« Y avait la mer et ses tempêtes qui rythmaient les saisons ; y avait le vent qui vous prend au corps, qui vous rappelle que le monde existe, c'est important ça de sentir que le monde existe ; et nos chats qui ronronnaient comme la mer et le vent. C'était les trois instruments de la musique de notre île. »
Imagine un petit livre bleu, un carré bleu de mots, inoffensif, tout juste sur la couverture quelques lignes en relief qui se laissent deviner à l'oeil attentif.
Imagine un récit sur lequel se seraient penchés
George Orwell et
Ray Bradbury pour dire notre monde, son absurdité et ses dangers.
Imagine le vent pour révéler ta vraie nature et te rattacher à la terre.
Imagine une île, des chats, une communauté de gens différents, seuls mais jamais laissés pour compte.
Imagine un gardien de phare qui attend le retour de sa famille, une maîtresse d'école doyenne et amoureuse, un curé et un poète tchèque inséparables dans leurs discordes, un enfant qui ne sait pas mentir, une mère forte et entière, un narrateur endeuillé mais chanceux. Une troupe de caractères trempés, vivants, blessés et résilients, en veille les uns des autres.
« Car nous étions tous différents, nous possédions tous un truc à nous, jusque dans notre façon de penser, de parler ou d'être. Chacun avec ses histoires, ses envies. Y avait du commun bien sûr, sinon on se serait pas retrouvé là, mais y avait aussi beaucoup de singuliers. C'était notre force, je crois, d'être égaux sans l'être, de ne pas être semblables et de le savoir pertinemment, mieux encore : de le respecter. »
Imagine le souffle poétique d'une langue sans fard, sans boucles, aux phrases courtes, dans une économie de mots qui fait valoir la simplicité comme le plus beau des langages pour nous parler les cardinaux qu'on ne voit plus, nous susurrer les indispensables qu'on oublie, nous murmurer les essentiels qui nous manquent tant alors que….
Imagine un texte éclairé, astucieux, sagace qui rappelle la richesse de l'altérité, la saveur d'être soi au milieu d'autres singularités, le bonheur du partage dans ce respect.
Et le tout de cette charade pour résoudre une énigme étrange, folle, ubuesque…usuelle, courante et récurrente, si actuelle.
Isabelle Aupy compose avec une simplicité désarmante, une évidence tranquille et espiègle, une fable jolie, jolie comme l'espérance, comme l'étincelle de joie qui annonce un meilleur, une fable qui en dit long sur ce que nous vivons encore, toujours, plus que jamais, une ritournelle à trois accords, qui nous évoque un air, déjà, il y a longtemps… à laquelle il faudra certainement ajouter d'autres mélodies pour planter, semer, arroser, confier, enraciner ce qu'il nous faut de cran et de conscience pour rester droit.
«C'est ce qui arrive quand on appelle un chien un chat. On embrouille tout, on change les idées des gens, on les empêche de savoir ce qu'ils aiment ou ce qu'ils pensent. J'ai lu des pages et des pages d'histoires qui se ressemblent, qui ressemblaient à la nôtre surtout. Parce que cette histoire, elle existait ailleurs, comme toutes les histoires, elle existait partout. D'autres noms, d'autres lieux, d'autres méthodes, mais au final, ça revenait au même : à des gens qui perdaient leur liberté d'être. »
Imagine la possibilité d'une île, de cette île, elle est peut-être déjà autour de toi, prête à émerger sous tes pieds.
« On savait qu'il existait un autre moyen. Et plutôt que de le dire, on l'a montré. Je crois que l'exemple, c'est un truc contagieux ».
Imagine un condensé d'intelligence, de tendresse, de drôle et de loufoque ; une recette pour penser sans omettre de panser ; une lucidité étiquetée ni réac ni pessimiste et peut-être juste responsable ; le tout sans mièvrerie ni leçon culpabilisante, bref une histoire qui remet à l'endroit grâce aux envers de la création. Une consolation.
Imagine ma joie et mon engouement pour ce délicat et très grand premier roman !
« On voulait trouver une manière d'être comme soi, tout simplement. »