faut dire que les discussions à l’usine elles cassent pas trois pattes à un canard. Entre les blagues sur les arabes et les blagues salaces y’a parfois une discussion politique mais elles mènent toutes à la même conclusion : nos voix elles comptent pour que dalle et là haut ils s’en foutent si on crève.



Parce que oui on crève ! On crève de faire les mêmes gestes tous les jours, on crève d’entendre les mêmes blagues tous les jours, on crève de voir les mêmes têtes, au même moment, au même endroit, d’entendre le bruit des bêtes qu’on égorge, de patauger dans le sang, de découper la barbaque, d’entendre le clac des machines, le bruit assourdissant des scies, des cadences qu’on augmente et de la chaîne qui jamais ne s’arrête. On crève d’entendre nos rêves se briser, de voir nos espoirs se noyer, de voir nos vies nous échapper. On crève de nos existences qui n’ont ni sens si but. On crève et on attend la retraite parce que peut être que là on pourra vivre un peu. Pour de vrai. Pas une parenthèse entre deux semaines à l’usine, pas une parenthèse au milieu d’un cauchemar. Un an. Peut être deux. Parce que la retraite elle ne sera pas longue l’usine elle a bien préparé le terrain pour la grande faucheuse. Parce que quand on crève comme ça à petit feu, quand le corps s’épuise qu’à 20 ans on a l’air d’en avoir 40, qu’on picole et qu’on clope comme un crevard, qu’on n’est plus que l’ombre d’un être humain notre âme aussi se fait bouffer. Et quand l’humain a été rongé, qu’on est allé jusqu’à la bête il n’y a plus de retour en arrière possible. C’est dans les faits divers qu’on finit. Et là tout le monde s’étonne, personne n’a rien vu venir. Quand on est ouvrier on crève en silence jusqu’à ce que la bête prenne le relais.



J’ai lu ce livre la gorge serrée. Parfois j’ai étouffé et l’écriture m’a semblé trop dense, trop intense, voire trop lourde. Mais sur le fond ce livre est essentiel car il traite d’un sujet peu abordé dans la littérature. La souffrance morale des ouvriers à la chaîne est souvent méconnue. On se conforme au droit du travail et on prend en compte les accidents corporels mais le reste est ignoré. Voire méprisé à coup de « ils ont un boulot c’est déjà bien » « au moins ils ont de quoi vivre » « s’il n’en veulent pas ils n’ont qu’à laisser la place aux autres » « c’est des fainéants c’est tout ils ne veulent pas bosser ». Des clichés, des préjugés qui ont la vie dure. Un livre qui va me hanter encore longtemps.
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Demain la brume

Quel pays illustre mieux que l'ex Yougoslavie les ruptures fratricides et meurtrières d'un équilibre politique qui se rompt ?



Ivan, dit Jimmy, est croate , Nada serbe et Damir son cousin aussi. Ils ont vingt ans, aiment le rock, se retrouvent tous les étés à Vukovar pour rire, bronzer, écrire ou faire de la musique en rêvant de la gloire que leur apportera leur dernier tube dont le titre provocateur leur donne des airs de Sex Pistols yougoslaves, "Fuck you Yu"...



Yu, pour Yougoslavie, leur pays à tous les trois, qu'ils malmènent affectueusement en paroles pour accélérer sa modernisation, son évolution protégée du grand frère russe par la houlette de Tito.



Mais Tito, justement, meurt. Et soudain Nada se sent serbe, Jimmy par opportunisme rallie la scène croate qui a besoin d'un chantre national et Damir fuit à l'étranger ne reconnaissant plus son pays.



Les voici devenus frères ennemis.



Brothers in arms, chante Dire Straits.



Le récit épouse et confronte tous ces points de vue. Sans choisir. Il jette aussi dans la mêlée un quatrième personnage, Pierre Yves, un rebel without a cause, qui va s'en trouver une: mourir pour Vukovar comme d'autres l'ont fait en leur temps pour Madrid.



La Croatie, il ne sait même pas où c'est sur une carte. Il n'a jamais parlé la langue. Ses compagnons d'armes le trouvent louche, ce Français qui n'a même pas l'air d' avoir peur alors qu'il est juste sans repère.



La guerre radicalise les positions, les propos, tend et fait éclater les relations les plus fortes, dissipe les illusions, ventile les a priori.



Façon puzzle.



Elle fait littéralement table rase.



. Dans ce champ de ruines, qui reconnaîtra la Yougoslavie ? Fuck you, Yu... Même la chanson est prise à contre sens...



