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EAN : 9782330124953
Actes Sud (21/08/2019)
3.73/5   184 notes
Résumé :
À l’été 1930, sur l’île Blanche, la plus reculée de l’archipel du Svalbard, une exceptionnelle fonte des glaces dévoile des corps et les restes d’un campement de fortune. Ainsi se résout un mystère en suspens depuis trente-trois ans : en 1897, Salomon August Andrée, Knut Frænkel et Nils Strindberg s’élevaient dans les airs, déterminés à atteindre le pôle Nord en ballon – et disparaissaient. Parmi les vestiges, on exhume des rouleaux de pellicule abîmés qui vont mira... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (50) Voir plus Ajouter une critique
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En 1897, une expédition suédoise, composée de l'aéronaute Andrée, de l'ingénieur Fraenkel et du photographe Strindberg, se lance en ballon à hydrogène à la conquête du pôle Nord, à partir de l'archipel de Svalbard. On n'aura plus de nouvelles d'eux, jusqu'à ce que, trente-trois ans plus tard, l'on découvre leurs dépouilles et les restes de leur campement sur une autre île de l'archipel, Kvitøya, « l'Ile Blanche ».


A partir de la trame en pointillés suggérée par les photographies retrouvées de Strindberg et par le journal d'Andrée, Hélène Gaudy retrace le parcours des trois hommes, complétant les creux par diverses hypothèses, s'aidant des récits d'autres explorateurs en contrées polaires. Et l'on s'étonne avec elle de ce qui peut paraître d'impréparation, d'inconscience ou de désinvolture, dans cette équipée portée par une obsession : être le premier, découvrir, répertorier, posséder ce qui reste alors d'inexploré sur la planète. Echoué sur la banquise après seulement trois jours de vol, au lieu de penser à rentrer pour rester en vie, le trio va, pendant trois mois, s'obstiner contre tout espoir à tenter de réaliser son objectif, à pied, perdu dans une immensité blanche où la terre a disparu, et où glace et ciel se fondent en un vaste espace sans délimitation. Croient-ils vraiment pouvoir réussir, ou ont-ils fait le choix de tout sacrifier pour la postérité, accumulant le plus possible d'échantillons et de photographies dont ils soignent la mise en scène, rédigeant quasiment jusqu'au bout un journal extraordinairement optimiste et tranquille, comme s'ils maîtrisaient la situation et continuaient simplement leur mission scientifique ?


Au-delà de la reconstitution de cette dramatique aventure, l'auteur nous fait réfléchir au fascinant pouvoir de la photographie, à l'imaginaire qu'elle a le pouvoir de nous faire développer pour transformer quelques pixels en êtres de chair et de sang, par-delà la mort et les années écoulées. Sans elles, que serait-il resté de cette expédition ratée, si déterminée à entrer malgré tout dans l'histoire ?


Ces images soignées que le livre ne nous donne malheureusement pas à voir, semblent en tout cas explicites sur un point : par le décalage si intentionnel qu'elles montrent avec la réalité sordide et désespérée de trois hommes en perdition, elles nous font comprendre l'émouvante et folle intention de leur exploit, leur course à la postérité d'une part, mais aussi leur détermination à faire progresser la science, à réduire la part inconnue du monde.


Bien sûr, aujourd'hui, la Terre a livré beaucoup de ses mystères, mais grande ironie, elle se met à nous échapper d'une autre manière, par le réchauffement climatique et la disparition de ces mêmes contrées polaires, que nous nous hâtons d'observer, d'analyser et de photographier pour en préserver ne serait-ce qu'une trace. Cette inquiétude ne peut que donner un côté nostalgique et poignant à l'évocation de la conquête des pôles par cette expédition si maladroite dans son avidité de connaissances : l'humanité n'avait alors pas encore idée de tout ce dont elle disposait, maintenant, elle ne sait que trop ce qu'elle est en train de perdre.


