AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Yoann Barbereau (114)


Le mot toussovka manque à la langue française. Il est apparu en Russie à la fin du XXe siècle, vraisemblablement dans les milieux criminels. Il est employé par tous aujourd’hui pour désigner une société d’hommes ou de femmes partageant des manières d’être, des centres d’intérêt, une
profession, des idées politiques, et parfois tout cela en même temps. À Irkoutsk, il y avait une remarquable toussovka de femmes d’affaires, elles tenaient salon, attiraient à elles les philanthropes et les mécènes ; il y avait une toussovka rassemblant les jeunes chefs d’entreprise amateurs de vins, de spiritueux hors d’âge et de barbes savamment taillées ; il y avait la toussovka des opposants politiques, soit une poignée de journalistes, d’artistes et de blogueurs contestataires
Commenter  J’apprécie          80
On peut se figurer des désirs et même si l’on veut un destin, mais on sent surtout les hasards essentiels. C’est un vertige, c’est hors de portée, ça finit en général dans un rire. Par jeu, on prend n’importe quelle scène et on divague. On s’imagine ailleurs, on se voit dans une autre peau.
Commenter  J’apprécie          80
À l’époque soviétique, « Sibérie » est devenu un autre nom du goulag. Les tsars avaient déporté déjà, les Soviets instaurèrent le royaume des camps. Et si la Sibérie est autre chose, naturellement, le mot goulag lui colle aux basques. Il y a les livres de Soljenitsyne, de Chalamov et de Guinzbourg. Il y a la boxe rigoureuse et résolue d’Alexandre, la claque sèche et décharnée de Varlam, la frappe directe et grave d’Evguénia. Ces trois-là ont cogné des textes dont on ne sort pas indemnes. Et tant mieux.
Commenter  J’apprécie          80
Elle avait la force de celles qui reviennent de loin, d’une maladie qui deux ans auparavant aurait pu l’emporter. Elle avait vingt ans. De nous deux, j’étais l’ingénu.
Elle connaissait quatre langues, elle faisait des mots ses armes. Dans la même phrase, sa bouche mêlait une perle et une délicate obscénité. Nous avons devisé longuement, passé en revue les essentiels, avant qu’elle me demande si j’avais avec moi ces petites redingotes en latex dont usent les amants.
Commenter  J’apprécie          80
La joie toute cristalline des amours débutantes en somme, les colloques passionnés sur les pavés de la rue Pouchkine, les étreintes impudiques, la griserie des nuits sans fin, la beauté des matins paresseux et lascifs.
Commenter  J’apprécie          80
La règle générale veut que l’amour soit mort pour pouvoir paraître dans un livre.
Commenter  J’apprécie          80
Mais voilà, quiconque veut écrire ses amours s’expose à la catastrophe. Il a devant lui les chausse-trapes de la péroraison, de la colère parfois, il risque toujours la cécité.
C’est ce que j’appelle la malédiction du rameau.
Une branche d’arbre rabougrie, effeuillée par l’hiver, passe quelques mois dans les profondeurs abandonnées d’une mine de sel. On l’en sort, elle est couverte d’une myriade de cristaux étincelants. Le rameau primitif a été magnifié par son séjour, il est méconnaissable.
On parle parfois de cristallisation amoureuse. On recouvre l’être aimé de mille qualités aussi éblouissantes que chimériques.
On parle plus rarement de cette cristallisation étrange qui vient mordre sur les écrivains. Celui qui prétend donner lecture de son histoire d’amour descend toujours en quelque manière au fond d’une mine de sel. Le risque est grand.
Commenter  J’apprécie          80
« L’impossible est tout ce que j’aime », écrit le bien nommé Innokenti Annenski. Je tiens cette citation de Marina Tsvetaeva, poétesse de tous les amours.
Comment faire le portrait de Margot depuis cette cage au fond de laquelle peut-être elle m’a précipité ? Il me faut y voir clair.
Je ne suis plus exactement dans les geôles de Sibérie au moment où j’écris ces lignes, et pourtant j’y suis. Je n’en sortirai que lorsque le dernier mot aura été posé, extrait de ma peau et tracé enfin sur une dernière page.
Ne pas rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre.
Commenter  J’apprécie          80
Macha n’est que bonté, elle est de ces êtres incapables de médisance, toujours fidèles au poste et à l’humanité. Je l’entends me dire : « Yoanntchik, il faut te reposer à présent, fais de jolis rêves et à demain. » Dans les geôles de Sibérie, la voix de Macha vient me consoler, c’est un miel. J’ai pris des leçons auprès des femmes russes. C’était attendu. Elles m’ont instruit : Olga, Macha, Irina et beaucoup d’autres encore. Me voilà en taule pour parfaire mon éducation. C’est dans l’ordre. Tout se déroule comme prévu. Un roman d’apprentissage russe comporte ses figures imposées. Les trois sœurs travaillaient à l’université pédagogique, elles formaient les futurs enseignants de français. C’est là que, moi aussi, je devais dispenser quelques heures de cours et monter une troupe de théâtre. Un peu comme le reste du pays, la chaire de langue française tenait debout grâce à l’opiniâtreté de quelques courageuses.
Commenter  J’apprécie          80
J’étais devenu un moujik comme un autre, un moujik parmi les moujiks, un moujik qu’on pouvait arbitrairement jeter en taule comme n’importe quel moujik.