Un beau récit polyphonique assorti d'une bande son très rock qui l'habille comme un perfecto clouté. Et troué de balles.

.

Through these fields of destruction

Baptisms of fire

I've witnessed your suffering

As the battle raged high...





Merci encore une fois à Idil qui a déniché cette pépite ! Il va sans dire que j'ai adoré.
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Jusqu'à la bête

« Comme une bête »



D'abord, il y a le bruit. Celui de la chaîne de production. Les « clacs » qui claquent au mouvement des bovins dans leur danse macabre sur les rails qui les transportent le long des différentes étapes de leur transformation.

Et puis, il y a la chair. Que l'on transperce, que l'on coupe, que l'on incise au moyen des lames que tiennent les ouvriers.

Enfin, il y le sang. Qui coule. Partout. Sur tout.



C'est un rythme. C'est celui de la machine. Celui qui transforme les bêtes en viande prête à consommer.

Suivre la cadence, qui augmente sans cesse pour plus de productivité, plus de profit. Une cadence qui augmente sur la décision de quelques hommes, « les patrons ». Ceux qui ont le pouvoir. Ceux qui ont les moyens de choisir. Une cadence que l'on fait subir aux hommes qui produisent, « les ouvriers ». Ceux qui n'ont pas le pouvoir et pas les moyens de choisir. Toujours plus. Peu importe les conséquences.

C'est un rythme qui transforme les corps en viande.



Le bruit. La chair. le sang. La mort au bout du couteau. Pour les bêtes. Pour les hommes ?



Timothée Demeillers, dans son deuxième roman, « Jusqu'à la bête », découpe la vie d'Erwan, jeune employé d'un abattoir près d'Angers pour nous plonger dans les tréfonds de son âme et de sa condition d'ouvrier, en France, aujourd'hui.

Son écriture est comme une lame. Elle incise sans pitié, ni pathos. À travers une atmosphère, que j'ai tenté simplement de restituer dans cette chronique, elle montre une condition humaine que l'on voudrait ne pas connaître.

Car plus des bêtes, il s'agit des hommes dans ce livre. de leur condition sociale. Et de leur transformation au rythme de l'usine, au rythme des « clacs » de la machine qui tombent comme des couperets.

« Jusqu'à la bête » ?



Lu en octobre 2017.



Mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires
Lien : https://www.fnac.com/Jusqu-a..
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Demain la brume

Début des années 90 à Nevers, Katia Koné redouble sa terminale, écrit de la poésie, et s’ennuie ferme. Sa rencontre avec Jean-Luc, jeune homme atypique va illuminer son quotidien et marquer le début d’une histoire d’amour mouvementée. Sur l’île yougoslave de Hvar c’est l’été, Damir, son ami Jimmy et sa cousine Nada vivent leurs derniers moments d’innocence et composent « Fuck you Yu » qui deviendra le premier tube des « Bâtards célestes », duo punk-rock formé par les deux compères.



« Demain la brume » s’articule autour de deux arcs narratifs, l’un situé dans une France provinciale un peu endormie et l’autre dans une Yougoslavie qui, à peine sortie du communisme, est déjà sur le point de sombrer dans la guerre civile.



L’auteur décline un récit à plusieurs voix, celle de Katia qui découvre une forme de liberté, celle d’Amir, musicien poète qui refuse la guerre civile sur le point de naître, celle de Jimmy, rockeur au succès éphémère enrôlé dans une milice croate qui tente de défendre Vukovar et celle de la belle Nada engagée dans un commando serbe qui s’efforce de reprendre sa ville natale.



Alternant les points de vue et les ressentis de chacun, le roman ressemble à un tableau impressionniste et nous décrit par petites touches le début du conflit qui va déchirer ce qui s’appelle encore la Yougoslavie. La légèreté, l’insouciance et les rêves des jeunes protagonistes vont progressivement laisser place au déferlement de la haine séculaire qui oppose Serbes et Croates puis à l’horreur absolue de la guerre fratricide qui éclate au coeur de Vukovar.



L’engagement de l’insaisissable Jean-Luc auprès de la milice croate qui défend Vukovar est la touche finale qui rassemble l’ensemble des protagonistes du roman devenu un tableau apocalyptique qui fait songer à Guernica. La ville natale d’Amir et de Nada va se transformer en ville martyre prise en étau entre Serbes et Croates et devenir l’épicentre du drame qui se joue entre les personnages.



