« Il avait une forme de naïveté, l'innocence des justes. » dit Chimananda quand elle apprend par téléphone que son père vient de mourir. Elle vit aux Etats Unis, un de ses frères an Angleterre, et les parents à Aba, au sud est du Nigéria.
Le chagrin est une plaine immense, et les raisons de pleurer un être adoré, comme c'est le cas, indéfiniment ramifiée. le chagrin déracine, arrache définitivement ce qui nous attache au monde connu, et nous, dit l'auteur, qui croyons que le chagrin touchait les autres, et que nous étions en quelque sorte, de par l'amour porté, de par la bonté du père, non attaquables, nous plongeons.
Je dis nous, parce que Chimananda, dans ses notes, rappelle l'arrogance que nous pouvons avoir à l'idée de ne pas perdre un être cher, et le déluge lorsque cela nous arrive. Avec ses mots, elle arrive à nous rappeler cet enseignement cruel, cette affliction totale du corps, l'inéluctabilité de la mort.
Entre l'intuition que d'autres morts vont advenir, le rire , lié au chagrin, qui prend une dimension particulière, la rage d'entendre certaines condoléances, qui finalement rendent réel ce que l'on voudrait impensable, les mots ne pouvant exprimer la brutalité de la mort, la colère, puisque la vie continue, la peur, la honte de n'avoir pas compris, pas fait, pas dit au-revoir, les regrets, les remords, l'envie d'empêcher la nouvelle immonde, l'essai de « la faire se déproduire », le doute complet que cela soit arrivé, le silence, pour ne pas inonder les autres du « tumulte incessant de mes pensées », l'impensable du « jamais plus » entre dans sa vie.
Ce chagrin est doublé par le fait que les frontières du Nigéria sont fermées, cause covid, elle ne peut s'y rendre momentanément. Et il faudra plusieurs mois pour que l'enterrement ait lieu, mettant Chimananda dans une position de désenchantement vis-à-vis de son pays natal. le virus a, certes, rappelé la possibilité de la mort et sa banalité, il a, pourtant, rendu les rituels beaucoup plus compliqués et sauvages.
Ces notes lui permettent d'honorer la personne du père.
« Il n'était pas, il est », phrase tellement profonde si l'on sait que l'admiration qu'elle lui porte ne peut, ne doit, ne va pas s'éteindre.
Des phrases crucifiées, « une érosion, un ignoble déferlement de déluges qui laissent notre famille déformée pour toujours. Les épaisseurs de perte donnent le sentiment que la vie est mince comme du papier », et le rappel, pour nous lecteurs, que ce chagrin nous lie, nous pauvres humains lorsque survient la fin d'un proche .
Injustice de la mort, qui frappe au hasard, découverte que nous n'avons pas forcément le temps et que l'amour ne fait pas tout, rappel de qui était ce James Nwoye Adichie, un sage, ses études brillantes, sa rencontre avec Grace, sa femme, le rapprochement intellectuel entre père et fille, le Biafra , aussi.
Un grand livre, hommage à un père « qui était vraiment quelqu'un de charmant » et qui l'est toujours pour nous à la lecture de ces notes.
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Ce petit récit nous relate les sentiments de l'auteur au moment du décès de son père. Ce derniers décède pendant la pandémie au Nigeria et sa fille se trouve aux EU sans possibilité d'un avion pour rejoindre sa famille.
Ce texte est magnifique, tout en finesse, sensibilité et amour filial.
Merci à l'auteur pour ce partage d'un moment tellement intime mais aussi tellement universel.
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Drôle de période que cette pandémie de Covid. Avec ces enterrements sans famille autorisée à entrer dans le cimetière. L'auteur elle, doit vivre le décès de son père à distance, via application numérique (Zoom pour ne pas le citer). Ce qui ne lui facilitera pas de faire son deuil. Elle prend donc sa plume pour évoquer son chagrin, la manière dont il prend possession de son âme et de son corps (le corps souffre au sens propre du chagrin de l'être).
J'ai apprécie le très beau style plein de réserve qui lui permet de nous emmener dans ce bel hommage quelle fait également à son père à travers ses lignes.
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Il est des livres ouverts, qui respirent la vie des autres & offrent leurs récits aux regards, je prends quelques bribes ici & là pour repartir différente & habitée par ces histoires que je vis, ou vivrai. Je lis ces notes, et je suis habitée par le manque, ce manque qui vient toujours après, qui toque à la porte déguisé, d'abord c'est la tristesse, puis c'est la colère.
Le manque ne vient jamais habillé en lui-même, parce qu'il n'est que vide.
Il n'est que creux alors il s'enveloppe pour me faire oublier pourquoi je le laisse entrer !
Revenons au livre, l'auteure perd son papa, et raconte l'épopée d'un deuil durant la pandémie. Nous pénétrons dans l'intimité de son chagrin sans fausse note. Un récit court, qui me parle, ses mots font écho à mes maux !
Un hommage assez spécial par sa construction. Une succession de notes, de souvenirs, d'anecdotes, elle tente de manière raisonnée de traduire son ressenti par l'écriture. Parvient ainsi à toucher le sens même de la douleur,et ce chagrin qui demeure.
Ce chagrin qui ne définit en rien qui nous sommes. Il fait partie de notre histoire comme une entaille qui sera toujours là & avec laquelle il faudra faire avec.
Personnellement il m'accompagne dans la vie, il me tient la main ou les larmes selon les moments, il m'aide à aimer le monde aussi.
Il est cet à-côté toujours présent mais je suis aussi moi sans lui avec la joie de vivre ou les pleurs, avec les envies ou les doutes, avec tout ce que n'importe qui sans drame, peut ressentir !
Mais y penser est parfois comme planter des clous dans un carreau de verre !
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