Madame Hayat… mon tout premier roman numérique… ma première lecture d'un auteur turc… et quelle lecture, quel merveilleux moment j'ai passé avec Fazil, Sila et la grande et unique
Madame Hayat !
Fazil, jeune étudiant en littérature d'une famille aisée d'une ville et d'un pays qui ne seront jamais nommés, mais qu'on devine être la Turquie, se retrouve désargenté suite au décès de son père. Déménagement dans une chambre modeste, travail de figurant sur un plateau télé pour arrondir les fins de mois, ce changement de cap sera pour Fazil le début d'une année d'une intensité rare.
Il rencontrera ses deux amours, Sila et
Madame Hayat, d'un côté l'amour charnel, passionné, plein d'insouciance, de l'autre, un amour vrai, sincère, complice, mais ancré dans le réel et dans la vie. Il verra aussi, au fil des mois, la situation politique de son pays se dégrader. Les rues autrefois très animées se vident, les bouquinistes disparaissent, les gens gagnés par la peur, se replient chez eux. Enfin, des événements auxquels il n'aurait jamais imaginé assister surviennent. Lorsque son propre pays sombre dans les mains de l'obscurantisme et du totalitarisme, lorsque l'on assiste à ce déclin, faut-il résister, se battre, au risque d'être dénoncé ou arrêté ? Faut-il poursuivre son existence quotidienne, insouciante, détachée ? Faut-il se résoudre à l'exil ?
Madame Hayat est une femme époustouflante. Voluptueuse, toujours joyeuse, elle savoure chaque plaisir de la vie dans l'insouciance la plus totale, sans se préoccuper du lendemain. Elle est un personnage presque irréel, qui paraît n'avoir ni passé, dont elle élude toujours les questions, ni futur. Elle n'a pas de projet, ne planifie rien, n'économise jamais… Elle vit sans peur ni angoisse, avec légèreté et allégresse.
Sila est une jeune femme sérieuse, d'une intelligence fine, pleinement consciente des enjeux de son existence. Etudiante en littérature comme Fazil, les événements vécus par sa famille et la situation du pays qui ne cesse de se dégrader la poussent à envisager l'exil. Sila pense à son avenir, à ses études, à la construction de sa vie.
Fazil aime profondément et intensément ces deux femmes. Qui choisir ? Faut-il choisir ? Il voudrait poursuivre toujours cet équilibre, ces deux amours. Mais cette situation n'a pas d'avenir durable, il le sait.
Au début du roman, Fazil est un jeune étudiant naïf. Grâce à Sila et à travers les événements qui l'entourent, il prend progressivement conscience de la situation dans laquelle son pays est en train de sombrer. Exercice du pouvoir qui se durcit, arrestations arbitraires, passages à tabac en règles et liberté d'expression malmenée… C'est à la moitié du roman que j'ai découvert qu'
Ahmet Altan, dont je ne savais rien jusqu'alors, avait écrit ce roman au cours des 5 années de détention passées dans les prisons d'Istanbul. En 2016, pour avoir eu des propos critiques du régime, l'auteur a fait partie des vagues d'arrestations ayant suivi le coup d'état raté contre Erdogan.
La lecture prend alors une toute autre dimension.
J'ai adoré l'écriture d'
Ahmet Altan, belle, fluide, puissante. Ses personnages sont finement construits, attachants, presque réels, j'ai eu l'impression d'évoluer à leurs côtés. Pour ne rien gâcher, il nous offre tout au long du roman de nombreuses références littéraires. Certains passages sont sublimes dans la description des sentiments amoureux... Un très beau roman !