Dans un style toujours fluide et souvent empreint de poésie, Timothée Demeillers nous propose un ouvrage protéiforme, mêlant ombre et lumières, explorant les rêves et les désillusions d’une génération, qui permet d’appréhender un conflit à la fois si proche et si lointain. L’innocence et la joyeuse légèreté du début du récit ne sont qu’une parenthèse éphémère d’un roman consacré au désenchantement d’une jeunesse sacrifiée qui va prendre part à un affrontement d’une indicible sauvagerie. « Demain la brume » est un livre sombre comme une nuit sans lune, qui ressuscite avec maestria les tourments mélancoliques de l’âme slave et nous plonge aux cœur des ténèbres de la guerre des Balkans dont la violence explose telle une grenade au visage sidéré de son lecteur.





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Demain la brume

«Ce cataclysme qui nous écrasés»



À travers les portraits de jeunes qui ont envie de mordre la vie à pleines dents, Timothée Demeillers raconte comment en 1990 la Guerre s’est invitée en Europe. Et a balayé leurs rêves, de Nevers à Vukovar.



Dans ce beau roman choral, Timothée Demeillers présente successivement les personnages qui vont nous accompagner au fil des chapitres et qui finiront par se croiser bien plus tard. On commence par Katia Koné, une jeune fille de dix-neuf ans qui a soif de vie. Elle s'ennuie à Nevers où il ne se passe rien en ce début d'années 90. Le seul petit titre de gloire des habitants aura été nomination de Pierre Bérégovoy au gouvernement.

Après le lycée, il lui reste la musique – sa chambre est tapissée de posters des Clash – et l’envie de prendre le large. L'occasion va s'offrir à elle lorsqu'elle rencontre Pierre-Yves, musicien punk. Lors d'une soirée chez une copine, il va lui propose non pas de la ramener chez elle, mais d’aller jusqu’à Paris. Un voyage qui va changer sa vie.

Changement d'univers dans le second chapitre. Nous sommes cette fois dans l'ex-Yougoslavie, au moment où Tito meurt et où les pays de l'est vont basculer les uns après les autres. C'est là que nous faisons la connaissance de Damir Mihailović qui, avec Nada et Jimmy, ont formé un groupe de rock contestataire baptisé les Bâtards Célestes. Lors d'un concert, il se font remarquer en interprétant Fuck you Yu qui ne va pas tarder à devenir l'hymne de tous ceux qui aspirent à davantage de liberté et d'indépendance dans cette Yougoslavie qui a rendu l’âme, même s'ils n'entendent pas pour autant être récupéré par les nationalistes Croates qui poussent les feux. Peur eux, il n’est pas question d'être inféodé à un quelconque pouvoir.

Nada, quant à elle, se retrouve aussi désœuvrée que son père, licencié après vingt-cinq ans à l'usine de Vuteks. Une décision que Milan, son ami d'enfance, explique comme un choix politique: il faut éloigner tous les Serbes. Nada n'y croit pas trop. Mais en cet été 1990, elle décide de «faire attention».

Des extraits du journal intime de Sonja Kojčinović viennent s'intercaler au fil d'un récit qui se tend de plus alors qu’en France ce qui se trame à quelques centaines de kilomètres est vécu dans une indifférence quasi-totale.

On sent combien Timothée Demeillers s’est documenté et combien il essaie, en détaillant les exactions commises, d’éviter tout manichéisme. Cette saloperie de guerre ne peut être propre, obligeant bien malgré eux les gens à prendre parti. Pierre-Yves pourra témoigner de cette horreur, lui qui rêvait d’aventure va se retrouver en première ligne là où «la civilisation est réduite à un panorama jaune, brûlé, constellé d’impacts, de jardins labourés, de bicoques éventrées, de débris de désolation». Roman puissant qui peut aussi se lire comme une piqûre de rappel face à la montée des nationalismes, aux solutions populistes, mais aussi au déni de réalité, à cette furieuse envie de tourner la tête pour ne rien voir. Alors s’élèveront les paroles de «Le vent froid a gommé les frontières», une chanson composée alors, la houle a atteint les arbres des forêts, a obscurci les sentiers de montagne, laissant des villes brûlées, du gros sel et les cris du silence, demain la brume, demain la brume.




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Jusqu'à la bête

Clac, clac, clac...



Le bruit sec, froid et sans émotion de la lame qui coupe, tranche, sépare et dépèce les bovins dans les abattoirs rythme ce livre atypique. Comme il rythme sans aucun répit la vie des femmes et des hommes qui y travaillent.



Comme Erwann, entré à l'abattoir pour un job d'été, puis de CDD en CDI, qui n'en est jamais ressorti. Mais qui est aujourd'hui en prison, la vie désormais rythmée par d'autres clac, clac, clac. Que s'est-il passé ?



