Jean-Denis Bredin, avocat et écrivain, nous présente, avec son livre, une relation des plus complètes, sinon LA relation la plus complète, la plus précise de l'Affaire Dreyfus qui débuta en 1894.
Nous bénéficions, du fait de l'expérience professionnelle de l'auteur, de passionnantes explications sur le fonctionnement du système judiciaires au moment de cet évènement.
Tout est analysé. En préambule, Jean-Denis Bredin insiste avec justesse sur l'état d'esprit de la population française suite à la défaite de la France contre l'Allemagne en 1870-1871.
Il consacre des pages passionnantes à la montée de l'antisémitisme en France à la fin du XIXème siècle, et notamment dans l'armée.
Tous les intervenants, du plus important ou plus modeste, nous sont présentés. Nous passons du ministère de la Guerre à l'Etat-major de l'armée française, Nous allons dans les coulisses des ambassades d'Allemagne et d'Italie.
La bassesse, la lâcheté, la haine des accusateurs font l'objet de pages où, avec une écriture claire et mesurée l'auteur nous fait part de son indignation sans concession.
Par contre, concernant ceux qui entrent courageusement dans la lutte pour faire reconnaître l'innocence d'Alfred Dreyfus, Jean-Denis Bredin ne cache pas son admiration, tout en reconnaissant les différents motifs et opinions politiques de ces intellectuels, hommes politiques...Au-delà de Zola, âme de ce combat pour la justice, impossible de ne pas citer le colonel Picquart, qui au côté de la famille Dreyfus et des autres défenseurs d'Alfred Dreyfus, alla jusqu'au bout de son combat pour la vérité et l'innocence de ce capitaine injustement condamné. Il fut chassé de l'armée, emprisonné...mais rien ne l'arrêta.
Au-delà de sa passionnante narration, l'auteur traite ce sujet avec une profonde sensibilité. Quand il évoque la personnalité de Dreyfus, son martyr pendant sa déportation à l'île du Diable, je dirai même avec tendresse. Il nous présente un homme écrasé par l'injustice pour un motif infâme, mais un homme qui persévère dans sa confiance en la France, en son armée.
Cet évènement a donné lieu, sur une période de plus de dix ans (1894 à 1906) à des violences antisémites à Paris et en province au cours desquelles des Juifs et leurs biens furent attaqués. Dreyfus et ses défenseurs furent copieusement insultés dans la presse nationaliste et devant les tribunaux…
Jean-Denis Bredin nous présente des personnages "lumineux" d'humanité, tel Bernard Lazare.
J'insiste, encore une fois, sur la sensibilité de l'auteur lorsqu'il évoque le destin de la famille Dreyfus et des dreyfusards dans les décennies qui suivirent la fin de cette triste histoire.
Après les moments sordides, il y a des moments bouleversants.
Il y a une grande humanité dans ce grand livre.
Commenter  J’apprécie         80
Lettre adressée à Alfred Dreyfus, après la révision, par l’un de ses anciens camarades de l’Etat-Major :
Quand en 1894, le sous-chef d’Etat-Major nous réunit pour nous dire que tu étais coupable et qu’on en avait les preuves certaines, nous en acceptâmes la certitude sans discussion puisqu’elle nous était donnée par un chef. Dès lors, nous oubliâmes toutes tes qualités, les relations d’amitié que nous avions avec toi pour ne plus rechercher dans nos souvenirs que ce qui pouvait corroborer la certitude qu’on venait de nous inculquer. Tout y fut matière.
Pour beaucoup de milieux traditionnels, l’Armée est vécue comme un refuge, une sauvegarde contre l’ordre nouveau. Elle semble le dernier lieu où se conservent les valeurs anciennes ; elle préserve la fidélité légitimiste. Elle est l’ « Arche sainte » à laquelle les républicains n’ont pas encore osé toucher, un précieux domaine maintenu intact au milieu de la subversion générale.
La presse découvrant sa puissance, a vite prouvé que celle-ci s’exerçait en tous sens. Sans » l’Aurore » et Zola, Dreyfus serait peut-être resté au bagne. Mais,sans Drumont et « La libre parole » y serait-il allé? La presse naissante révèle déjà qu’elle est, qu’elle sera, dans la démocratie, le meilleur et l e pire : rempart de la Vérité , mais aussi véhicule de la calomnie, pédagogie de l’abêtissement, école du fanatisme, en bref , instrument docile à ceux qui la font et à ceux qui la reçoivent.
« La vérité finit toujours par se faire jour, envers et malgré tous. Nous ne sommes plus dans un siècle où la lumière pouvaient être étouffée. Il faudra qu’elle se fasse entière et absolue, il faudra que ma voix soit entendue par toute notre chère France, comme l’a été mon accusation. Ce n’ai pas seulement mon honneur que j’ai à défendre, mais encore l’honneur de tout le corps d’officiers dont je fais partie et dont je suis digne . » Alfred Dreyfus au bagne de Cayenne.
Dreyfus fut successivement coupable de trois manières.Il fut d’abord coupable parce que désigné pour cet emploi. Coupable, il le fut ensuite parce qu’il l’avait été. L’intérêt de la France l’honneur de l’Armée commandaient qu’il restât condamné. Puis il fut coupable d’ « avoir servi pendant cinq ans à ébranler l’Armée et la Nation » d’avoir été le symbole et l’instrument des forces du mal.
Jean-Denis- Bredin : "Avec Chateaubriand et Flaubert, je serais volontiers parti en voyage"