En tous les cas, si l'aventure est de plus en plus difficile à trouver sur cette planète où chaque bout de terre est désormais baptisé et étiqueté, l'appétit pour la connaissance et la maîtrise de notre sort à travers celui de notre environnement est toujours aussi fort : « Rien n'a changé depuis leur disparition : il faut percer les mystères, inventer des vies, chercher au fond des mers les boîtes noires englouties, et il faut être nombreux pour le faire, une autre chaîne, qui ne s'élève pas vers le ciel mais creuse dans les profondeurs, une chaîne souterraine faite de scientifiques, d'internautes, d'écrivains, de curieux qui trouvent dans l'enquête un moyen détourné de fouiller en eux-mêmes, de gratter là où ils ne savaient pas qu'il y avait eu une plaie. »


Si cette lecture n'est pas toujours facile, elle mérite largement les efforts qui vous feront découvrir une plume de très grande qualité au service de profondes réflexions, notamment sur notre insatiable besoin de nous rassurer en élucidant à tout prix les mystères, et, pour certains d'entre nous, de dominer la mort à travers la recherche de la postérité.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Ce magnifique roman m'a fait voyager au Svalbard, sur les traces de l'expédition Andrée, du nom de l'explorateur suédois et chef de l'expédition qui avait pour but d'atteindre le Pôle Nord en ballon. Il a entraîné avec lui deux jeunes compagnons d'infortune, tous trois étant peu expérimentés. En fin de compte ils durent se résoudre à abandonner leur ballon échoué pour partir dans le froid extrême. Ce monde sans rivage est celui du blanc quasi absolu, qui n'existe que là-bas.
L'autrice survole les époques et les lieux, retraçant leur épopée et l'histoire de leurs proches, de la France au Svalbard en passant par la Suède.
Elle nous conte en outre les aventures de ceux et celles qui ont connu - ou pas - la même destinée, dans le grand Nord ou sur la mer.
C'est aussi une belle histoire d'amour, celle de Nils et Anna, cette dernière ayant souhaité qu'à sa mort, son coeur lui fut arraché pour reposer à côté de celui qu'elle n'a jamais pu oublier. Si la vie est courte, la mort est éternelle ! Ce livre m'a permis de me poser plusieurs questions existentielles...
C'est un livre riche et intéressant. Hélène Gaudy s'appuie sur une large documentation, dont le journal d'Andrée, qui ouvre la plupart des chapitres de ce livre.
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"On éprouve souvent plus d'intérêt pour ceux qui s'éclipsent que pour ceux qui reviennent, surtout quand le lieu où ils se perdent ressemble à une absence changée en paysage."

L'aéronaute suédois Salomon August Andrée a disparu en 1897 avec l'ingénieur Knut Frænkel et le photographe Nils Strindberg en tentant de rejoindre le pôle Nord en ballon à hydrogène à partir de l'archipel de Svalbard. Les corps et les photographies de cette expédition ratée furent rendues par la glace et la neige trente trois ans plus tard, au moment où les premières agences de voyage inscrivaient l'Arctique comme destination dans leur catalogue.

À partir des photographies et des traces ténues de cette expédition, Hélène Gaudy imagine leur aventure et compose un roman d'une inépuisable richesse. Pour pénétrer dans son sujet – le récit de cette aventure lointaine, les préparatifs, l'échec et la dérive des trois hommes échoués sur la glace -, elle aborde l'histoire par touches et à rebours, à la manière d'une pellicule qu'on rembobine, depuis la découverte des corps et le développement des images à l'Institut Royal de technologie de Stockholm en septembre 1930 jusqu'à l'été 1987, date du départ de l'expédition.

"Voilà donc comment ils reviennent, les morts", écrivait W.G. Sebald dans "Les émigrants", un glacier suisse ayant restitué la dépouille d'un guide de montagne après des décennies. En écho à Sebald, les photographies retrouvées de l'expédition S. A. Andrée forment la métaphore des souvenirs qui remontent à la surface, composent à la fois une mémoire et un point de fuite, par où l'imagination peut s'engouffrer.