Timothee Demeillers nous offre une plongée très noire et réaliste dans le monde ouvrier contemporain, celui du travail déshumanisé, de la cadence qui rend fou, du travail qui n'offre plus de sens aux vies qu'il absorbe.



Chapitre après chapitre, on découvre par bribes des morceaux de la vie d'Erwann qui constituent autant de pièces du puzzle de son inexorable descente aux enfers : l'enfance sans amour, l'amour sans lendemain, le futur sans avenir, le travail qui rend fou...



Jusqu'à la bête m'a toutefois laissé un sentiment ambigu, avec une toile de fond noire et réaliste que j'ai particulièrement appréciée, mais une structure de narration hachée et nerveuse (alternance du court et du - très - long) qui a fini par me lasser avec, parfois, un sentiment de répétition de certains thèmes.



Mais l'ensemble reste original et l'auteur prometteur.
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Jusqu'à la bête

Ce récit à la première personne de la vie d'Erwan, un employé d'abattoir angevin, est marqué par la répétitivité. Répétitivité des gestes, des relations superficielles avec les collègues les plus proches dans la chaîne d'abattage, des week-end seul ou partageant un barbecue avec d'autres collègues. Après une enfance sans affection parentale, peu d'avenir et l'impression d'être complètement absorbé par chacune des tâches précises de l'abattage. Erwan a cependant vécu une éclaircie lors d'une aventure estivale avec une étudiante en emploi d'été. le reste, c'est cette impression d'absurdité et d'incompréhension.



Le thème aurait pu susciter l'intérêt, d'autant que l'auteur s'est manifestement renseigné. Mais sa prose est à mon goût imbuvable. Au prétexte de partager les pensées intimes d'Erwan, le lecteur enchaîne des phrases sans fin, les idées (noires) se succédant à coup de virgules.

Dans cette histoire triste, j'avoue avoir eu deux éclats de rire. Le premier en comptant soigneusement la longueur d'une phrase vers le milieu du livre : vingt et une lignes d'affilée. Le deuxième, deux pages plus loin, la phrase s'étire, s'étale, se traîne, sur au total deux pages et demi. La forme tue le fond, l'abat, le découpe, le trucide...
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Jusqu'à la bête

Erwan est en prison à Rennes depuis deux ans.

Pourquoi ?

On ne le saura qu'en fin de livre.

Avant, il travaillait à l'abattoir d'Angers.

Boulot épuisant, éprouvant, sans répit.

Dans le sang et les odeurs.

Des cadences difficiles à suivre.

Clac

clac

clac

le bruit de la chaîne qui continue et ne s'arrête pas.

Clac

clac

clac

Même quand on est rentré chez soi.

Heureusement, il y a Laetitia, la jeune saisonnière, un rayon de soleil dans ce monde inhumain.

Même chez les plus jeunes, un seul espoir, un seul objectif, la retraite.

Pour sortir de cet enfer.



Un livre aussi magnifique qu'il est noir et plombant.

Pas de chapitres.

Tout s'enchaîne

Clac

clac

clac

une écriture qui ne laisse pas de répit, comme cette chaîne obsédante.

Qui nous plonge au cœur de cette vie automatisée, inhumaine.

Cette vie qui sent le sang du bétail qu'on tue, qu'on dépèce, qu'on trie, qu'on transporte......

Une écriture qui nous emmène au sein de l'abattoir.

Une écriture qui dénonce les conditions de vie inacceptables de tant de gens qui travaillent dans toutes ces chaînes, ou autres emplois difficiles, pour un salaire misérable qui leur laisse juste de quoi vivre.

Quel autre espoir que la retraite ?

Mais dans quel état physique et psychique seront-ils ?

Auront-ils encore la force d'en profiter ?

Ce sujet de la condition au travail est peu traité en littérature.

A part dans le très beau livre de Joseph Ponthus : A la ligne : feuillets d'usine.

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Prague, faubourgs est

Avec son livre, « PRAGUE, FAUBOURGS EST », Timothée Demeillers a voulu montrer l’évolution de Prague des années quatre-vingt-dix à aujourd’hui, et le passage de la fin du communisme avec cette espèce d’effusion de joie intense qu’amenaient le capitalisme et la société de consommation, mais aussi avec toute cette déception et cette nostalgie qui se développaient, et avec notamment tous ces laissés-pour-compte, des gens qui finalement n’ont pas pris le bon train vers le capitalisme et qui se retrouvent un peu abandonnés. C’est en s’emparant des fantasmes sordides des touristes à coups de trafics douteux que les laissés-pour-compte de Prague gardent la tête hors de l’eau !



