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Critique de Charybde2


Minutieuse description d'une grande ville française entièrement fictive, entre Loire et Garonne : une expérience géographique, historique et humaine particulièrement spectaculaire et troublante, par un grand philosophe du paysage.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/09/10/note-de-lecture-description-dolonne-jean-christophe-bailly/

Quelque part entre Nantes et Bordeaux, la grande ville d'Olonne médite peut-être sur son histoire et actualise sa complexe géographie portuaire et fluviale, jouant de ses couches architecturales et de ses lieux éventuellement ambigus. Pour la découvrir, un narrateur qui a dû la quitter précipitamment il y a quelques années, mais qui en garde un fort et agréable souvenir, nous en détaille patiemment les charmes, les surprises et les pièges, au filtre de son appréciation intime et de sa mémoire de bibliothécaire en rupture de ban.

Cette Olonne est entièrement fictive (elle n'a qu'un fort lointain rapport, notamment, avec l'Olonne devenue Olonne-sur-Mer en 1927, ancienne commune littorale de Vendée, fusionnée en 2019 au sein de la sous-préfecture locale, Les Sables-d'Olonne), même si elle emprunte vraisemblablement quelques-uns de ses traits distinctifs à d'autres villes, françaises ou étrangères. La description minutieuse, objective et subjective, douce ou acérée selon les moments, que nous en offre le narrateur, guide touristique, artistique et littéraire, improvisé à distance physique et mémorielle, n'en est que plus saisissante, inattendue et profondément troublante.

C'est grâce à Hélène Gaudy (elle-même l'une des autrices contemporaines les plus à même de saisir ou de ré-imaginer l'âme de certains lieux-limites : son « Un monde sans rivage » ou son « Grands lieux » sont des lectures indispensables), venue jouer les libraires d'un soir (une performance à écouter intégralement ici) à la librairie Charybde le 25 octobre 2018, à l'invitation de ma collègue et amie Marianne (lisez, sur ce même blog, ses chronique de « Plein hiver », ici, et de « Une île, une forteresse », là), que j'ai découvert cet objet littéraire hors normes et profondément réjouissant.

Publié en 1992 chez Christian Bourgois, ce troisième texte de fiction de Jean-Christophe Bailly, philosophe, longtemps éditeur de romans et de livres d'art, enseignant à l'École nationale supérieure de la nature et du paysage De Blois, jusqu'alors connu essentiellement pour ses essais et récits à portée esthétique et philosophique, entretient aisément un dense tissu de résonances avec des oeuvres contemporaines et moins contemporaines, évoluant à la croisée d'un certain type de littérature voyageuse, d'une poésie de la précision et de l'énumération imaginative et d'une capacité de compréhension et de reconstruction urbaine (ou parfois rurbaine) : en dehors d'Hélène Gaudy elle-même, on pensera sûrement, par exemple, au Jérôme Lafargue de « L'ami Butler », au Fabien Clouette de « Une épidémie », voire à Claire Duvivier et à Guillaume Chamanadjian lorsqu'ils élaborent leur Dehaven et leur Gemina dans « Citadins de demain » et dans « le sang de la cité ». Dans l'amont d'Olonne, on trouverait bien entendu Julien Gracq, dont « La forme d'une ville » est ici omniprésente à bien plus d'un titre, comme, discrètement et joueusement, Italo Calvino et ses « Villes invisibles » – d'où l'écho aval, aussi, en direction d'un autre géographe d'origine, Emmanuel Ruben, avec son « Dans les ruines de la carte » (Olonne ne surgit-elle pas après tout d'abord d'un tracé – comme le rappelait Clément Willer dans son article « L'énigme démocratique d'Olonne », dans la revue Captures ?), et avec, par exemple, ses toutes récentes « Méditerranéennes » (songeons à la place particulière qu'y tient la ville de Constantine « de mémoire »), qui seront chroniquées très prochainement sur ce même blog, et, peut-être plus curieusement, d'un poète aussi furieusement atypique que Patrick Beurard-Valdoye, dont aussi bien le Kurt Schwittersle narré des îles Schwitters », 2007) que la ville de Liège (« Gadjo-Migrandt », 2014) pourraient aisément s'immiscer ici. Relativement secrète, « Description d'Olonne » a pourtant tout, ainsi, d'un creuset et d'une matrice. Ce qui n'est peut-être pas si surprenant, irradiant d'une telle mise en abîme multiple de la mémoire, historique et intime, d'une ville qui, selon le mot d'Hélène Gaudy lors de son intervention déjà citée, « nous permet à toutes et à tous de retrouver des fragments insaisissables de villes que l'on a connues, sans pouvoir les identifier directement ».

Lien : https://charybde2.wordpress...
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