En somme, mon intégration était achevée. Je pouvais être fier.
Commenter  J’apprécie          80
On entretient les apparences au cas où, car on sait que dans certaines situations et pour certains clients le vent peut tourner. Alors, on cultive un code de prudence, la façade fraternelle ; on est affable tout en servant avec zèle le grand pilon à écraser la chair des hommes.
Commenter  J’apprécie          80
J’étais assis dans un commissariat, ce 11 février, au milieu de la Sibérie, il était peut-être 14 heures, 15 heures, la faim se faisait à peine sentir. J’étais face au chef de l’enquête, poignets de plus en plus entaillés par les menottes, et toujours sous la surveillance du sbire en cagoule qui, depuis les premières baffes, ne m’avait pas quitté.
Commenter  J’apprécie          80
Aucun doute, on voulait ma tête. Tout était permis. Derrière cette mise en scène maladroite et parfaite, il y avait quelqu’un de déterminé. Il ne s’agissait pas d’intimidation. Il ne s’agissait pas de racket. C’était sans retour, on me le fit bien voir, et cela venait de haut, c’était donc sans aucune tenue. Ils auraient ma peau.
Ils l’avaient.
Commenter  J’apprécie          80
Je suis dans la merde et je vous emmerde.
On me laisse mariner. Puis, on revient à la charge. Les choses s’installent. Le manège dure plusieurs heures. J’ai le droit au tarif ordinaire, j’imagine, au traitement qu’administrent à leurs patients les flics et barbouzes se sachant libres de tambouriner. Ils cognent mais dans les règles, c’est-à-dire sans laisser de traces – du moins rien de trop évident. Ils ont la méthode, ils me préparent, c’est ce que je comprends depuis le tréfonds du somnambulisme dans lequel je suis confortablement installé. Ils sont au travail. Ils tentent d’agir sur ma volonté, me dis-je, c’est dans l’ordre.
Commenter  J’apprécie          80
Tel un sultan ou une odalisque, noir comme la suie, un chat énorme était affalé sur le canapé. Il se prénommait Béhémoth, minaudait, jouait avec ses moustaches démesurées tout en se riant ouvertement de mon accoutrement. C’est que je portais pour dormir – et ce matin-là – un T-shirt rouge offert par une amie passionnée d’héraldique, avec sur le cœur le dessin très fin d’une créature bicéphale, au plumage noir, armée, becquée et couronnée d’or. À gauche, on reconnaissait la tête d’un aigle, à droite celle d’un coq, un glaive dans une patte, et dans l’autre un sceptre qui pouvait être aussi un porte-plume. La figure ne représentait aucun empire connu.
Commenter  J’apprécie          80
Le froid et le gel sont deux mondes. Viktor était intarissable sur le sujet, il avait sa théorie. On peut la formuler simplement : la férocité, la cruauté et l’extrême sont le domaine du gel. Il y a certes un gel modéré, celui que l’humanité connaît en général, mais tout commence vraiment à partir de – 12 °C. On parle alors de gel significatif. À – 25 °C, le gel devient fort ; on peut sentir les cristaux de glace jouer dans les narines. Il est dit sévère ou cruel autour de – 35 °C ; il tanne, brûle la peau. L’ extrême se présente à – 44 °C ; et avec lui une autre manière de respirer.
Commenter  J’apprécie          80
"Autrefois, en Union Soviétique, ceux que l'on voulait enfermer, on les faisait passer pour des fous. Aujourd'hui, on les dit pédophiles. Cela suffit à décourager tous ceux qui voudraient se porter à leur secours. Mais qui donc est vraiment dupe d'une pareille rhétorique ?"
P. 243
Commenter  J’apprécie          70
Avec Margot nous avions longtemps fait tourner la machine à ronds de jambe, la machine à cajoler, à polir et à sourire, qui est aussi la machine à guerroyer, la machine à saper les rivaux, toute cette mécanique précaire et précise avec ses poulies, ses roues et ses courroies qui font une civilisation.
Commenter  J’apprécie          70
Un précepte guide les hommes du Quai d'Orsay : « En toutes circonstances, penser d'abord à se couvrir. » C'est une maxime qui se partage à voix haute ou basse, avec des variations, elle pénètre les corps et les esprits. Je tiens sa formulation la plus juste d'un personnage falot, rigolard, amer d'avoir écumé les cabinets sans obtenir les promotions qu'il convoitait. Je le croisai un jour au hasard d'une réunion moscovite, il énonçait dans un couloir les trois priorités des diplomates : « Cover your ass est la première, se servir est la deuxième, et ensuite nous servons l’État, quand nous sommes en capacité. »
Commenter  J’apprécie          70
Vous appartenez à un système détestable fait pour broyer les hommes, les femmes et les enfants, un système au service des puissants et des mafieux, un système qui ronge la Russie de l'intérieur. Pardonnez moi, je ne jouerai pas selon les règles du rôle qui m'est assigné. Je suis ici pour accuser, non pour me défendre...
P. 235
Commenter  J’apprécie          60



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Yoann Barbereau (791)Voir plus

Quiz Voir plus

Le café

Le mot français « café » provient de l’arabe « qahwa ». Vrai ou faux ?

vrai
faux

12 questions
16 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}