AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de patloc


De Zeruya Shalev à Sinan Antoon , de « Stupeur » à « Seul le Grenadier », deux belles voix de la littérature israélo-arabe.

Vraiment, je n'avais pas prévu l'horreur du massacre du 7 Octobre. Qui l'aurait pu? Il y avait déjà tant d'insoutenables problèmes à résoudre, tant de tragédies que l'on se forçait à fuir, tant d'intifadas rebondissant sur des colonisations permanentes lâchement acceptées par l'Occident depuis
2007 et les accords d'Oslo sabotés par les extrémistes des deux bords, tant de mépris pour le Mouvement de la Paix.
Non, je voulais mettre à l'honneur, en parallèle , sur une même estrade, une des grandes voix de la littérature Israélienne, il y'en a tant, et l'une des plus brillantes écritures d'un grand auteur Arabe. Dire simplement, qu'entre les deux je ne voulais, pouvais pas choisir, tant ils s'unissent dans une splendide et indispensable littérature.
Les grandes plumes Israéliennes sont connues, de David Grossman ( “une femme fuyant l'annonce”) à Amos OZ, de la nouvelle génération Etgar Keret à la tradition parentale d'Abraham Yehoshua , et tant d'autres.

La situation est un peu différente pour la littérature arabe. Riche elle aussi, mais un peu brouillée par le fait que beaucoup de grand auteurs, maghrébins, libanais, égyptiens , sont de culture française, écrivent en Français et font partie du paysage culturel français. Leila Slimani, Amin Maalouf, Yasmina Khadra, Albert Cossery en sont les têtes d'affiche pendant que la Syrienne Dima Wannous ou
l'égyptien Najib Mahfouz peinent encore à occuper leurs premiers plateaux de télévision Français. Je voulais mettre à l'honneur l'écrivain Irakien Sinan Antoon pour son très beau et très dur “Seul le Grenadier “.

Zeruya Shalev, à 64 ans, est une écrivaine israélienne moins connue en France, même si elle a une riche bibliographie derrière elle honorée du Prix Femina en 2014 pour son livre le plus plébiscité chez nous “ Ce qui reste de nos vies”.

« Stupeur » est une Splendeur. Il fait partie de ces livres, rares, qui vont rejoindre, ce qui était au départ, une galéjade , ma désormais PARL , ma pile à relire !
Ce livre est tellement beau, d'une profondeur à ce point insondable, d'une humanité tellement religieuse, au sens où il nous relie à notre propre humanité, à nos différences, à nos interrogations subversives sur nos couples. Il parle du couple, de la famille et de ses secrets, des enfants dont on n'a pa su deviner le changement intime tant il était profond, de l'amitié, du passé douloureux et parfois regretté, du présent remis en question et en évidence , du futur qui va se construire sur d'improbables et inattendues perspectives. C'est aussi le livre le plus politique de l'auteur, rythmé par des allers retours permanents entre l'Israel de 1948, et celui d'aujourd'hui à Haïfa, peinture qui ne sert que de toile de fond à l'histoire.
« Stupeur »c'est Rachel, cette vieille femme juive de 90 ans, aux portes de sa fin, ancienne combattante du groupe extrémiste Lehi qui a lutté en 1948 pour expulser les Britanniques de cette Palestine qu'ils avaient pour mandature, rêvant d'une vie d'entente avec les Arabes dont on voit ce qu'il en a été, « Stupeur » c'est Atara, architecte brillante et imaginative dans son travail et son art qu'elle utilise pour reconstruire des bâtiments anciens avec des matériaux d'époque, femme libre et moderne mais pleutre et pauvre dans le chipotage permanent de sa vie de couple qui va foncer dans le décor avec la disparition tragique de son second mari Alex, regrets et culpabilité éternelle.
« Stupeur » c'est la rencontre inattendue de Rachel porteuse d'un secret qui l'étouffe et qu'il va lui falloir dévoiler à Atara,
« Stupeur » c'est le basculement spirituel et mystique d' Éden son fils commun avec Alex, enfin « Stupeur » c'est le lecteur bousculé sur les barricades de ses certitudes littéraires et va se retrouver confronté à la beauté de l'écriture de Zeruya Shalev, à sa psychologie, à l'interminable introspection sur ses erreurs, ses errements, ses ambiguïtés. L'écriture est d'une finesse et d'une élégance, émouvante à force d'être belle.
Je suis abasourdi par la beauté de ce livre à nul autre pareille. Pourquoi ? Peux-être par l'actualité qui nous renvoie à la lâcheté, non pas des peuples, mais des hommes qui s'en improvisent, les lea(lai)deurs et les maîtres, mais aussi les voleurs et les traîtres.
S'il y avait une supplication que j'aimerais vous faire, ce serait de plonger dans ce livre de vies brisées et d'espérances en berne, et qui s'abreuve aux abysses de l'âme humaine. C'est une gifle littéraire.

