Eurydice

LE PERE : Ah ! L'argent, l'argent ! mais c'est toute la vie, mon cher ! Tu as du chagrin, mais tu es jeune. Songe que tu peux devenir riche. Le luxe, l'élégance, la table, les femmes. Songe aux femmes, fiston, songe à l'amour ! Les brunes, les blondes, les rousses, les teintes. Quelle diversité; quel choix ! Et c'est pour toi. Tu es le sultan, tu te promènes, tu lèves le doigt. Celle-là ! Tu es riche, tu es jeune, tu es beau, elle accourt. Et alors ce sont les nuits folles... La passion; les cris, les morsures, les baisers fous, l'ombre chaude; quelque chose d'espagnol. Ou bien sur les divans des boudoirs clos, de 5 à 7, dans les fourrures claires, les jeux d'un feu de bois sur la nudité d'une enfant blonde et perverse, et d'autres jeux souriants et acides. Je n'ai pas besoin de t'en dire davantage, mon cher ! Les sensations. Toutes les sensations. Une vie de sensations. Où est ton chagrin? fumée...

EURYDICE - [...] Ah! nous voilà dans de beaux draps tous les deux, debout l'un en face de l'autre, avec tout ce qui va nous arriver déjà tout prêt derrière nous...
ORPHEE - Vous croyez qu'il va nous arriver beaucoup de choses?
EURYDICE, gravement - Mais toutes les choses. Toutes les choses qui arrivent à un homme et une femme sur la terre, une par une...
ORPHEE - Les amusantes, les douces, les terribles?
EURYDICE, doucement - Les honteuses, les sales aussi... Nous allons être très malheureux.
ORPHEE, la prend dans ses bras - Quel bonheur!...

Quand on se connaît pas encore très bien, quand on ne sait pas tout l'un de l'autre, en plus des mots, les questions sont des armes terribles.

Ce n'est pas que j'aie peur d'être malheureuse comme je le suis en ce moment. Non, cela fait mal mais c'est plutôt bon. Ce qui me fait peur, c'est d'être malheureuse et seule quand vous me quitterez.

Maintenant, au moins, nous nous connaissons. Nous savons le poids de notre tête endormie, le bruit de notre rire. Maintenant nous avons des souvenirs pour nous défendre.