Les traumatismes de la guerre de 14 ont inspiré deux des plus grands dramaturges français du XXème siècle (sinon les deux plus grands)
Jean Giraudoux et
Jean Anouilh. En 1928,
Jean Giraudoux présentait « Siegfried », l'histoire d'un homme célèbre allemand, dont o apprend qu'il était un soldat français amnésique, que les Allemands ont récupéré, rebaptisé et dont ils comptent faire leur porte-drapeau. Mais, les opposants politiques et la fiancée du soldat vont faire éclater la vérité. En 1937, dans «
le Voyageur sans bagage »
Jean Anouilh reprend le thème du soldat amnésique, mais au lieu d'en faire un drame entre deux nationalités, il en fait un drame intime.
En 1918, un soldat amnésique, Gaston est recueilli dans un asile. Il y reste dix-sept ans à faire de menus travaux, dont celui de jardinier. Sans passé et sans avenir il passe une vie tranquille, jusqu'au jour où on se mêle de retrouver sa vraie famille. Plusieurs indices concordants le mènent vers la famille Renaud qui pense avoir retrouvé en lui leur fils Jacques. Gaston, d'un naturel gentil et paisible, découvre avec horreur ce qu'a été (ou ce qu'aurait été) sa vie antérieure : Jacques Renaud était un être abject et cruel, malhonnête, séducteur de domestiques, brouillé avec ses amis et avec sa propre mère, et amant de sa belle-soeur Valentine. Gaston refuse d'endosser ce personnage. Mais Valentine apporte la preuve irréfutable : une cicatrice derrière l'omoplate, conséquence d'une blessure qu'elle lui aurait faite d'un coup d'épingle à chapeau. Gaston dès lors n'a plus que deux choix : l'acceptation, c'est-à dire le désespoir, ou la mort. Heureusement pour lui, une troisième solution se dessine : un petit anglais dont toute la famille a péri dans un naufrage le reconnaît comme son unique parent. Au prix d'un subterfuge, Gaston accepte d'intégrer cette famille anglaise, fuyant ainsi pour toujours sa « vraie » famille.
Anouilh a catalogué cette pièce dans ses « pièces noires », avec « L'Hermine » (1931), «
La Sauvage » (1934) et «
Eurydice » (1942), auxquelles il convient d'ajouter les « nouvelles pièces noires » : « Jézabel » (1932), «
Antigone » (1944), « Roméo et Jeannette » (1946) et «
Médée » (1946).
Comme on le voit le thème est tragique : il s'agit pour Gaston d'assumer un passé peu glorieux alors qu'il n'a rien demandé, et qu'en plus il est quasiment obligé d'accepter puisqu'il est prouvé qu'il est bien Jacques Renaud. Valentine (qui le tutoie alors qu'il la vouvoie) l'engage à accepter, l'invitant à s'accepter comme il est. Il la réfute comme il a réfuté tous les autres membres de la famille. C'est alors qu'
Anouilh utilise un retournement de situation très théâtral : l'arrivée du petit garçon anglais (deus ex machina) qui en apportant la solution au problème de Gaston, transforme cette « pièce noire » en « pièce rose ». Les fins heureuses ne sont pas si fréquentes chez
Anouilh, ne boudons pas notre plaisir.
A signaler une excellente adaptation à la télévision : un téléfilm de Pierre Boutron (2004) avec Jacques Gamblin (Gaston/Jacques), Micheline Presle (Mme Renaud) et Florence Pernel (Valentine)