Le Turquetto

Un juif ne doit jamais aller chez les chrétiens, se dit Bernardouth. Ces gens sont le diable. Ils t'appellent en te disant que tu vas sauver l'un des tiens et tu te retrouves à le pendre de tes mains.

La seule vérité c'est celle qui rend aux gens la vie plus douce

- [...] Les gens ne sont pas plus bêtes que toi et moi. Au contraire, ils sont audacieux, et même plus qu'ils ne le pensent. Ils sentent que regarder, je veux dire : regarder vraiment, risque de leur apporter de la douleur... Ils constateront que tout change ! Leurs amis, leurs femmes, leur travail, tout ! Et tu sais quoi Raton ? S'ils admettent que le monde change, ils devront changer, eux aussi... Et c'est ce qu'ils détestent le plus.

L'homme qui avait donné au christianisme ses plus grands chefs-d'oeuvre d'art allait mourir pour le seul crime de ne pas être chrétien.

Après quoi il avait regardé la copie d’Élie en silence et avait pâli. Un garçon de cet âge qui dessinait comme ça, il n'en avait pas croisé un seul en trente ans. « Reste là », avait-il dit à Élie. Puis il était parti en courant chercher le maître.
Celui-ci avait à peine jeté un coup d’œil au dessin :
 - Tu restes avec nous !
 Élie lui avait baisé le dos de la main, à l'orientale.
 Au moment de rendre la feuille à l'intendant, le maître avait remarqué la signature :
 Turquetto… Pourquoi pas… 
Il avait souri, lui aussi, et le sobriquet était resté.

Neshet fit la prière funèbre. Elie et Süleyman la répétèrent après lui, verset par verset, et, lorsque Neshet eut terminé, il se tourna vers Elie :
- Tu peux mettre la planche.
- Je souhaite réciter une autre prière, fit Elie. Je voudrais ta permission.
- Laquelle ? demanda Neshet.
- Le Kaddish.
- C'est la prière des juifs ... Je ne comprends pas ...
Il dévisagea Elie quelques instants :
- Tu es dönmé [converti - littéralement, retourné].
- Je suis né juif, fit Elie.
L'imam hocha la tête lentement.
- Qui récite cette prière chez les juifs ?
- Le fils, fit Elie.
- Tu es le fils de Mehmet ?
- Non. Bien sûr que non. Mais j'aimerais dire le Kaddish.
Neshet resta silencieux, les yeux dans le vague. Puis il se tourna vers Elie.
- Ta prière ... Est-ce qu'elle viendra du fond de ton cœur ?
- C'est là où elle se trouve, dit Elie. Elle est aussi profondément dans mon cœur qu'elle peut l'être. C'est de là qu'elle viendra.
- Alors dis-la, fit Neshet. Vas-y.
Ainsi Elie récita les trois strophes du Kaddish.

It Kaddal veit Kaddash
Sheme rabbah

Que Son grand nom soit répandu et sanctifié

Gandolfi se tourna sur sa gauche. Le doge trônait sur une estrade haute de trois marches. On aurait dit le pape à Saint-Pierre... Décidément, Venise se noyait dans le ridicule. Elle avait trop de tout. Trop d'or, trop de marbre, trop de soies, trop d'ambitions inassouvies. A Assise, les maisons étaient faites de bois ou de torchis. Mais ;es gens qui les habitaient étaient de vraies gens. Pas des courtisans cruels et vaniteux. dont le regard était sans cesse ailleurs, par-dessus l’épaule de la personne qu'ils avaient en face, à la recherche de quelqu'un qui soit plus important... Plus valorisant... Plus honorant.

J'ai beaucoup apprécié le turquetto et tellement que je voudrais qu'il ait vraiment existé. L'auteur décrit avec passion et beauté cette soif inextinguible de peindre ressenti par le petit turc. Peu lui importe toutes ses règles qui embourbe l'homme et sa passion : la religion réductrice, autoritaire et ses prélats orgueilleux. Il en fait fi et se passionne pour son art au détriment de sa vie. Que c'est bien écrit!!!!!

L'envie de peindre me saisit à tout instant. Elle me pénètre partout. Je la sens en moi comme un dard planté dans ma chair. Puis elle s'évanouit sans crier gare. Et je ressens la honte qu'éprouve un homme lorsqu'il a envie d'une femme et qu'il reste impuissant.

Les Espagnols n'auraient pas chassé les juifs si Jésus était juif.