Ce roman est certes un roman policier, mais c'est, surtout, un roman noir… très noir.
On y retrouve tous les ingrédients d'un excellent polar : crimes, rebondissements, sexe (et même inceste), mal-être, secrets de famille, personnages ambigus et situations glauques. Mais, énorme cerise sur le gâteau, cela se passe à Alger dans les dernières semaines de l'Algérie française, cette période où ‘'Alger la Blanche'', lumineuse, va devenir ‘'
Alger la Noire'', mortifère.
Roman polyphonique à 4 voix : le policier Paco Martinez, sa grand-mère qui l'a élevé, son collègue Choukroun et sa compagne Irène. ; chacun s'exprime de manière différente ce qui donne beaucoup de relief au roman.
Mais, à mes yeux, l'intérêt principal est dans le contexte historique. L'intrigue se déroule à Bab-El-Oued, quartier d'Alger où se côtoyaient en parfaite harmonie différentes communautés de petites gens, très représentatifs de la majorité des Français d'Algérie. Tout cela va exploser dans la violence et la barbarie : pertes de repères, haines aveugles et/ou fratricides, vengeances, assassinats ‘'gratuits'' ; on assiste à l'effondrement d'un monde. On a presque l'impression que les crimes sur lesquels enquête Paco sont de la ‘'petite bière'' à côté de ce déchaînement d'horreurs. Paco reste le dernier, avec Choukroun, à essayer de faire son métier alors que tout le commissariat ne se donne plus la peine d'ouvrir des enquêtes et sert de relais à l'OAS (dissidents de l'armée française et leurs sympathisants pratiquant la politique de la terre brûlée). Un ingrédient supplémentaire de bon polar : la solitude du héros qui navigue à contre-courant tout en ne se faisant aucune illusion sur l'issue inéluctable des évènements.
A l'instar de Lucky Luke, sur le bateau de l'exil qui l'éloigne d'Alger, Paco pourrait dire ‘'I'm a poor lonesome cop'' (ce départ constitue le prologue et l'épilogue du roman)…
Un excellent roman noir, une lecture recommandée.