Timothée Demeillers a depuis longtemps une passion pour l'histoire de l'Europe centrale et cela l'a amené à poursuivre des recherches sur les populations Roms de Slovaquie et de République tchèque. Après avoir été guide touristique et s’être lancé dans de longs voyages à travers l'Europe de l'Est, en tant que journaliste, il a vécu pendant plus de trois ans à Prague, qu’il trouve fascinante par certains aspects.



« PRAGUE, FAUBOURGS EST », c’est l’histoire de trois personnages : Marek, Jakub et Scott.

Marek revient à Prague après avoir passé sept ans d’un exil aux USA, où il pensait vivre le rêve américain. Mais Prague a bien changé ! On dilapide la ville qu’il a aimé. Les touristes occidentaux l’ont envahie et gangrénée durablement.

Jakub, l’ancien compère de Marek, est un prince de la nuit pragoise, qui a énormément de charisme.

Marek le retrouve complètement déchu, car il est tombé dans l’alcool et la drogue, et il est devenu très amer par rapport à la personne qu’il était avant. Jakub tente de combler ce paradis perdu à coups de paradis artificiels qui le détruisent.

Scott, lui, est un touriste américain, sans foi ni loi, qui arrive à Prague pour trois jours de fêtes, de sexe et d’alcool !

Trois récits se mélangent. Ces trois personnages vont se rencontrer, et vont alors émerger des réflexions sur les visions que l’Est portait sur l’Ouest et vice-versa. Notamment dans cette espèce d’orientation où plein de gens viennent à Prague dans ce tourisme de masse pour à la fois revivre le communisme au moment où Prague tente de s’en échapper et à l’inverse pour des bières et des filles pas chères, et des fêtes sans limites. Cette espèce d’image de l’Est, et cette image de rêve américain ou de rêve d’Eldorado sont très présentes dans ce livre.



Timothée Demeillers apprécie beaucoup un écrivain polonais, Andrzej Stasiuk, qui écrit de façon nostalgique sur l’époque des peuples de l’Empire Austro-Hongrois, qui vivaient côte à côte et dans des sortes d’endroits qui aujourd’hui sont gagnés par une forme de tristesse et par le nationalisme.

Timothée Demeillers, pour écrire ce livre, a été aussi influencé par Bohumil Hrabal, par ce monde des déshérités, de cette sorte de société tchèque un peu souterraine et marginale, qui vivote dans des bars de banlieue et qui boivent des chopines de bières…

Il a été influencé également par la nouvelle vague du cinéma tchèque des années soixante, avec cet état d’esprit désireux de liberté artistique.



Il porte au travers de ce roman un regard lucide sur un pays qui avait fondé tant d’espoir avec sa Révolution de Velours, et il dénonce les dérives du régime post-révolution… policiers corrompus, qui profitent des faiblesses du régime, augmentation du nombre de pickpockets, avec les arrivées en masse des touristes en mal de pittoresque, etc. Pour l’auteur, la vague d’insouciance et d’optimisme que cette révolution amenait, est révolue.



Son style est direct, et fait mouche ! Il y a des phrases très « hard », écrites avec des mots très crus, d’un registre sexuel aussi. Mais vu le contexte, je trouve que ce ne sont ni des mots, ni des phrases écrits de façon gratuite. C’est sombre, mais c’écrit aussi avec des notes d’ironie et d’humour.

J’ai trouvé que son style d’écriture est assez ressemblant à celui de l’écrivain tchèque contemporain Jaroslav Rudiš, notamment dans son livre « Avenue Nationale ».



Marek et Jakub ont Prague dans la peau, mais ne savent plus comment se la réapproprier.

On les sent guidés par la question du sentiment d’appartenance : qu’est-ce que se sentir chez soi ?

Dans ce livre, Timothée Demeillers écrit un spleen urbain. Ses réflexions sont sans concession. Elles nous guident à travers les voyages intérieurs des exclus du monde moderne.

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Jusqu'à la bête

A l'heure des procès aveugles et sourds sur la condition des animaux dans les abattoirs Thimothée Demeillers rappelle à tous les bien pensants de notre société qu'il y a des hommes aussi et que pour eux aussi la souffrance est leur quotidien jusqu'à l'excès....

