Un livre pour ceux qui n'ont pas du tout de notions sur le réchauffement climatique et la révolution de culture qu'il impose – ou pour trouver des arguments contre les climatosceptiques.
Si vous n'avez pas idée de ce que le réchauffement climatique va engendrer de bouleversements, il faut le lire. C'est très accessible et exhaustif sur les changements de comportements.
Si vous le savez déjà mais que vous vous demandez comment on va faire, il vaut mieux consacrer votre temps à un autre livre plus complet (comme le Giec urgence climat de
Sylvestre Huet, par exemple).
Ce livre m'a déçu car il ne propose pas ce qu'il annonce : un Plan. Il propose plutôt une liste des changements de comportement qui s'annoncent.
Or ce livre n'apporte qu'une présentation de ces bouleversements nécessaires - mais rien sur les moyens d'y parvenir.
J'explique ci-dessous mes arguments pour ceux que cela intéresse. Mais ce n'est pas intéressant si vous voulez seulement vous renseigner sur le climat :
À nouveau, si vous n'avez aucune idée des révolutions culturelles qu'il va falloir mettre en place, lisez-le, vous ne perdrez pas votre temps.
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Ce qui m'a plu le plus est l'historique de la mise en évidence du réchauffement climatique :
L'effet de serre est mis en évidence par
Joseph Fourier en 1824. En 1838, un autre Français, Claude Pouillet, identifie le CO2 et la vapeur d'eau comme responsable de l'effet de serre : "Il en déduisit dès cette époque que toute variation de la quantité de CO2 dans l'atmosphère faisait varier le climat."
Au début du XXème siècle, Svante Arrrhenius, chimiste suédois, estime que passer la concentration atmosphérique de CO2 de 280 à 560 ppm élèverait la température de surface de 4°C. Aujourd'hui on calcule que ce serait plutôt de 5°C, mais c'est l'idée. Intéressant : on pensait à l'époque que ce serait une bonne chose car favorisant la pousse des plantes.
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J'ai regretté de ne pas savoir qui avait écrit ce livre. Il est évident que seule une force politique peut proposer les moyens de changer une économie.
Or seul le nom du signataire de l'avant-propos est cité -
Jean-marc Jancovici - et nous n'avons aucune présentation de ce monsieur : son parcours, ses motivations, ses compétences, ses intentions...
Quant aux autres membres de ce parti politique mystérieux, ils sont présentés ainsi : "Les travaux du PTEF ont été menés avec une équipe composée de salariés, une quinzaine d'experts bénévoles ou recrutés pour la durée de l'étude, ainsi qu'avec la collaboration de centaines de bénévoles professionnels des secteurs concernés".
On ne sait pas de quelle force politique il s'agit.
Car il s'agit bien de politique : "Le Shift Project milite pour la décarbonation de l'économie depuis sa création en 2010" ; "Le présent ouvrage propose une ébauche de plan opérationnel pour les cinq ans qui viennent, afin de placer la France sur un chemin d'une transformation à accomplir en une génération – d'ici 2050" ; "Le PTEF propose secteur par secteur les dispositions immédiates, souvent contraignantes, qu'il faut prendre dans les cinq prochaines années pour enclencher une réduction rapide des émissions, au bon rythme".
Le livre est publié en 2022, il s'agit donc bien d'orienter une politique.
La politique étant ce qu'elle est, il se peut que l'ambiguïté soit maintenue pour, précisément, engager à agir quelle que soit l'inspiration politique ?
Il s'agit de toute façon d'un manifeste pour l'environnement, quelle que soit la force politique dont il est question.
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Les chiffres et les enjeux sont exacts :
Une différence vers le bas de -4°C nous ramène à l'époque glaciaire, quand rien ne poussait en Europe puisqu'elle était sous la glace.
Ça laisse donc une idée de ce que serait un réchauffement de +4°C : la Terre serait sans doute un désert.
Surtout si cela se produit en un siècle : la fonte des glaces depuis la glaciation s'est produite en quelques milliers d'années.
Mais on ne trouvera pas d'explications sur les autres Gaz à effet de sert et sur des notions qui sont prises en compte par le Giec (comme l' « équivalent CO2).
À noter cependant une petite erreur : il est écrit que la production de « CO2 » (en vérité équivalent CO2) est de 40Gtonnes par an : c'est bien pire, car il s'agit avec 40Gtonnes des émissions de 1990.
Aujourd'hui, on est plutôt à 60 Gtonnes.
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Je n'ai pas aimé les images insérées dans le livre : elles n'apportent rien à mon sens.
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Je n'ai pas aimé non plus d'avoir été orienté vers ce livre par la participation de l'auteur de l'avant-propos à une commission au Sénat (https://url-r.fr/BWgsJ) :
Cela m'a donné à penser que le Sénat ne fait pas la différence entre un « Plan » et un « manifeste ».
Difficile en effet de penser qu'un seul individu puisse avoir une capacité à la fois à organiser des « Plan » et à « convaincre des populations ».
Mais comme on ignore qui l'a écrit, ce livre… Il se peut que Jancovici ait la capacité à produire des « Plans » mais qu'il n'en montre rien – j'ignore pourquoi.
Et si le Sénat ne fait pas la différence, y'a pas à dire : on est mal barrés.
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L'idée essentielle est de diviser par deux la production d'énergie (graphique en chapitre 4 qui passe de 2000TWh à 1000).
