Dans ce roman décliné en trois grandes parties (Entrées, Plats et desserts) puis en chapitres, comme s'il s'agissait d'un véritable repas, Wang Chi-fang, une personne fictive devenue écrivain_ et qui semble très proche de l'auteur_ nous raconte ses souvenirs et l'histoire de sa famille.
Dans la petite ville imaginaire de Lucheng, Wang Chi-fang se remémore ses jeux et le bunker où elle passait la plupart de ses journées à jouer à la dînette, un abri construit par sa famille sur leur terrain pour se protéger des bombardements américains durant la Seconde Guerre mondiale.
Son père cuisine des plats inconnus et elle les goûte avec curiosité par respect pour cet homme qu'elle admire et qu'elle ne veut surtout pas décevoir. Elle goûte ainsi à la chair de pangolins et de civettes, comme le titre du chapitre, "La civette et le pangolin" l'indique, mais aussi de serpents, de grenouilles, de singes et autres denrées dont elle comprendra beaucoup plus tard la symbolique et pourquoi ils étaient concoctés en cachette, et contre l'assentiment de sa mère.
Son enfance heureuse et insouciante est également bercée par les contes que ses parents lui racontent comme celui de la "tigrogresse" qui croque les doigts des enfants qui ne veulent pas dormir et les récits de son père, comme celui de cet écrivain japonais, d'une grande modestie, qui préfèrera déguster du riz au curry, alors qu'il laissera ses convives choisir des mets plus élaborés. Elle sera également marquée par son oncle qui ne veut jamais rien manger comme tout le monde mais tombera en extase devant le coca cola, une boisson nouvelle dont il ne pourra plus se passer.
Je ne vais pas vous raconter en détails chacun des chapitres. Chacun décrit en effet un plat connu ou pas, un repas domestique ou dans un grand restaurant, un banquet ou un mets simple, tout en évoquant un pan de l'histoire du pays.
Tour à tour seront ainsi prétextes à des développements amusants ou surprenants pour nous occidentaux, l'humble "riz au curry" de la période coloniale japonaise précédemment cité, "les nouilles aux boeufs" que les détenus politiques pouvaient commander alors qu'ils étaient au fin fond de leur prison, le lien étonnant entre l'amour inconsidéré pour les piments et les idées communistes, "le thé aux perles" consommé aujourd'hui partout dans le monde, qui aurait été inventé aux dires de la narratrice par Chien-hui, sa cousine, une jeune femme volontaire et indépendante...
(Suite du résumé sur mon blog, et chronique complète sur lien ci-dessous)
Mon avis
Voici un auteur d'origine taiwanaise que je découvre cette année grâce à ce roman envoyé en Service de Presse par Pascaline et les
Editions l'Asiathèque que j'en profite pour remercier chaleureusement ici pour leur confiance. Ce roman a été traduit du chinois (Taïwan) par
Coraline Jortay. Il se termine par un prologue de
Gwennaël Gaffric et une bibliographie.
J'ai été conquise par son écriture simple et directe, sans fioriture. L'auteur s'exprime librement et écrit ce qu'elle a envie d'écrire sans se plier à ce qui va plaire ou pas à son public. Son ton souvent teinté d'humour et d'autodérision, et son analyse poussée de l'histoire de son pays, dont je ne savais pas tout, mais qu'elle m'a donné envie d'approfondir, nous prouvent à quel point elle y est attachée.
J'ai aimé le fait de trouver entre parenthèse des réflexions de l'auteur, ses doutes, son avis sur la question évoquée, parfois une phrase répétée plusieurs fois dans le chapitre, comme un regard extérieur aux propos de la narratrice, rompant le fil de sa pensée, nous invitant à réagir.
Elle sait de quoi elle parle que ce soit de sexualité, de l'histoire de son pays ou de gastronomie. Elle s'appuie sur ses recherches personnelles, qu'elle enrichit d'anecdotes, de souvenirs et de réflexions pour les partager avec nous et faire évoluer nos connaissances et, comme elle le dit aussi, dans une de ses interviews trouvée sur le net, créer une histoire taïwanaise.
Elle pose donc entre les lignes le problème de l'authenticité de ce que l'on attribue ou pas à Taïwan, de l'origine des mets dégustés, certes mais aussi de sa littérature, de sa culture, de son histoire. La gastronomie ne peut entrer dans l'histoire de l'île que si elle appartient bien à ses habitants qui ont subi les influences de nombreux pays pendant l'occupation japonaise, puis chinoise et s'est maintenant ouverte avec la mondialisation et la démocratisation vers tous les pays du monde.
Il est intéressant de noter que les régimes s'allègent au fur et à mesure que l'île devient plus libre, que la démocratie s'installe et laisse derrière elle les vieilles traditions et les tabous imposés pendant des décennies. Des mets inconnus ou des boissons font leur apparition, comme le champagne avec ses bulles, symbole de luxe, de liberté et de légèreté.
Ce roman dense mais passionnant est avant tout un écrit profondément féministe dans lequel la narratrice cherche à relier entre elles l'histoire de son pays, qui ne se résume pas à celle de la Chine, de la politique et de son pouvoir, de la gastronomie et de la sexualité empreintes elles-aussi de la domination masculine. La nourriture est une métaphore, et n'est que le prétexte à entrer dans les coutumes du pays, à étudier de près l'évolution et l'histoire mouvementée de l'île. Les différentes gastronomies évoquées, chinoises, japonaises, occidentales ou orientales, constituent sa richesse.
Un livre que j'ai eu du plaisir à découvrir et qu'il faut prendre le temps de déguster, car il nous invite à mélanger toutes les cuisines du monde pour un gigantesque banquet !
Lien :
https://www.bulledemanou.com..