En ce milieu d'automne, les vacances d'été sont déjà loin...
Pierre Adrian nous propose un retour en Bretagne, en plein été, sur les pas d'un narrateur jamais nommé mais qui lui ressemble beaucoup. Roman en partie autobiographique, ce que l'auteur a confirmé dans les interviews, celui-ci explore le monde de l'enfance à la période charnière de la vie où on doit se résoudre à passer à l'âge adulte.
Petite présentation de l'histoire : après de longues années d'absence, un jeune homme revient dans la grande maison familiale où tous se retrouvent chaque année au mois d'août. le décor, les meubles, les objets ne changent jamais alors que vont et viennent oncles, tantes, cousins, neveux, amis de la famille... Il avait déserté le lieu pour des terres exotiques, des mers plus chaudes. Alors qu'il est encore célibataire et aurait l'âge d'être père, il veut renouer avec son enfance, retrouver sa famille. J'ai beaucoup aimé les mots qu'il met sur les anciens, traduisant le regard chargé d'amour et de bienveillance qu'il porte sur le vieillissement de sa grand-mère, ce qui donne des pages d'une grande justesse :
Jean, le neveu de notre personnage a six ans. Il voit, à travers lui, comme dans un miroir, l'enfant qu'il a été. Les enfants se construisent à toute vitesse pendant cette période de vacances où les nouvelles expériences sont nombreuses dans cette famille là.
Mornes après-midis à
la plage, descentes au café du port pour les cousins(es) pendant que les tantes étendent le linge. L'organisation respecte la norme d'une tradition qui se voudrait répétition mais se heurte au mouvement du temps, aux cycles de la vie.
Que reviennent ceux qui sont loin résonne comme le reflet d'une nostalgie, d'une tristesse. Les moments heureux en préparent d'autres où il faudra faire face, comme on peut, au drame qu'on pressent.
Littérature de mémoire, l'auteur s'essaie avec talent à cet exercice, dans un style bien différent de celui de notre prix Nobel de littérature
Annie Ernaux et pourtant on le lit en superposant, en comparant notre propre expérience de l'enfance, de la famille, des vacances...
Annie Ernaux avait un témoignage à écrire afin d'exorciser ses frustrations, elle avait senti que son milieu d'origine était coupé de ce pour quoi elle se destinait, le monde de la culture, l'enseignement, l'écriture. Nulle chose de ce genre ici,
Pierre Adrian revendique un bonheur familial. Il ne souhaite nulle coupure, voudrait que ceux qui sont loin reviennent. Ayant déjà beaucoup il rêve d'immortalité ? Il donne d'emblée cette citation de
Cesare Pavese. « Pour que la gloire soit agréable, il faudrait que les morts ressuscitent, que les vieux rajeunissent,
que reviennent ceux qui sont loin. » Mais la mer a ses flux et reflux, ses tempêtes, la vie s'impose à tous sans exception, sauf à verser dans l'illusion, la croyance magique des désirs enfantins.
L'interrogation sur la finitude de l'homme, sur la transmission entre les générations est bien traitée et intéressante.
le jeune homme apprend pendant ce mois d'août le lent rétrécissement des choses, lui qui rêvait d'absolu « …que toute la vie, il serait possible de courir partout et de revenir. »
A sa façon, ce récit montre un monde en train de changer. Anne, présente dans la grande maison – la fille d'amis de la famille ?, ne répond pas immédiatement aux avances du jeune homme et en cela il en ressent une blessure d'orgueil. le personnage du récit est plutôt un traditionnel, comme semble l'être sa famille… Mais il est en pleine introspection et en passe d'évoluer ! le roman peut avoir ce pouvoir particulier de créer une zone incertaine où l'auteur et le lecteur sortent changés de l'expérience d'écriture ou de lecture.
J'ai beaucoup aimé l'originalité du récit et cette indéniable facilité de plume de
Pierre Adrian lui permettant de peindre des tableaux de Bretagne si vivants qu'ils s'animent devant les yeux du lecteur. J'ai eu l'impression qu'il serait facile pour lui de rédiger dix pages sur une feuille tombant d'un arbre à l'automne sans perdre le lecteur... Sa belle écriture ciselée m'a impressionné. A trente ans passés, avec ce nouveau livre très personnel, il déploie un énorme talent.
Pierre Adrian est né en 1991. Après des études de journalisme, il part à 23 ans pour l'Italie sur les traces du grand poète et cinéaste
Pier Paolo Pasolini, publiant alors La piste
Pasolini (prix des Deux Magots et prix
François-Mauriac) . Il s'intéresse ensuite à un curé de village dans la vallée d'Aspe, écrivant
Des âmes simples (prix
Roger Nimier). le livre suivant,
Les bons garçons, s'inspire d'un fait divers en Italie, la mortelle aventure de deux amies. Avec ce nouveau livre, en écrivant avec ce « je », il parvient à parler de chacun de nous et cela m'a plu.
Je découvre un jeune auteur très prometteur. Avez-vous déjà ressenti cette impression de changer de regard sur la famille, le temps qui passe... après une lecture ?
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