Le "Plan" n'indique pas comment nous allons nous organiser pour cela : "Le PTFE parle de tonnes, de watts, de personnes et de compétences. Mais il parle peu d'argent, et jamais comme d'une donnée d'entrée du problème posé : face à ce problème, l'épargne et la monnaie ne sont pas les facteurs limitants les plus sérieux. Encore moins lorsqu'il s'agit de l'avenir de nos enfants, et des leurs."
Difficile, ici, de savoir comment mettre un programme politique qui ne soit pas financé.
Il s'agirait alors de solliciter les populations à agir, à s'engager, à revendiquer, à exiger des solutions, pour engager un changement ?
Peut-être.
En effet :
"Avec le PTEF, le Shift Project revendique des propositions compatibles avec l'objectif de réduction des émissions, réalistes techniquement, et acceptables politiquement".
Et comme les obstacles sont inhérents au choix de la réflexion qui est menée, la crédibilité du projet politique est par principe ruinée :
Une politique exclusivement française n'a pas de sens. La lutte contre le réchauffement climatique est locale (changements de comportements), régionale et nationale (changements de politiques) mais aussi internationale (coopération sur les objectifs mondiaux).
Donc une réflexion qui se prive d'expliquer comment ces changements drastiques s'opéreraient dans une France coupée du monde est une contradiction.
C'est donc toujours la motivation qui est sollicitée :
Le titre 1 est : "Cette génération peut sauver le monde." C'est bien l'impression qu'on avait dès le début : y'a qu'à, faut qu'on. Ce n'est pas l'idée que je me faisais de la manière de travailler de Jean Monnet, commissaire au plan de la quatrième république et l'un des fondateurs de l'union européenne.
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Je n'ai pas aimé cette manière injonctive de pousser à l'action alors que les auteurs, eux-mêmes n'en savent rien :
"Voilà pourquoi, afin d'éviter un réchauffement de plus de 2°C d'ici la fin du siècle, l'humanité doit dès maintenant réduire ses émissions de près de 5% par an. Tel est le cap que fixent les accords internationaux signés à Paris en 2015. C'est une telle organisation concrète que propose le Plan de transformation de l'économie française".
Oui, certes, le Giec confirme, c'est inéluctable : "doit réduire", "dès maintenant".
Mais, ici, les auteurs s'adressent aux responsables politiques : quel est ce « Plan » ?
On ne sait toujours pas.
Eux non plus :
"À quelle vitesse démarrera-t-on ?" -> je ne vois pas l'accélérateur où appuyer ni le compteur ? vous voulez dire quelles mesures prendre en priorité ?
Pourtant :
"Si ces outils sont mis en place et que le départ est pris dès le prochain quinquennat, on peut espérer une réduction des émissions de GES dès les cinq prochaines années de plus de 4% par an".
En plus, les auteurs ne suivent pas leurs propres recommandations :
Ce n'est plus "dès demain", c'est au "prochain quinquennat" ; ce n'est plus une nécessité, c'est un espoir ; et ce n'est plus 5% pour l'humanité, c'est 4% pour la France.
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J'ai regretté aussi le langage :
Des métaphores innombrables :
"L'énergie irrigue notre économie et nos modes de vie." -> non, ce sont les flux qui irriguent, comme l'eau ; l'énergie, elle, fournit les moyens d'organisation de nos modes de vie.
"le métabolisme de l'économie" -> et oui tout est vivant aujourd'hui, même ce qui est inerte : le CO2 et les produits ont une "durée de vie" et l'économie a un "métabolisme". Qu'est-ce que le "métabolisme de l'économie" ?
L'économie ne va pas mourir. Vous, si.
Et à l'heure de la défense de la biodiversité, qui irait prôner un meurtre, en l'occurrence, celui de l'économie, s'il fallait en changer pour lutter contre le climat ?...
Comme toujours ces analogies mènent à des phrases qui n'apportent rien : "Nos propositions pour transformer le système énergétique – Impulser très vite les nécessaires grands travaux électriques". Eh oui. Merci. Mais comment ?
Et à des phrases qui n'ont aucun sens, voire sont des aberrations :
"Pour parcourir 1 kilomètre, un vélo à assistance électrique consomme 50 à 100 fois moins d'électricité qu'une voiture diesel ne consomme de diesel."
À l'école on apprend à ne pas mélanger les torchons et les serviettes, les pommes et les tomates ; mais dans des rapports scientifiques très sérieux sur l'avenir de l'humanité et le climat, on mélange le volume de diesel (litre) et l'énergie électrique (joules).
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Mais peu importe. Ces gens ont vendu leur livre et ont su capter l'attention.
Ils peuvent maintenant vendre leurs services de conseils et intervenir au Sénat.
Ou exciter les lecteurs pour les convaincre, selon des modes argumentatifs qui m'échappent et qui, en ce qui me concerne, n'a rien changé à mes connaissances sur la nécessité des changements comportementaux –
sans rien non plus m'apporter que de l'énervement car, d'organisation concrète pour les mettre en place, il n'en est pas ici question.
Le risque, c'est qu'on accuse les auteurs de vouloir faire de l'argent sur la transition écologique et d'exciter les populations en accroissant l'éco-anxiété - sans rien modifier d'autre - ni même y prétendre.
Et le risque est donc le renfermement de ceux qui se sentiraient dépassés par les obstacles à venir – et qui, comme aux États-Unis, se mettent à voter pour des partis climato-sceptique pour avoir la paix.
Soit le contraire de ce que visent les auteurs de ce livre.