Le 26 avril 1986, à 1 h 23 le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosait au cours d'un test de sûreté.
600 000 " liquidateurs " sont envoyés sur les lieux de l'accident et se relaient pour maîtriser l'incendie.
Svetlana Alexievitch a laissé la parole à ces survivants de la catastrophe, à ces anonymes qui ont côtoyé la mort et se sont livrés à coeur ouvert avec dignité.
Le premier témoignage de la jeune femme du prologue " Une voix solitaire " nous plonge dans l'horreur et l'inimaginable.
Elle raconte qu'elle et son conjoint s'aiment, ils sont jeunes mariés. Elena est enceinte.
Son mari, Vassili, est pompier. En allant sur les lieux de l'accident sans équipement adapté il a été exposé aux niveaux extrêmement élevés de radiations et elle le retrouve dans un état méconnaissable à l'hôpital.
" Les médecins répétaient qu'ils étaient empoisonnés aux gaz, personne ne parlait de radiation. " ( Citation du livre )
Vassili est alors transféré à Moscou avec ses collègues qui ont été irradiés. Elena décrit les quatorze derniers jours de son mari, son agonie, son corps qui se délite devant ses yeux.
Le témoignage de la jeune femme est tellement perturbant, déchirant, que j'en avais les larmes aux yeux.
" Quelqu'un m'exhorte :
— Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé, qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. " ( Citation du livre )
Les habitants n'ont pas peur car ils ne connaissent rien sur l'atome, et la radioactivité n'a ni odeur ni couleur. Elle ne se voit pas et c'est pourtant la plus dangereuse. Les gens sont sidérés qu'on leur interdise de manger leurs légumes et de boire l'eau qui paraît bonne.
Les liquidateurs, civils et militaires, sont payés trois fois le salaire mensuel plus des primes pour travailler huit heures par jour dans la poussière radioactive aux alentours de la centrale. Et ils ont tous reçu des dosimètres qui ne fonctionnent pas.
" Or, ces dosimètres n'étaient pas chargés. Il fallait les charger d'une dose de radiation initiale pour qu'ils puissent fonctionner. En d'autres termes, on nous avait donné des joujoux, juste pour faire bien. "
( Citation du livre )
On donne ordre d'évacuer un peu trop tard les zones contaminées (Pripyat et Tchernobyl). Les habitants ne sont pas autorisés à emmener leurs animaux domestiques ; ces derniers seront par la suite abattus. Ces scènes crèvent le coeur.
Les " Tchernobyliens " sont traités comme des pestiférés une fois arrivés dans des villages qui présentent moins de danger. On les fuit, on les rejette, on craint trop la contamination. Et malheureusement ils ont déjà été grandement exposés aux radiations.
" — Les gens ont peur de nous. Ils disent que nous sommes contagieux. Pour quels péchés Dieu nous a-t-il punis ? " ( Citations du livre )
Le président
Gorbatchev parle au monde en disant que tout va bien, que la situation est sous contrôle alors que pendant ce temps meurent les hommes victimes des radiations et que leurs femmes accouchent de bébés morts-nés ou vivants mais pas pour longtemps car atteints de diverses malformations.
On se rend bien compte que dans ce pays règne la culture du secret et du mensonge et que la vie humaine ne compte pas.
On y pratique la politique de désinformation.
Chez nous en France en 1986, les autorités nucléaires nous avaient sciemment menti en affirmant que la radioactivité après la catastrophe de Tchernobyl était " non significative pour la santé publique ".
Comme par hasard le nuage radioactif nous avait miraculeusement épargnés alors qu'en Angleterre et en Grèce les mesures révélaient un niveau inquiétant de radioactivité. Et tandis que nos voisins européens prenaient des mesures de précaution, en France tout allait bien !
Dans "
La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse ", l'auteure s'intéresse aux sentiments des habitants de Biélorussie qui, jusqu'alors, n'avaient pas pu ou pas voulu parler de ce qu'ils avaient vécu.
On sent une libération de s'être livrés, un soulagement. Mais aussi de la colère, des regrets, des larmes, la résignation et pour certains la résilience au bout.
La plupart sont des témoignages bouleversants d'amour et de mort d'une rare intensité.
Svetlana Alexievitch nous fait entrer dans des vies brisées à travers des récits poignants recueillis dont le lecteur ne sortira pas indemne.
" Mon Artiomka a sept ans, mais on lui en donne à peine cinq. Il ferme les yeux et je pense qu'il s'est endormi. Alors, je pleure, car je crois qu'il ne me voit pas. Et il me dit :
— Maman, est-ce que je meurs déjà ? "
Dans leurs confessions intimes et terrifiantes tous ces témoins ont rendu hommage aux morts ; aux maris, à ceux qui se sont sacrifiés, aux enfants qui n'ont pas survécu, et à tous ceux qui vivent encore avec la maladie.
Nous, lecteurs, on reste impuissants, bouleversés, à pleurer pour tous ces martyrs de Tchernobyl. Et on se pose une question :
Qu'est-on face à un puissant lobby nucléaire qui n'hésite pas à nous mentir après son incapacité à gérer l'après-catastrophe ?