Livre dur , sincère, émouvant et beau, d'une grande justesse qui au travers de la destinée du jeune Erwan dresse le portrait de ces travailleurs dont on ne veut pas voir ni comprendre la condition...le froid , la mort , les odeurs , la vision d'une vie sans avenir...Abandonnés voilà
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Jusqu'à la bête

Dans un abattoir des environs d’Angers, Erwan trie les carcasses de vaches dans un frigo. Une vie rythmée par le claquement régulier des crochets à viande et le bruit des scies. Abruti par son travail répétitif, se sentant vieillir bien avant l’âge, usé par les gestes répétitifs et le froid, Erwan n’a d’autre horizon que l’usine avec, peut-être pour seule lueur si ce n’est d’espoir, au moins de rêve d’évasion, Laëtitia, l’intérimaire venue pour faire la saison.

Quelques années plus tard, le tic-tac de l’horloge de la cellule de prison a remplacé le clac de la chaîne de l’abattoir et, entre les monologues de son codétenu yougoslave et le vide bruyant de la télévision, Erwan pense à sa trajectoire, à la vie qui a fini par le mener là.

Jusqu’à la bête n’est pas un manifeste vegan, disons-le tout de suite, même s’il fait nécessairement une place à la réflexion sur la manière dont est produite la viande industrielle ; celle que l’on retrouvera dans les barquettes des hypermarchés, les hamburgers des fastfoods ou les plats préparés surgelés. Timothée Demeillers, de fait, n’a pas choisi de placer son personnage dans une usine de boulons et ce n’est pas innocent. La mise à mort industrielle avec tout ce qu’elle comporte d’absence d’émotions, d’hygiénisme à outrance qui ne suffit malgré tout pas à nettoyer les consciences de ceux qui doivent tuer et dépecer à la chaîne, la réification du vivant jusqu’à l’obtention d’un produit qui semble créé ex-nihilo fait bien entendu écho à la déshumanisation de l’ouvrier devenu un outil comme un autre, interchangeable et incapable de sortir de cette condition jusqu’à, nous dit Erwan, espérer la retraite tout en craignant qu’elle ne l’achève faute de pouvoir être autre chose que cet objet animé que l’entreprise a modelé pendant des décennies.

C’est tout ce cheminement, de la déscolarisation à l’opportunité d’obtenir un CDI dans la seule entreprise viable d’une marge en crise, puis la perte progressive des quelques rêves qui restent, que décrit Timothée Demeillers à travers la voix d’Erwan. L’abrutissement par le travail et ce que l’on prend pour supporter la cadence, les relations sociales superficielles entre des gens qui, en fin de compte, n’ont en commun que l’usine, le fossé entre ces ouvriers et les cadres qui semblent ne voir en eux que des machines – au mieux – ou d’autres carcasses – au pire – et, finalement, parfois, la façon dont tout cela finit par déborder à force de frustrations et d’humiliations.

Timothée Demeillers donne la parole à Erwan et le laisse conter tout cela jusqu’à l’inéluctable fin ; il le fait avec une plume précise, non pas sèche mais sans affèteries – ce qui n’empêche ni de faire sentir et entendre l’abattoir ni de donner au texte une beauté trouble – et offre à lire un roman social de grande qualité.


Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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Jusqu'à la bête

De tous les personnages que j’ai croisé dans mes lectures, j’ai rarement eu droit à un qui bosse dans un abattoir aux environs d’Angers. On peut même dire que c’est assez rare dans la littérature.



Erwan bosse à la chaîne, baigne dans le sang des bovins qui arrivent dans son frigo et son boulot est répétitif, sans embellie aucune pour cet jeune homme qui a quitté l’école trop tôt que pour lui donner accès à d’autres professions plus lucratives et moins abrutissantes.



Bosser dans un abattoir, au milieu de toutes ces carcasses de viande, de leurs tripailles, de leur sang, fait que lorsque vous rentrez chez vous, malgré la douche, malgré le savon, vous ne sentez pas la rose printanière. Cette odeur est engoncée dans vos narines et elle vous poursuit partout.



Erwan va nous conter sa vie, une partie de son enfance, son boulot abrutissant, ses chefs narquois, sa recherche de l’amour et sa déchéance car dès le départ, nous savons qu’il est en prison, mais sans savoir le délit ou le crime qu’il a commis.



Non, ce roman noir n’est pas un manifeste vegan ou végétarien, loin de là, ce serait réducteur de l’accuser de cela. Il est un fait que durant sa lecture, on grincera des dents en découvrant le travail dans les abattoirs et on ne regardera plus la barquette de viande dans un hypermarché de la même manière et sans avoir une pensée pour tous les Erwan qui ont trimé pour que nous l’ayons au rayon froid.



Lors de ma lecture,j’ai repensé à une de mes connaissances qui est devenue végétarienne et qui avait un jour, fait une charge assez virulente sur les employés d’un abattoir, les accusant d’être des assassins.