"Les images sont des paliers pour plonger en apnée, s'enfoncer, reprendre de l'air, s'arrimer aux détails, au minimum visible, et en passant de l'une à l'autre, jeter un regard aux gouffres qui les séparent, dont on ne perçoit qu'une rumeur, à peine un frémissement."

La narration fascinante d'Un monde sans rivage s'arrime aux énigmes des images en noir et blanc, qui font écho à la face lumineuse de l'été du départ et à celle obscure, de la menace de l'automne et de l'hiver polaires, aux liens d'Anna Charlier à son fiancé éternellement jeune, Nils Strindberg, le photographe de l'expédition, et aux fragments du journal de Salomon August Andrée ponctuant le récit de leur longue marche sur la glace après la chute de leur ballon, le 14 juillet 1897.

Les contrées polaires sont le berceau des plus grands « embêtements », écrit Andrée dans son journal, le 30 juillet 1897. Échoués quelques jours après leur départ dans un paysage de glace où leurs rêves de grandeur et de gloire vont se rétrécir jusqu'à la poursuite de la seule survie, la marche de ces aventuriers, amateurs héroïques à peine vêtus pour la circonstance, est une avancée poignante vers leur effacement.

S'appuyant sur les détails des photographies, déclencheurs d'écriture, sur les lambeaux du journal d'Andrée, palliant les blancs par le recours à d'autres textes, tels que l'évocation de la glace formant paysage avec le Palais de glace de Tarjei Vesaas ou encore le récit de l'expédition d'Ernest Shackleton, et par la puissance de son imaginaire poétique, Hélène Gaudy réussit à dire les embardées de l'expédition dans un monde sans rivage, là où le froid comme le temps n'a plus de bord, à atteindre la profondeur de l'histoire, à rendre la lumière réfléchie par des hommes depuis longtemps disparus, fondus dans l'irréalité du paysage de glace du Grand Nord.

Questionnement sur la puissance imaginante des images, comme dans Plein hiver ou Grands lieux, tissage l'histoire autour de son sujet comme dans Une île une forteresse, Hélène Gaudy continue avec ce roman de modeler une oeuvre d'une cohérence et d'une force impressionnantes et à explorer la manière dont un récit peut se construire dans les blancs, les traces du souvenir et les incertitudes de la mémoire qui sont la matière même de la fiction.

S'il est aussi marquant, c'est parce que ce roman, à paraître le 21 août 2019 chez Actes Sud, s'adresse directement à chacun d'entre nous. Les photographies de l'expédition Andrée, dégradées avec le temps, portent en effet en elles les marques d'un paysage abîmé, et leur longue marche semble préfigurer le rétrécissement mélancolique du monde à venir, à partir du moment où la planète aura été entièrement explorée et cartographiée. Ainsi, sous la catastrophe visible du récit se lit en filigrane une autre catastrophe qui s'annonce souterrainement, tristesse de la terre qu'on rencontre sous la plume d'Eric Vuillard, la disparition contemporaine d'un monde sans rivage.

"Pourtant, il sous-estime l'intensité du lien qui les attache, lui et ce Grand Nord qu'il n'a pas vraiment exploré encore, comme son propre pouvoir de destruction, qu'il partage avec ceux qui viendront après lui.
Il ne peut imaginer, Andrée, qu'un jour la glace ne faisant plus ciment, le panorama se disloquera, entraînant éboulements et coulées de boue, glissements des parois bleues, blanches, tout droit dans les eaux grises, et ce ne sera pas une chute, mais un fracas, un gros son de tempête et d'orage, des explosions multiples naissant les unes des autres.
Il ne peut croire que la banquise se délitera, que de l'Antarctique à la Sibérie émergeront des ossements fossiles et des bêtes préhistoriques, bombes à retardements aux gueules ouvertes sur dents d'ivoire, virus de l'anthrax sorti du cadavre d'un renne, méthane, carbone réchauffant l'atmosphère déjà étrangement tiède, formant des poches tendues sous l'herbe verte quand, sous le ciel phosphorescent surplombant la toundra sibérienne, des éleveurs de rennes découvriront des gouffres ouverts en une nuit, des déchirures et des trous noirs. Matière vivante, ce paysage, libérant mystères et créatures, imprévisible comme une bête et également mortel."