Je suis conscient de marcher sur des oeufs en mettant sur le même plan ces deux auteurs de confession et de culture différente.
Sinan Antoon est un poète et renommé traducteur Irakien de 56 ans. « Seul le Grenadier » est son troisième livre.
Jawad est un jeune adulte qui vit avec ses parents à Bagdad pendant la période de l'invasion américaine en Irak. Il a aussi un frère futur médecin et une soeur mariée. le papa est “laveur de cadavres “, il prépare les morts avant l'inhumation, qu'ils soient anonymes ou amenés par les familles. Les rites funéraires sont codifiés et très réglementés. C'est un travail qui est repris de père en fils depuis plusieurs générations.
Et le Grenadier, c'est l'arbre du jardin dont les racines se nourrissent de l'eau qui a servi au Père de Jawad pour laver les corps.

Sauf que Jawad a d'autres projets dans la vie, celui de se tourner vers les arts plastiques et le dessin, dans lesquels il excelle. Il s'y fait remarquer par son professeur et il va tout faire pour accomplir sa passion malgré la déception de son père de ne pas le voir reprendre l'activité familiale. La guerre va en décider autrement.
J'entends souvent dans les commentaires et les résolutions des hommes politiques et des organismes internationaux dire que tel ou tel état ne respecte pas les droits et les règles de la guerre, ne pas attenter aux civils, ne pas affamer et assoiffer les innocents des populations civiles. Mais depuis quand y a t'il des droits, une charte, à respecter dans une guerre, un curseur à positionner sur des actes licites à commettre et d'autres qui ne le seraient pas, y a t'il une légitimité à faire la guerre? Ce livre pose immanquablement ces questions. Deux mille ans de soi disant civilisation ne nous ont donc conduit qu'à des massacres organisés, prémédités, légalisés. Qu'est ce que que c'est que ce monde où l'humain ne sait plus que torturer, décapiter, massacrer.
C'est aussi cela que nous montre le livre, où Joudi avance dans le brouillard de la Mort, essayant à son niveau, avec pour lui infiniment d'humanité, d'apporter au mieux, un semblant de respect et d'ordre par des rites , des soins, des prières, attention aux corps qu'il lave , embaume, traite comme un médecin le ferait, avec empathie pour chacun. Quelle atrocité encore dans ce conflit, où les Américains , gendarme du monde dit libre, envahissent un pays à la recherche perdue d'avance, d'hypothétiques parce que imaginaires, armes de destruction massive qu'ils ne pourront pas découvrir parce qu'elles n'ont jamais existé, la destruction massive ce sont eux qui l'amènent dans l'ordre et la rigueur politique qu'ils se sont inventés.
Attentats suicides , explosions de kamikazes et de voitures piégées, rythment cette histoire trop brièvement éclairée de rencontres amoureuses et sensuelles qui permettent à Jawad, poisson prisonnier dans un bocal, de venir absorber un tout petit peu d'oxygène pour vivre.
Malgré ces horreurs, Jawad continue, sans prendre parti, en dépit de ses cauchemars, de réciter , prières et lamentations , de faire appel à Dieu , à un cadre religieux qui continue de le structurer et de le maintenir debout. Les sourates diffusées sur des haut parleurs demeurent psalmodiées . de façon imperturbable. Comme si rien ne se passait.

Le livre est magnifique, mais dur. Les bombardements, les voitures piégées, les attentats suicide, la présence de l'armée américaine qui fait comme si elle était chez elle, rythment l'histoire et la vie complexe du jeune Jawad, surnommé Joudi. Les premières amours sont aussi décrites avec infiniment de délicatesse et de sensualité. Nous pénétrons dans un monde et une guerre toujours d'actualité, où l'on n'en finit pas de s'interroger sur l'improvisation de l'espèce humaine, bien plus préoccupée par sa destruction que par une ambition de fraternité collective, et où l'on passe allègrement d'une dictature à une autre . le parallèle avec ce qui se passe aujourd'hui à Gaza, comme en Israël , est vite fait comme avec les multiples régions du monde où sévit la guerre. Les populations civiles qui ne demandent qu'à vivre en paix , trinquent. Certaines pages sont angoissantes , et le mieux est de les lire dans la journée plutôt que le soir ! Pourtant, dans cette humanité déchirée par des conflits atroces, dont la pertinence nous échappe, telles les haines entre les communautés Sunnites et Chiites, surnage une espérance et une foi dans un hypothétique avenir meilleur, où l'homme devenu enfin intelligent, accepterait la différence, l'altérité et saurait regarder ses frères d'infortune avec amour et dignité.
On pense tout au long de ces pages écrites sobrement mais avec talent, à la fameuse phrase de Shakespeare “ l' Enfer est vide. Tous les démons sont ici “.
J'ai aimé ces deux livres , que je voulais associer et chroniquer ensemble, convaincu que leurs deux auteurs sauraient en débattre, et parler de littérature et de foi en l'être humain.
On voudrait tous se lever , ensemble, main dans la main, sur tous les champs d'Horreur et dire, Stop, ça a assez duré.
La littérature peut nous y aider.
Humainement recommandés.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}