Les mots de Jwel lui revinrent en mémoire :
"Quand j'étais petite, nous attendions, avec mes sœurs, l'histoire du soir avec ferveur. C'était un moment sacré et même, plus tard, alors que je savais déjà lire, rien n'était aussi délicieux que ce moment.
Alors que mon père racontait à sa façon l'histoire d'un livre choisi dans sa boutique, ma mère créait une histoire différente chaque soir.
Quand c'était Bahir [le père de Jwel], je savais que je pourrais me pelotonner dans son histoire, que je rirais et que mes rêves seraient comme courir dans une prairie au Temps Vert.
Quand Maya lisait [la mère de Jwel], je savais qu'elle m'entraînerait dans les profondeurs, qu'elle me hisserait comme un cerf-volant, que mon cœur serait remué et mes rêves comme la découverte d'un secret."
La nuit était pourtant particulièrement noire et la lune une pelure d'ongle dans le ciel.
Le soir était tombé et, si la nouvelle saison pointait le bout de son nez vert dans ces contrées peu vallonnées, les soirées étaient encore fraîches.
Les morts cessent de vivre mais pas d'exister.
Quand l'écriture est un voyage.
Quand le voyage est écriture.
Quand les frontières sont abolies non pas pour faire naître le chaos mais pour éveiller le désir de liberté.
Liberté d'écrire.
De voyager.
D'être.
Elle prit la corne de brume du château accrochée à la porte de sa cuisine et se dirigea vers la place du village. L'appel long et plaintif que l'on n'avait pas entendu depuis l'incendie sonna l'alerte. En quelques minutes, tout le village se pressait sur la place. Chandra monta sur le rebord de la fontaine et demanda le silence.
- Ecoutez-moi ! Ugh est revenu.
Ce fut un brouhaha d'exclamations et de questions, et Ugh se retrouva au milieu d'une cohue joyeuse qui voulait le toucher, l'embrasser. Il se dégagea et sauta sur la margelle à côté de sa mère. Lui prenant la corne de brume, il souffla à nouveau.
- Silence ! Laissez-moi parler, s'il vous plaît ! Nous n'avons pas le temps maintenant pour les retrouvailles et les explications. Un groupe d'hommes s'apprête à attaquer le village. Je les ai vus et entendus. Ils sont au moins huit et ils sont armés. Nous devons nous préparer. Voici ce que je vous propose.