Les photographies, qui sont présentes uniquement en creux dans Un monde sans rivage (excepté pour l'image de couverture), ont aussi servi de déclencheur à une exposition dont Hélène Gaudy était co-commissaire et à un livre dont je vous recommande également la lecture, "Zones blanches, récits d'exploration" publié en 2018 au Bec en l'air.

Retrouvez cette note de lecture et et beaucoup d'autres sur le blog de Charybde ici :
https://charybde2.wordpress.com/2019/08/13/note-de-lecture-un-monde-sans-rivage-helene-gaudy/
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En 1897, une expédition devant arriver au pôle Nord avec 3 personnes l'aéronaute Salomon Andrée, l'ingénieur Fraenkel et le photographe Nils Strinberg. En 1930, trente-trois ans plus tard, leurs corps sont retrouvés sur l'île Blanche, au nord de la Suède. Des photos, un journal de bord sont retrouvés... A partir de ces témoignages, Hélène Gaudy raconte l'histoire de ces hommes, de cette expédition.
Belle écriture poétique de Hélène Gaudy pour raconter le mystère de cette disparition. Ce qui lui manque, elle l'imagine, comme une partie de cette correspondance entre Nils et sa fiancée. On est pleinement avec eux et cette infinie glacée qui ne semble pas avoir de fin. Juste un peu dommage qu'il y a trop d'informations en plus de celle relative à ce voyage fatal, qui ont un peu saturé mon attention.
Ca reste une lecture très agréable sur un épisode méconnu de l'histoire, pour ma part.
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1897, trois hommes : Andrée, Fraenkel et Strindberg tentent d'atteindre le pôle nord en ballon depuis le Svaldbald, archipel de l'océan arctique dont l'île la plus importante est le Spitzberg.
Ils s'envolent et… disparaissent.
Qu'a-t-il bien pu leur arriver ?
En 1930, au cours d'un été particulièrement doux, leurs corps sont découverts dans la glace fondue.
On va enfin comprendre ce qui leur est arrivé.
Hélène Gaudy remonte la piste de ces aventuriers à partir des traces retrouvées sur le campement de fortune des trois hommes : les négatifs de photos prises par Strindberg, le journal d'Andrée, le chef de l'expédition, de lettres écrites à destination d'Anna, le grand amour du photographe. Elle fouille aussi dans d'autres récits d'expéditions polaires comme celles de Nansen ou le témoignage de Shakleton.
Par des va et vient entre ces indices et les hypothèses qu'elle échafaude, elle reconstruit l'expédition, construit le portrait des trois hommes, imagine le déroulé de leur aventure jusqu'à l'issue fatale, leurs motivations, leur lutte pour la survie, leur mort.
Elle ne néglige aucune piste et dans une langue élégante faite de digressions souvent édifiantes autour d'autres explorateurs, faite de descriptions des paysages sublimes que ces hommes vont parcourir dans des souffrances extrêmes, avec une cohésion sans faille, de descriptions d'un monde « où la neige se confond avec le ciel », « un monde où le froid comme le temps n'a plus de bord » qu'ils traversent avec obstination, « un monde sans contours », « sans ombre, sans contraste, sans rivage » jusqu'au bout de leurs forces, jusqu'au bout du jour qui bientôt fait place à la nuit polaire….
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critiques presse (1)
LaCroix
30 août 2019
Avançant avec profondeur et délicatesse dans le lent récit d’une expédition polaire ratée, Hélène Gaudy mène une réflexion sur la dimension mémorielle de la photographie.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
À bien y regarder, quelque chose se devine, déjà, sur les photographies de l’expédition. Si elles recèlent un tel pouvoir d’urgence et de mélancolie, c’est qu’on n’y voit pas seulement Strindberg, Frænkel et Andrée en train de s’évanouir mais qu’on devine aussi, dans leur gélatine détruite, l’effritement du lieu où ils marchent, ce lieu lointain qu’on croyait intouchable et dont les métamorphoses fragilisent, par capillarité, tous nos lieux connus, nos images amassées.
