Des exceptions existent où les femmes participent à la mascarade. Elles sont plus fréquentes chez les Amérindiens qu'en Afrique mais la femme imaginaire est la même de part et d'autre : est seulement modifiée son approche, ici dans la forclusion, là dans le contrôle. Épinglons quelques cas africains : chez les Toura, le masque représentant la femme originelle est porté par une femme mais celle-ci doit au préalable quitter son foyer et renoncer à la maternité à coups de potions stérilisantes ; chez les Okpelle, les femmes ont inventé des masques pour représenter leurs aïeules, privilège dû à leur relative richesse matérielle, mais elles sont tenues de faire porter ces masques par des hommes contre une rétribution si copieuse que leur fortune se trouve ainsi redistribuée « équitablement » entre les sexes. Toura et Kono font présider la cérémonie de l'excision par un masque déflorateur enlevé aux hommes par les femmes, une sorte de réplique au vol initial des masques par les mâles mais s'agit-il bien d'une victoire en cette occurrence mutilatoire ? Les Tin Dama, en Nouvelle-Guinée, font porter un masque d'ogresse par la femme au moment de sa ménopause et elle assiste, ainsi affublée, à ses funérailles anticipées…
Odette Aslan : Les femmes n'ont-elles jamais porté les masques qu'elles avaient découverts ?
J.T. Maertens : Il y a le cas des danses menstruées. Les femmes Dogon, qui allaient souvent en forêt, découvrirent les ancêtres des Dogon, des individus pré-humain. Elles assistèrent en cachette à leurs danses et elles fabriquèrent des masques pour les représenter ; elles revinrent ensuite danser au village. Il existe, entre autres, les danses par lesquelles les femmes, au moment de leurs premières menstrues, signifient aux hommes qu'elles sont menstruées en portant les fibres rouges. Elles dansèrent peut-être une fois pour montrer qu'elles étaient disponibles pour le mariage, automatiquement les hommes s'emparèrent de la danse, qui s'appelle aujourd'hui « menstrues des hommes ». Ils inventèrent un autre mythe pour justifier leur rapt, disant que la fille du roi de la forêt a été déflorée par un lion, qu'elle a saigné. Les hommes chantent la défloration de la fille du roi de la forêt. C'est un autre sang, non plus celui de la menstruation, rythme corporel de la femme, mais celui de la défloration, rite du mâle.
La dialectique sous-jacente à ces manifestations est cependant claire : la femme est désignée comme réceptacle d'une puissance imaginairement incontrôlable, l'homme et son masque distillent au contraire un pouvoir sous contrôle : laisser la puissance de la première intervenir dans le champ du second reviendrait à ébranler le compromis social. Ce n'est donc pas seulement la « mère » qui est forclose, fantasmée comme corps-mère originel, mais toutes les femmes, parquées en quelque sorte hors du social dans un « entre-femmes » clos et silencieux. Dans maintes sociétés, l'initiation des jeunes garçons s'achève par la découverte du masque et qu'il n'y a rien là sinon le pouvoir de faire peur aux femmes.
La physionomie des masques féminins est cependant modifiée dans les sociétés où le pouvoir masculin s'est davantage affirmé : la nostalgie du stade androgyne est refoulée et la femme n'est dès lors plus que l'incarnation de zones psychiques à forclore. Dans ce cadre, le masque féminin devient hideux et la tête prend souvent l'apparence des organes génitaux de la femme. On pense à la Gorgô grecque sur laquelle la bouche devient vulve et les poils pubiens chevelure serpentine ou encore à tel masque Bambara où la bouche est représentée verticalement pour mieux évoquer le sexe. Les masques féminins dans les carnavals européens relèvent souvent de cette lignée.
Reste une véritable exception chez les Mende où une société secrète de femmes dispose de masques importants qui servent en particulier à l'éducation des jeunes filles et à la défense des droits de la matrilinéarité, mais l'organisation entière de la société Mende repose sur des sociétés secrètes et il est normal que les femmes aient la leur autant qu'elles contribuent de la sorte à la bonne éducation des futures épouses, sans grand danger donc pour les maris.