Ce tome est le cinquième dans une histoire complète en 9 neufs tomes. Il faut donc avoir commencé la lecture avec le premier tome Out from
Boneville.
Jeff Smith est le créateur de la série, dont il a scénarisé, dessiné et encré les 9 tomes. Cette édition bénéficie d'une mise en couleurs pertinente et intelligente, réalisée par Steve Hamacker.
Dans le tome précédent, Fone et Smiley
Bone avaient décidé de quitter le village de Barrelhaven pour rendre sa liberté au bébé rat-garou que Smiley prénomme Bartleby (en hommage à une nouvelle d'Herman Mellville). Dans les bois, le trio se retrouve face aux 2 rats-garous déjà rencontrés à maintes reprises. Ils réussissent à leur échapper et poursuivent leur chemin jusque dans une montagne rocailleuse et escarpée, où ils se retrouvent face à Rock Ja, un lion énorme. Ce dernier souhaite connaître leur allégeance avant de décider leur sort.
Dans le tome précédent,
Jeff Smith avait franchi le pas, en donnant une personnalité complexe à Fone et Phoney, au point de les mettre sur le même plan narratif que les autres êtres humains. Seul Smiley restait unidimensionnel. Au premier abord ce nouveau tome prend le lecteur un peu au dépourvu puisque Smith extrait les 2 héros du milieu des humains pour les faire interagir uniquement avec des animaux dotés de conscience et de la parole. Pour autant cela ne génère pas un nouveau hiatus, car les 2
Bone sont raccord avec ce type de personnages.
Avec ce tome,
Jeff Smith atteint son objectif de conteur sur plusieurs niveaux. Pour commencer ses personnages sont toujours aussi charmants et vivaces, tout en étant dépourvus de niaiserie et de mièvrerie. le trait de Smith est toujours aussi alerte, transcrivant avec une force de conviction peu commune les sentiments et l'état d'esprit des personnages. D'une manière remarquable, il donne une présence impressionnante à la ribambelle de petits animaux qui interagissent avec les
Bone. En particulier, les opossums et Roderick sont à craquer, sans être nunuches. Ils retiennent leur côté enfantin, leur esprit d'initiative, leur entrain, leur personnalité d'enfants. À l'opposé, Rock Ja dispose d'une apparence et d'expressions des plus suaves qui transcrivent son sentiment de supériorité et sa cruauté féline.
Les 2 rats-garous et les 2
Bone bénéficient d'une expressivité d'un niveau irrésistible. Dans ce contexte narratif d'une grande cohérence, leurs mimiques et leur langage corporel présentent une force et une justesse, permettant d'exprimer des nuances mesurées, qui reflètent chaque particularité de leur personnalité. Dans le tome précédent,
Bone a perdu son innocence, et il continue d'acquérir de l'épaisseur. Smiley reste le faire-valoir comique de la série (avec les 2 rats-garous) suscitant de francs sourires chez le lecteur (impossible de résister au comique visuel de situation quand il écarte les mâchoires d'un rat-garou pour vérifier qu'il n'a pas encore bouloté un petit animal).
Jeff Smith n'a rien perdu de son humour qui utilise différents registres de comique. Même les gags récurrents conservent leur impact, qu'i s'agisse de la quiche (avec une nouvelle variation introduite par les opossums) ou du caractère soporifique de la lecture à haute voix de
Moby Dick d'
Herman Melville, ou encore des poèmes écrits par Fone.
Avec ce tome qui constitue le milieu de la série,
Jeff Smith continue de donner de l'ampleur à son intrigue. le lecteur en prend particulièrement conscience quand il intègre une histoire des origines, découlant des soubresauts de la reine des dragons. Il développe également un autre thème qui n'avait qu'effleuré jusqu'alors : celui des rêves, avec la perception du bourdonnement de la Terre. Il commence également à resserrer les liens entre les différentes intrigues secondaires, que ce soient avec le rôle des sauterelles (le lecteur se rappelle que les 3
Bone avaient dû en affronter une nuée au début du premier tome), avec la légende du
Bone porteur de l'étoile, ou encore avec l'amulette de Thorn qui révèle son pouvoir à point nommé. Ainsi
Jeff Smith réussit également à maintenir le lecteur en haleine quant à ce qui se trame vraiment.
À un autre niveau de lecture, il apparaît que l'auteur commence également à creuser des situations et des notions épineuses. Au détour d'une conversation entre les 2 rats-garous, l'un d'eux explique à l'autre (page 74) que justement ce qui définit les monstres c'est qu'ils ne se contrôlent pas. Il s'agit d'un point de vue intéressant sur la nature de la monstruosité, abordée d'un côté social. L'individu qualifie quelqu'un de monstre quand il estime qu'il ne se contrôle pas. le dilemme que pose le bébé rat-garou aux
Bone illustre le tiraillement entre la nature et la culture (ou l'inné et l'acquis) chez l'individu. Ce bébé rat-garou peut-il vraiment s'intégrer auprès des
Bone, est-il vraiment possible d'influer sur sa nature ?
Toujours plus épineux,
Jeff Smith met ses personnages dans une situation où ils se retrouvent contraints de collaborer entre eux pour pouvoir se sortir d'une situation dangereuse. Dans un premier temps, le lecteur a l'impression de se retrouver plongé dans un dessin animé pour la jeunesse, pétri d'une morale judéo-chrétienne, où les valeurs sont intégrées de manière forcée. Smith rend cette séquence plus intéressante en contraignant des enfants à collaborer avec les meurtriers de leurs parents. Cette séquence contraint également le lecteur à s'interroger sur les limites de la seconde chance, sur la notion de vengeance (et à quel prix), et ses propres valeurs (jusqu'à quel point est-il possible de pardonner ?).
Avec ce cinquième tome,
Jeff Smith épate le lecteur avec sa dextérité pour raconter une histoire à base d'animaux mignons qui parlent, sans trace de mièvrerie, et avec plusieurs niveaux de lectures, jusqu'à s'aventurer sur des questions morales sans réponse facile.