Voici un premier roman prometteur à la narration ambitieuse , construit et dé- construit à dessein, non linéaire, qui nous entraine de 2016 à 1935, de 1955 à 1985 , de 2006 au 5 juillet 1962 dans la baie d'Alger…. .
Un contexte historique vraiment intéressant , pesant , L'HISTOIRE DE L'ALGÉRIE liée aux destinées flamboyantes , romanesques de ces quatre héroïnes : des femmes fortes, mères aimantes , sûres d'elles , possessives qui incarnent , chacune d'elles un pan entier de ce pays …..
Baya, l'arrière grand - mère , 95 ans en 2016, première gardienne de la mémoire, née pendant la colonisation, bravant les interdits et les moeurs de son temps , qui a beaucoup souffert, Fatima sa fille, veuve de Haroun le poète incompris, Meriem, épouse de Kamel, le menuisier taciturne , incarcéré injustement , pris au piège des islamistes ,
La Mystérieuse Mouna , qui est - elle ? …..
Enfin Nour , fils de Meriem , étudiant en mathématiques, âgé de vingt - trois ans, élevé au sein de ce gynécée étouffant, choyé , épris de liberté , écoutant quand même avec passion les récits de sa Baya…..
Et qui va découvrir un lourd secret de famille au moment où débarque dans la jeune vie de Nour , l'énigmatique Mouna ?
Saga familiale captivante , personnages hésitants entre amour et traditions , l'auteure parcourt avec adresse l'histoire de l'Algérie de la colonisation jusqu'à la montée de l'islamisme mêlée aux souvenirs dissonants de ces femmes , une histoire tragique, fractionnée à travers des questionnements essentiels : colonisation, massacres de Sétif, guerre d'Algérie , indépendance , modernité de ces femmes façonnées à la foi dans la tradition, la soumission et la douleur .
L'atmosphère est entêtante , l'auteure nous emmène loin , très loin dans l'intimité de ces femmes fortes mais derrière les façades se cachent peine , amour, passion, regrets amers , détresse..
Le symbole du figuier , cet arbre à l'écorce douce qui ne meurt jamais, irrigue le roman, en fait la famille subit au mieux tous les événements historiques sans en faire partie , ils se battent comme ils le peuvent dans une société traditionnelle , où les regrets , la colère , les liens du sang , la liberté , l'engagement affleurent …
Un ouvrage très fort , un peu gâché par des considérations et questionnements philosophico- mathématiques et semi - poétiques …l'usage massif des parenthèses ….
Mais j'ai réussi à m'adapter à ces contingences .
La narration pointue , ambitieuse nous donne les moments - clés de l'histoire de l'Algérie , d'une mémoire à l'autre, d'une époque à l'autre ….
J'ai apprécié cette manière originale , subtile , touchante de sauter dans le temps jusqu'à la fin qui montre la difficulté de pénétrer les secrets de famille .Je conseille ce premier roman à la construction admirable , qui peut , ne pas plaire à tout le monde , je le reconnais …
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L’obsession de Baya pour le figuier de son enfance a décidément contaminé toute la famille.Il est comme un rappel silencieux de l’origine organique de la vie. Il exhale son odeur millénaire qui, comme un fouet, ramène aux origines. Je suis d’ici. De la terre. Je ne suis plus le même, et pourtant je suis le même. Mon enfance se superpose à moi tel que je suis aujourd’hui. Qu’est-ce qui me fait me retourner et observer cet ancêtre ? Le figuier est le nœud ombilical de tout exilé. Et Baya en est une, d’exilée. Elle ne veut pas descendre de son arbre, elle est et elle n’est plus la même. Comme si elle tenait à durer pour que je devienne ce que, perdue dans la ville, elle renonce à être.— Il faudra que tu ailles un jour cueillir des figues à même l’arbre. Tu comprendras alors ce que je dis là. Cette chose qui nous vient de loin, de nos ancêtres. C’est très important. Tu m’entends ?— Oui, Baya. Cueillir la figue à même l’arbre, comme tu le faisais toi.
On vivait une époque trouble et dangereuse. Les colons ont tiré les premiers sur le défilé, les nôtres, alors, se sont déchaînés. Notre 8 mai 1945* à nous a été terrible.
Saindoux et sa femme n'ont pas été épargnés non plus. On les a retrouvés dans les champs, massacrés à la hache. Julie ne méritait pas une fin aussi atroce, elle avait été généreuse avec nous.
* à Sétif
« Rivière tremblante .
Berceau de l’automne .
Soleil irisant la surface.
se cherchant de la profondeur .
Douce mélodie du roseau dans le vent » ….
Il se tient droit, raide, dans une espèce de dignité, d’orgueil des pauvres gens soumis au diktat de l’arrogante cité où la tenue vestimentaire constitue dorénavant l’unique indicateur de respectabilité. La chemise est tirée à la taille pour disparaître dans le pantalon, sous une grosse ceinture noire. Le pantalon, certainement trop large, songe-t-elle, remonté très haut, se plisse autour de la ceinture, puis laisse flotter les jambes sous l’épaisse toile bleue. Ses vieux mocassins bâillent légèrement par endroits. Ses cheveux grisonnants frisottent autour de l’oreille.Il tourne parfois la tête pour examiner le compteur : cinquante-huit, cinquante-neuf, soixante, puis re-cinquante-neuf. Légère protestation des clients. Le compteur fait donc marche arrière, puis le voilà qui s’arrête.
Lequel de l'homme, de sa première femme n'est pas l'instrument d'une volonté qui le dépasse. Se soustraire à ce que l'on croit être légitime était il envisageable?
Hajar Bali, auteur du roman « écorces » (Belfond), en lit un extrait pour Mediapart (entretien avec Antoine Perraud et Faïza Zerouala).