Lorsque je lui avais souligné que s’ils faisaient ce métier, c’était plus de manière alimentaire, parce qu’ils n’avaient sans doute pas le choix d’un autre métier et que les cadences devaient être infernales, elle n’avait rien voulu entendre. Trop jeune elle était, avec une vision du Monde en noir et blanc, sans nuances aucune.



Si ce roman ne fera pas de moi une végétarienne, il pousse tout de même à la réflexion de savoir qui est responsable de toute cette merde dans les abattoirs.



Est-ce de la faute des ouvriers qui sont sans cœur, ou est-ce la faute des directions qui veulent toujours pousser plus fort la chaine pour arriver à des rendements de malade, quitte a pousser ses travailleurs jusqu’à ce qu’ils tombent ?



Ou tout simplement est-ce la faute à la société de con-sommation qui consomme toujours plus, qui consomme mal, qui ne vit que par la consommation de masse, voulant toujours plus alors qu’elle n’en a pas un besoin vital ?



Un peu de tout ça, bien que je classe les ouvriers des abattoirs en fin de liste car j’ai l’impression qu’ils ne sont que les symptômes résultant de notre société malade et de cette course au profit puisque la réserve de bras est inépuisable. L’un tombe ? Il y en a d’autres qui attendent sa place.



Ce roman noir est sanglant, non pas à cause d’un crime, mais à cause de cette société qui consomme trop et qui se fiche de savoir si d’autres trinquent derrière pour arriver à produire cette masse ou si les éleveurs vendent à un bon prix leurs bêtes vivantes (et là, je vous assure que non, ils ne gagnent pas assez, les intermédiaires s’en foutent plein les poches, mais pas les agriculteurs).



Un roman social dérangeant, qui gratte là où ça fait mal, qui pique, nous offrant un personnage principal dont le portrait tourmenté est plus que réussi, qui suscite l’empathie et on le plaint car sa déscolarisation a fait qu’il n’a pas eu de nombreuses possibilités d’embauches, la crise n’ayant pas arrangé le reste non plus.



Un roman social noir troublant… Horrible… Beau et puissant. Une écriture qui n’a pas puisée son encre dans les bas morceaux de la bête, mais dans son arrière-train, là où se trouvent les plus nobles quartiers de barbaque.



Un roman social qui laisse un goût amer en bouche, un goût de sang.


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Jusqu'à la bête

Un roman fort sur un sujet hypocritement ignoré, celui de l’enfer quotidien de ceux qui travaillent dans les abattoirs. Tout ce que ne montrent pas les

barquettes de viande, propres et appétissantes, de nos supermarchés. Les obsessions d’Erwan nous éclaboussent, comme le sang des vaches qu’on dépèce. Un texte très réaliste, un style dépouillé, une écriture efficace, et la découverte d’un monde qui gêne. A lire parce que c’est aussi ça, notre société et que la vision qu ‘en donne Timothée Demeillers sonne très juste.
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Jusqu'à la bête

Difficile d’imaginer combien un travail à la chaine peut être destructeur physiquement et psychologiquement. Erwan travaille dans un abattoir de la région angevine et son récit dégage une telle force d’évocation qu’on se sent propulsé avec lui dans sa chambre froide. Avec lui on subit à répétition les bruits des carcasses de viande sur leur rail d’acier, les odeurs, le sang omniprésent, les collègues à l’humour douteux, les chefs hautains, la fatigue, l’écœurement, la honte de soi, les regrets de ne pas avoir étudié. Et la belle Laetitia ne suffira pas à éviter le drame. Couronné par trois prix littéraires, ce roman noir terriblement réaliste de l’angevin Timothée Demeillers se lit comme un témoignage qui frappe juste et fort !

Profitez de la réédition récente à 10 € !
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Voyage au Liberland

Une nouvelle fois les éditions Marchialy nous proposent une étonnante histoire vraie avec ce « Voyage au Liberland ».



A la frontière entre la Croatie et la Serbie existe un petit bout de terre qu'aucun pays ne revendique : une terra nullius. Une aubaine, un rêve même, pour Vít Jedlička qui décide d'y créer en 2015 une micronation basée sur une doctrine libertarienne, le Liberland.



Son projet va attirer de nombreuses personnes de tous horizons, mais qui tous prônent un libéralisme radical. Loin d'être une utopie bienveillante et fantaisiste, l'idée même du Liberland s'avère rapidement cynique et plutôt immorale. Les futurs citoyens ne sont pas sans rappeler les colons de la conquête de l'ouest américaine, assoiffés de gloire et d'argent. Cette vision profondément égoïste et individualiste est d'ailleurs une des plus grandes faiblesses du Liberland, incapable de rassembler toutes ces personnes aux idées radicales et souvent opposées. le chapitre consacré à l'éphémère forum du Liberland est en ce sens très révélateur et consternant.



