Encore un livre de repenti.. Pas au sens Italien du terme, où il désigne d'anciens mafieux collaborant avec les autorités. Quoique ce soit d'une autre mafia qu'il s'agisse, en fait, celle qui tient les rênes de l'économie, et qui organise depuis quarante ans la mondialisation et la désindustrialisation des pays occidentaux qui va avec, la destruction du climat, et toutes les joies délicates du néolibéralisme déséquilibré dans lequel nous vivons.
Patrick Artus, ancien chef économiste de la banque Natixis, en faisait indubitablement partie. Et ne voilà-t-il pas que dans cet essai co-écrit avec la journaliste économique
Marie-Paule Virard, dès l'introduction, il sort l'artillerie lourde : « En Europe comme aux Etats-Unis et dans de nombreux pays riches, une foule grandissante, abandonnée sur les bas-côtés de la prospérité, se vit en victime d'un monde injuste et inégalitaire. » Et un peu plus loin : « Dans l'ensemble des pays de l'OCDE, la stagnation, quand ce n'est pas la régression du pouvoir d'achat est une réalité quotidienne ».
De gauche
Patrick Artus ? Bien sûr que non. Il y a, depuis quelques années, en France, toute une littérature animée par d'ancien grand prêtres du libéralisme qui vise à dénoncer les excès de ce dernier dans la version Reagano-Thatcherienne qui sévit depuis les années 80. Cynisme ? Récupération marketing ? Je crois plutôt en la sincérité de ces auteurs. Plus clairvoyant que d'autres, ou ayant pris le temps de réfléchir, contrairement à ceux qui se contentent de jouir des dividendes de leur position, ils anticipent le mur où la trajectoire actuelle va nous conduire. Croyant toujours aux bienfaits du capitalisme, ils cherchent quelles solutions pourraient encore sauver les meubles. D'où le titre de ce livre : «
La dernière chance du capitalisme ».
Et c'est diablement intéressant. La mécanique infernale décrite par les mécanos qui la font vivre. Les auteurs montrent par exemple que le système néolibéral (celui dans lequel nous vivons depuis 40 ans), est « non seulement agressif sur le plan social et environnemental, mais il est inefficace économiquement ». « Qu'il s'agisse du taux d'emploi […], de l'effort d'investissement des entreprises, de l'innovation, des gains de productivité […], ou du niveau de vie […] : les chiffres sont implacables : la situation était tout simplement plus favorable de 1950 à 1980 que depuis 1980. » Ils montrent aussi que ce système néolibéral repose sur trois béquilles bien fragiles. Si vous souhaitez tout savoir sur ce qu'on appelle le « Quantitative Easing », dont l'utilisation systémique fait l'objet d'une nouvelle théorie économique connue sous l'acronyme MMT (Modern Monetary Theory), vous trouverez ça dans ce livre. Ça ne vous intéresse pas ? Vous avez tort, car c'est probablement de là que va partir la prochaine méga-crise économique.. qui va faire mal, très mal !
Comme on pouvait s'y attendre, la partie la plus faible du livre concerne les solutions. La nécessaire re-régionalisation des productions stratégiques, bien sûr. L'économie sociale de marché, oui encore. Modérer les exigences de rendement du capital en diluant ce dernier par distribution aux salariés, absolument ! Mais tout ça pour en arriver à prôner une extension de l'ordo-libéralisme allemand à toutes les économies capitalistes, cela fait petit-bras..
Et puis il y a un point où je me permets d'être franchement en désaccord avec les auteurs.
Patrick Artus, voit notre pays rester en marge de la grande redistribution des cartes économiques qu'impliquerait la re-régionalisation des productions, car il combine, comme l'Italie et les Etats-Unis au demeurant, le double handicap de couts salariaux élevés et d'une faible compétence de ses salariés. Pour étayer ce dernier point, il se base sur les résultats de l'étude PIAAC de l'OCDE. Cette étude, qui évalue les compétences des adultes dans divers domaines, mesure leur compréhension du monde qui les entoure. Classés avant-derniers, les Français y apparaissent, effectivement, comme peu adaptables aux nouvelles technologies et très modérément ingénieux.
Je ne partage pas ce pessimisme. Tout d'abord parce que la 11e édition du classement mondial des universités les plus performantes en matière d'employabilité du Times Higher Education, parue en Mars 2022, (après ce livre), montre que les jeunes diplômés français sont les seconds les plus attractifs aux yeux des entreprises du monde, après les Américains, ce qui relativise pour le moins les résultats de l'étude PIAAC. Ne serait-ce, ensuite, que parce qu'il est contredit par mon expérience personnelle : on peut très bien rendre une entreprise française extrêmement compétitive internationalement.
Mais ça, c'est une autre histoire..