Étrange comme elle était courte, cette vie, et pauvre, et chargée de choses pénibles et tristes qu'il valait mieux ne pas se rappeler. Le plus souvent, ses pensées la ramenaient à Grigori. Peut-être parce qu'elle n'avait cessé de craindre pour lui depuis le début de la guerre et parce qu'il était tout ce qui l'attachait à la vie. Ou bien parce que son angoisse pour son fils aîné, pour son mari, s'était émoussée, effacée. En tout cas, elle pensait rarement à eux, les morts, ils lui apparaissaient comme à travers une vapeur grise. Elle se rappelait sans plaisir sa jeunesse, ses années de mariage. Tout cela était inutile, enfui bien loin, et ne lui apportait ni joie ni soulagement. Quant aux souvenirs les plus récents, ils ne la touchaient pas. Et soudain " le petit " se dressait dans sa mémoire avec une netteté extrême, presque tangible. Mais aussitôt son cœur se mettait à battre plus vite. Puis l'étouffement commençait, son visage devenait noir, et elle restait un long moment inconsciente, mais c'est à lui de nouveau qu'elle pensait dès qu'elle reprenait connaissance. C'était son dernier fils, elle ne pouvait pas l'oublier...
Huitième partie, Chapitre 3.
Le Don paisible (en russe Тихий Дон), film de Sergueï Guerassimov récompensé en 1958 par le prix de la mise en scène et le Premier prix au Festival international du film de Moscou. Extrait