Les profils de nombreux potentiels citoyens sont très bien brossés et permettent de comprendre leurs motivations, souvent issues d'un rejet de l'Etat, soupçonné d'être responsable de tous leurs problèmes. Tout ce beau monde a une tendance à adhérer aux idées complotistes habituelles, justifiant d'autant plus pour eux la nécessité de créer le Liberland. La personnalité du président Vít Jedlička est étonnante mais reste assez difficile à cerner.



L'enquête de Timothée Demeillers et Grégoire Osoha est minutieuse et bien construite. de l'idée de départ aux tentatives avortées d'investir les lieux, des démarches pour faire reconnaître le Liberland par d'autres pays aux conflits internes constants, chaque sujet est abordé avec clarté et précision.

Les journalistes arrivent à insuffler du romanesque dans leur récit grâce à des descriptions des lieux et des paysages, mais aussi grâce à des personnages bien croqués. Cela rend la lecture plus fluide et savoureuse.



Un bon cru des éditions Marchialy dont j'apprécie toujours autant la ligne éditoriale et la facture soignée (couverture et illustrations de Guillaume Guilpart, typographie originale, mise en page, qualité du papier).
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Jusqu'à la bête

Certains passages sont insoutenables...

Erwan travaille dans un abattoir, dans le bruit et l'odeur du sang.

Il rencontre Laetitia, saisonnière dans l'établissement et c'est l'amour fou.

J'ai beaucoup aimé ce que ce livre contient d'humanité, d'espoir et de désespoir, d'engagement aussi.

Difficile pour moi de parler de ce livre sans émotion.

Une très belle prose au service d'une grande cause.
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Prague, faubourgs est

Après quatre années d’existence, les éditions Asphalte publient enfin leur premier roman français. Il aura fallu du temps avant que les éditrices trouvent en France la perle rare collant au plus près à leur ligne éditoriale, à savoir une littérature urbaine, cosmopolite ou du voyage.

Timothée Demeillers a il est vrai l’avantage de coller à ces trois acceptions. Auteur français il met en scène des personnages tchèques, américains, et tchèque émigré aux États-Unis dans une Prague à la marge des circuits de l’Office du tourisme.



Les destins croisés de Marek, qui a quitté sa ville à l’aube des années 2000 pour l’Amérique, de Jakub son meilleur ami resté sur place et a fini par sombrer dans la drogue et l’alcool et de Scott le touriste américain attiré par la bière pas chère et surtout les filles faciles sont l’occasion pour Demeillers de dresser le portrait âpre d’une ville passée trop vite de derrière le rideau de fer au capitalisme triomphant et à ses corolaires : explosion des mafias se livrant à la traite des femmes, tourisme sexuel de masse, enrichissement d’une minorité au détriment d’une majorité qui prend de plein fouet un libéralisme sauvage qui au lieu de la sortir comme elle pouvait l’espérer d’un statut d’esclave du régime l’a simplement fait esclave d’un autre.



Prague, faubourg est sans doute avant tout le récit par Marek de cette désillusion, de la perte progressive de l’espoir d’une vie meilleure dans son pays natal et, en fin de compte de la distance qu’il a prise vis-à-vis de ce dernier et de son ancienne vie. Et avec cela aussi, une certaine forme de mépris pour ce qu’il a été, pour ce que son ami et son pays sont devenus en même temps qu’une réelle nostalgie d’une jeunesse qui, s’il a cru la vivre à fond, lui a peut-être aussi échappé au bénéfice de Jakub dont la déchéance suscite elle aussi des sentiments contradictoires ; une sorte de tristesse, certes, mais peut-être aussi une certaine forme de revanche.

Au milieu de cela, Scott et ses amis incarnent cet Occident triomphant et sûr de sa supériorité qui a fait de la république Tchèque sa putain. Une putain qu’ils ne veulent voir que comme consentante pour éviter d’avoir à se regarder en face.



Roman du désenchantement et du renoncement, Prague, faubourg est révèle une plume acérée et précise qui sait dire la grisaille des âmes et des espoirs déchus d’un avenir radieux. Concis sans pour autant être dépouillé, il frappe fort et juste quand bien même on pourra regretter la trop allusive présence du personnage de Katarina et de son importance dans la relation entre Marek et Jakub. Bref, un auteur et un livre que l’on gagne à découvrir.


Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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