Tabou. Nous ne croyions pas si bien dire lorsque, nous proposant de parler de l'argent, nous suggérâmes qu'il s'agissait de transgresser l'un des derniers tabous. Formidable ambivalence, en effet, que cette conjonction du sacré et de l'impur - depuis Freud nous savons qu'il s'agit là des caractères fondamentaux du tabou - que sécrète ce mythe omniprésent qui irrigue notre quotidien comme il balise notre imaginaire.
Plus de trente années après, au moment de tracer ces lignes, j’en tremble.
Qu’y puis-je si son nom revient sans cesse sous ma plume? Si, alors que je descends en craquant les dernières marches de ma destinée, et que lui-même est déjà ailleurs, je me trouble toujours en l’évoquant?
Au fil des ans, je me suis épuré, dépassionné, presque désincarné. Je crois l’avoir déjà dit: je me suis éloigné de mon siècle et je me sens comme échoué sur une autre rive imprécise, dans une lumière diffuse comme on en voit dans un tableau de Giorgione. Mais, à sa seule évocation, je m’empourpre.
Aucun être au monde n’a provoqué en moi des sentiments d’une telle intensité. De l’admiration énamourée à la haine et au mépris, j’ai parcouru tout l’arc.
Beaucoup de choses que je dirai à son propos, je les ai prononcées ailleurs. Mais j’en révélerai d’autres, si je l’ose.
Comment en parler, rapporter ses paroles, le juger? Il faudrait que je puisse prendre de la distance, Faire comme si je décrivais de l’extérieur, impassible, les scènes dont nous fûmes les protagonistes. C’est illusoire, je le sais, mais que faire d’autre qu’essayer?
C’était le 12 octobre 1507 en fin d’aprés-midi.
Quand je suis entré dans l’imprimerie, j’ai vu un homme assis, bras croisés, près d’une fenêtre. Il s’est levé et m’a dit:
– Je vous en prie, veuillez dire à Messer Aldo que je suis là depuis plus d’une heure. Je suis Érasme de Rotterdam.
Etrange ambition. Faire des femmes non pas l'objet d'un discours, mais le sujet d'une enquête. Se laver au préalable de tout postulat, concept prêté ou idée reçue. S'éviter toute référence à un de ces appareils doctrinaires qui, mathématique amusante, totalise en réduisant. Se garder des étranes querelles qui nous ont valu déjà quelques Himalayas d'ouvrages savants et qui s'efforcent de démêler chez la Femme l'inné de l'acquis, la nature de la culture, l'éternel du conjoncturel féminin.
Avoir une femme qui gagne plus que moi ? Quelle aubaine ! : l'homme qui se prétend "nouveau" ne rêve, à l'entendre, que de cette forme moderniste de dot : la femme-cadre aux dents longues et à la feuille de paie aguichante. Qui lui permettrait, à lui, de déposer le titre vieillot et harassant de "chef de ménage".
Le partenaire de l'an 2000 n'envisage que rarement la question subsidiaire, celle de la "nouvelle" répartition des corvées ménagères !
A quoi rêvent les petites filles ? Au travail, aux garçons, à l'avenir mais pas au ménage