Chaque bloc de glace qui chute préfigure l’effritement de la montagne, chaque goutte tombée dans la mer lisse, le recul des eaux et les feux des forêts. Ce que l’on a pris pour un lieu loin de tout et surtout de nous-mêmes est devenu une manière d’oracle, un miroir, raccrochant leur errance, ce temps lointain qui leur appartient et les porte, à ce qui vient après elle, ce lent ruban à l’extrémité duquel nous nous tenons.
(...) nous ne connaissons plus la soif de découvrir mais la terreur de perdre qui pourtant nous pousse au même geste, à la même urgence, regarder, capturer, inventorier, appuyer une nouvelle fois sur le déclencheur, sans savoir davantage ce que diront ces images dans l’avenir, ce qu’on y lira de l’époque où elles ont été prises (...).
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Cela ne s’arrêtera jamais, on dirait. Dans dix ans, cent ans peut-être, quelqu’un d’autre trouvera d’autres vestiges, les interrogera avec la même patience, rattrapera par le col d’autres aventuriers prêts à se jeter à pieds joints dans des gouffres pourvu qu’il y ait quelqu’un au bord pour les regarder tomber.
Rien n’a changé depuis leur disparition : il faut percer les mystères, inventer des vies, chercher au fond des mers les boîtes noires englouties, et il faut être nombreux pour le faire, une autre chaîne, qui ne s’élève pas vers le ciel mais creuse dans les profondeurs, une chaîne souterraine faite de scientifiques, d’internautes, d’écrivains, de curieux qui trouvent dans l’enquête un moyen détourné de fouiller en eux-mêmes, de gratter là où ils ne savaient pas qu’il y avait eu une plaie.
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Ce n'était pas contre les ours qu'il fallait le garder, ni contre les becs acérés des oiseaux des tempêtes. C'était contre lui-même, chef impatient et inquiet qui, protégé par la nuit, profitant du sommeil de celui qu'on avait désigné pour monter la garde, remplissait en secret le ballon d'hydrogène pour compenser les fuites, pour que les autres le retrouvent au matin intact, fier et bombé comme sa poitrine, et une fois le ballon regonflé, l'illusion réparée, retournait veiller sur le sommeil confiant de ses compagnons.
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Ils ne tiennent pas à voir leur plaque de glace rétrécir jusqu’à devoir s’agripper les uns aux autres sur quelques mètres de banquise, et sans doute pressentent-ils que l’immobilité finira par signer leur fin, à laquelle ressemblent déjà, c’est vrai, ces drôles de journées à attendre sous une coupole de nuages blancs, dans un monde sans ombre, sans contraste, sans rivage.
Ils vont se diriger vers un dépôt de vivres, en direction de la terre François-Joseph. Ils auraient pu choisir d’aller vers Sjuøyane, « les sept îles », légèrement plus faciles d’accès, mais ces terres-là sont trop balisées. La terre François-Joseph est plus mystérieuse, plus vierge. Même si elle a été découverte par Julius von Payer en 1873, sa forme sur les cartes reste approximative et il y a sur sa route des îles auxquelles ils peuvent espérer donner leurs noms. Voilà le genre de choses auxquelles ils croient encore au début de l’été.
Avant de partir, ils font l’inventaire de leur matériel. Il leur reste trois traîneaux et un canot, peu adaptés aux longues marches puisqu’ils n’étaient censés leur servir qu’à la fin du voyage, pour parcourir les derniers kilomètres qui auraient dû séparer leur atterrissage d’une arrivée triomphale en Sibérie, au Canada ou en Alaska.
