…et
Tito Topin est son prophète
Il m'aura fallu plus d'un an pour lire ce livre. Vous pouvez me lapider : c'était une grave erreur. Une fois ce mea culpa fait, nous pouvons passer au dithyrambe qui sied à cet opuscule.
Tito Topin prend pour point de départ un monde où les principaux états sont devenus théocratiques, où les gouvernements sont aux mains des religieux de tous bords (ou presque). Quelques états résistent encore, devenus les destinations vitales de ceux regroupés sous l'appellation de « mécréants » qui fuient l'oppression des religions et de tous les services étatiques passés sous la coupe des religieux.
Ce livre est l'histoire de Boris, journaliste, auteur d'un article sur la pédophilie de certains prêtres et qui, du temps où les états étaient encore laïcs, a bénéficié d'une protection policière qui lui a été retirée au moment du passage en théocratie. Il croise la route d'une jeune femme, Anissa, enceinte en fuite également qu'il va entraîner avec lui. Il sera accompagné de Soledad, un amour de jeunesse, et de Pablo, touche à tout devenu un peu margoulin par nécessité. Ce petit groupe échoue au Portugal où ils sont pistés par les forces de police françaises et un tueur lâché sur leurs traces par la théocratie française.
La position de
Tito Topin face à la religion est on ne peut plus claire : totalement, entièrement, viscéralement critique avec une bonne dose de scepticisme au cas où on aurait encore un petit doute. L'émergence des théocraties à travers l'Europe rime avec autoritarisme, obscurantisme, intransigeance, violence. L'ouverture, la compassion, la pitié sont des notions totalement absentes des grandes oeuvres des différentes religions, que ce soit le catholicisme en France ou d'autres religions ailleurs.
Si
Tito Topin livre ici une charge violente contre la religion, il n'y mêle jamais les Dieux aux noms desquels leurs représentants sur terre commettent toutes ces ignominies ! L'amalgame n'est pas de mise chez
Tito Topin.
Qui plus est,
Tito Topin fait tout cela avec une intelligence qui se reflète dans son style et dans son écriture. Il trouve une prolongation de ses thèmes religieux dans le vocabulaire dont il use à foison et jusque dans le nom de certains personnages. Je ne vous livre que trois exemples, pris sur une seule page, pour vous donner une idée de la maîtrise de
Tito Topin de son fond comme de sa forme : « Je n'ai plus envie de me battre, je n'ai pas vocation à charger contre des moulins à vent accompagné par une femme en soutien-gorge qui se prend pour
Sancho Pança », « Si tu n'es pas de leur côté, alors tu es vraiment conne, Gladys, une conne qui se prend pour une sainte, une putain de mère Teresa qui donnerait son cul pour sauver le monde » ou encore « Alors reste avec nous. Ce n'est pas encore le paradis mais c'est déjà ses chiottes et tu peux me filer un coup de main pour démolir ce putain de tueur ». Non seulement il utilise un vocabulaire religieux ne parfaite adéquation avec les thèmes qu'il développe mais il parvient qui plus est à les détourner au besoin pour montrer à quel point la religion est dévoyée et perd sous sa plume tout le vernis de respectabilité qu'on voudrait bien lui prêter.
Pour ce qui est des homonymies, Pablo se nomme Levinas y Toledano. Je ne suis pas philosophe pour deux sous mais il me semble que Levinas, penseur de la religion, prônait une primauté de l'éthique face à la religion. La mystique, le sacré, la possession de l'homme par Dieu ne seraient que des chimères et toute sacralité relèverait de la magie. Levinas condamne les « consolations de la religion » et la théologie qu'il défend n'a rien de dogmatique. La théologie ne se construit donc pas sur la religion mais peut s'interpréter grâce aux textes religieux. Les activités sociales, la science et la technique sont, dans la mesure où elles ont pour but de venir au secours de l'homme, plus « religieuses » que toute forme de sacralité.
« Sous l'impulsion des réformés aux Etats-Unis, des catholiques au Vatican, des juifs en Israël, des sunnites en Arabie Saoudite, des chiites en Iran, les Etats, lassés des guerres interconfessionnelles, ont décrété d'une seule voix que l'ennemi n'était pas celui qui pratiquait une autre religion que la leur, mais celui qui n'en avait aucune. Ainsi, la foi devenue obligatoire, les livres saints devenus constitutions, les païens, les hérétiques, les athées, les rationalistes, les libres-penseurs aussi bien que les polythéistes, tous réunis sous la dénomination de mécréants ou de voltairiens, se sont vus pourchassés et condamnés à des peines d'intérêt religieux plus ou moins sévères selon le degré d'impureté, ou enfermés dans des camps d'inoculation de la foi afin d'y retrouver l'esprit divin d'une des religions monothéistes ou des sectes s'y référant. Les réfractaires étaient déchus de leur nationalité, exilés, leurs biens confisqués. »
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