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Critique de kielosa


C'est à Karin Biro-Thierbach, la grande spécialiste de la grande Hannah Arendt - la petite fille à côté de sa mère, Martha, à gauche sur la splendide photo de couverture - que nous devons cet ouvrage un peu particulier.
Particulier dans ce sens, qu'il consiste, en fait, de différents textes, écrits par Martha et Hannah Arendt, ainsi que par Karin Biro-Thierbach. Comme le titre de l'ouvrage risque de prêter à confusion, je me permets d'en spécifier le contenu plus en détail.

L'ouvrage qui compte en tout et pour toutes 202 pages, dont certains textes sont reproduits en version bilingue Français-Allemand, est conçu comme suit :
1) Un avant-propos par Karin Biro-Thierbach de 5 pages ;
2) le carnet de Martha Arendt, intitulé "Notre enfant", de 64 pages (dont la moitié en version originale) ;
3) quatre textes d'Hannah Arendt :
a) "Les sages animaux" de 44 pages (bilingue) ;
b) "Métaphore... la porte" de 2 pages (bilingue ) ;
c) "À travers le mur" de 4 pages (bilingue ) ;
d) "Le poids ôté du coeur" également de 4 pages (bilingue ) ;
4) une postface de Karin Biro-Thierbach de 82 pages.

Avant de tourner vers la mère et la fille Arendt, un mot sur Karin Biro-Thierbach, qui a écrit avec Adam Biro "Toi et moi, je t'accompagne : entre Königsberg et Kaliningrad nous cherchons de l'ambre et des racines" (2007), un album photos de la ville où Hannah Arendt et l'autre philosophe célèbre, Emmanuel Kant (1724-1804) ont vécu. Elle a aussi le grand mérite d'avoir publié les poèmes d'Hannah Arendt dans un ouvrage intitulé : "Heureux celui qui n'a pas de patrie" en 2015.
C'est au cours de la même année, 2015, que l'auteure a découvert aux archives de la "New School Library" de New York et à la bibliothèque du Congrès américain les manuscrits mentionnés ci-dessus, qui grâce à elle sont publiés pour la toute première fois.

"Notre enfant" ("Unser Kind") est une sorte de journal que Martha Arendt-Cohn a écrit depuis la naissance de sa fille, Johanna (son prénom de baptême), à Hanovre le 14 octobre 1906 jusqu'en 1916. Un document étrange qui ressemble presque à un rapport de la santé du bébé Hannah. Pas littéraire du tout, plutôt "clinique", mais qui témoigne des soins attentifs d'une mère et d'un père - car il y a aussi quelques annotations de Paul Arendt - pour le bien-être de leur fille.
Martha, qui a étudié le Français et la musique à Paris pendant 3 ans, suivait de près les méthodes nouvelles d'éducation et a favorisé chez sa fille "un épanouissement de la personnalité, servie par un esprit essentiellement libre et critique". Paul, un ingénieur diplômé et "érudit amateur" ("Amateur-Gelehrter") était un introverti qui adorait la lecture et s'était constitué une belle bibliothèque, qui faisait le bonheur de sa petite Hannah. La future philosophe a donc profité de solides atouts depuis sa petite enfance.

Ce beau tableau avait aussi un revers. En 1909, la vie a basculé pour le couple : c'est le retour des symptômes de la syphilis chez Paul, que lui et Martha croyaient guérie. La petite Hannah s'occupait de son père alité "comme une vraie petite mère", jusqu'à sa mort en 1913. La môme avait 7 ans et déclarait à sa mère : "Tu sais, maman, ça arrive à beaucoup de femmes". Martha pensait que sa fille n'était pas affectée par ce drame. Pourtant lorsque des années plus tard sa mère s'est remariée, Hannah n'a jamais accepté son beau-père, ni ses 2 belles-soeurs d'ailleurs.

Dans le carnet de Martha nous faisons connaissance avec un enfant super-intelligent, qui "comprend tout immédiatement et ratrape sans tarder toute lacune éventuelle". Une gamine qui avait des moments de mélancolie, mais en même temps un "immense appétit de vivre", qui lisait beaucoup, inventait ses propres histoires et en faisait des petites pièces de théâtre avec ses marionnettes. Elle aimait aussi chanter, mais à la consternation de Martha, une pianiste qui donnait parfois des concerts, ....sa fille chantait "beaucoup, avec passion, et complètement faux" !

Les textes de jeunesse d'Hannah Arendt ont été écrits, probablement en 1938-1939, à Paris, où elle s'était réfugiée en 1933 après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Ils reflètent l'angoisse de nombreux réfugiés venus d'Allemagne dans la Ville Lumière à l'approche de la guerre. "La porte" et "À travers le mur" font penser à Franz Kafka. "Le poids ôté du coeur", par contre se réfère au mythe de Sisyphe, qui inspirera le Nobel français, Albert Camus, 3 à 4 ans plus tard à son superbe essai de 1942. C'est aussi à Paris pendant ces annees qu'Hannah Arendt publia son ouvrage biographique de "Rahel Varnhagen. la vie d'une Juive allemande à l'époque du romantisme", que j'ai chroniqué ici le 11 juillet 2017.

"Les sages animaux" est à la fois fable, conte et récit. L'histoire d'une petite fille qui "parvient à exaucer son voeu le plus cher : trouver l'amour... et ouvrir ainsi l'horizon sur la promesse d'un monde apaisé et harmonieux". Parmi les nombreuses lectures de son adolescence qui lui ont inspiré ce texte, il convient de citer Karen Blixen, célèbre pour son "La Ferme africaine" , qui fut pour elle une véritable révélation, à ce point même que ce fut l'écrivaine danoise qui l'a incité à écrire de la poésie.

La postface de Karin Biro-Thierbach est tout simplement exemplaire, puisqu'un portrait très vivant est brossé de ce grand esprit qu'a été après tout Hannah Arendt. Pas l'auteure d'ouvrages tels, "La crise de la culture", "Les origines du totalitarisme ", "La condition de l'homme moderne" etc., mais une Hannah comme gamine rebelle, brillante étudiante, entre autres de Karl Jaspers, amoureuse de son prof. Martin Heidegger et de son 2e mari, Heinrich Blücher, qu'elle épousa en 1940 à Paris et avec qui elle est partie aux États-Unis, et restee jusqu'à sa mort en 1970, 5 ans avant son propre décès, le 4 décembre 1975 à New York, devant sa machine à écrire.

Je peux vous recommander le film franco-allemand, qui comme titre porte son nom, et a été réalisé par Margarethe von Trotta, en 2013, avec une très convaincante Barbara Sukowa dans le rôle d'Hannah Arendt. le film commence en 1961 à Jérusalem, où Hannah est venue comme journaliste suivre le procès d'Adolf Eichmann. Ce procès résultera dans son fameux best-seller "Eichmann à Jérusalem - Rapport sur la banalité du mal".
Comme livres biographiques de qualité, il y a celui d'Elisabeth Young-Bruehl et celui de Julia Kristeva "Le génie féminin, tome 1 : Hannah Arendt " de 2003.
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