Ils sortent les boîtes de conserve, les médicaments, les armes, le whisky, le champagne. Ils tentent de trier, ils gardent presque tout. Ils gardent des cravates, des cadenas, des punaises, un foulard de soie rose. Ils gardent une large nappe blanche ornée de broderies. Ils gardent tout un tas de choses inutiles.
Ils n’ont pas les cartes. Ils n’ont pas le récit, encore, de leur propre histoire. Alors, tout peut servir, tout peut être un espoir. Le foulard de soie comme le portrait d’Anna.
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Vue d’ici, du sommet du monde, sa vie ressemble à une autre photographie, lisse, plane, à la composition parfaite, dont il identifie chaque élément saillant, chaque moment précieux qu’il n’avait su, sur le moment, discerner, comme les circonstances qui l’ont mené là sans qu’il remarque leur enchaînement.
(...)
On saisit un instant parmi d’autres, sans savoir tout de suite ce qu’il a d’unique, de signifiant, cela, on ne le comprendra que dans un second temps, comme l’image se révèle dans les bains chimiques bien après le moment de la prise de vue, comme s’y éclaire trop tard l’expression de certains visages.
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Vidéo de Hélène Gaudy
En partenariat avec le festival Paris en toutes lettres, la BnF accueille chaque année deux écrivains en résidence littéraire. Cette année, Emmanuelle Bayamack-Tam et Arno Bertina proposent une restitution publique de leurs travaux respectifs.
Née en 1966, Emmanuelle Bayamack-Tam a publié aux éditions P.O.L. une douzaine de romans, ainsi qu'une pièce de théâtre, Mon père m'a donné un mari (2013). Elle a reçu le prix Alexandre-Vialatte 2013 pour Si tout n'a pas péri avec mon innocence et le prix du Livre Inter 2019 pour Arcadie (2018), une fable politique et écologique. Sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri, elle écrit également des romans plus « noirs », tels Les Garçons de l'été (2017) et Il est des hommes qui se perdront toujours (2020). En 2019, elle publie éden, son premier roman pour la jeunesse.
Pour Emmanuelle Bayamack-Tam, la fonction de la littérature est de déstabiliser. Sa langue volontairement violente et organique aborde des sujets souvent provocants. « J'écris pour déranger. À commencer par moi-même. […] La littérature qui m'intéresse est celle qui fait bouger les lignes, qui déstabilise. Je n'attends pas qu'un livre me conforte dans mes idées reçues, ni qu'il me procure une sérénité factice. Quand j'écris, dès que je sens que le lecteur s'est tranquillement installé dans l'histoire, je le malmène. Je débusque toute position confortable, et je la détruis. », déclarait-elle en 2018.
Né en 1975, Arno Bertina a publié des romans et récits très variés, mais qui ont en commun la forme de l'enquête sur sa propre « identité mobile ». Je suis une aventure (2012) est une sorte de roman picaresque dont un des protagonistes est le tennisman « Rodgeur Fédérère ». Des Châteaux qui brûlent (2017) met en scène un huis clos d'une semaine entre des salariés d'un abattoir breton en grève et le ministre de l'Industrie qu'ils séquestrent. En mars 2020, L'Âge de la première passe, récit documentaire, relate le travail mené durant trois ans auprès de prostituées congolaises mineures.
Arno Bertina se dit également « passionné par les aventures collectives » depuis son année de résidence à la Villa Médicis en 2004-2005, durant laquelle il a coécrit la « farce archéologique » Anastylose (2006). Il a ainsi participé à toutes les aventures de la constellation d'écrivains à géométrie variable (Bruce Bégout, Mathias Énard, Claro, Maylis de Kerangal, Hélène Gaudy, Oliver Rohe…) qui s'est constituée en 2004 autour de la revue et des éditions Inculte.
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