Lorsque j'ai vu le film, excellent, à sa sortie, j'ignorais qui était
Muriel Barbery.
Difficile lorsque l'on a un coup de coeur cinématographique de se précipiter chez son libraire le lendemain afin de se plonger dans un univers qui a toutes les chances de contrarier le coup de coeur en question. J'ai donc décidé de faire à partir du film - le hérisson -, l'impasse sur le livre -
L'élégance du hérisson -. Quelques années se sont écoulées jusqu'à ce qu'un soir de cette rentrée 2020, je trouve parmi les invités de
François Busnel, le Pivot playboyifié de ces années folles du XXIe siècle,
Muriel Barbery en personne. Et là, lorsque fut venu son tour d'être interviewée... le coup de foudre ! Je suis complètement tombé sous le charme de cette auteure, de cette femme intelligente, formidablement érudite, brillante et d'une profonde et sincère humanité.
Ma fille ayant dans sa bibliothèque le livre que, quelques années plus tôt, j'avais boudé; me l'a prêté.
Avant de vous dire comment je l'ai lu et ce que j'y ai trouvé, un petit rappel succinct sur ce qu'on appelle aujourd'hui le pitch.
Renée, 54 ans, veuve, sans enfants, est concierge depuis 27 ans dans un immeuble de luxe parisien. Elle n'est pas concierge... en réalité, comme le disent si bien nos amis transalpins " elle fait la concierge". Issue du lumpenprolétariat rural, analphabète et sous le joug, elle s'est élevée dans l'anonymat, dans l'ombre, en cachette d'un monde qu'elle observe en autodidacte surdouée ( elle cache les livres qu'elle emprunte à différentes bibliothèques dans le fond de son cabas... pour ne pas éveiller les soupçons de "l'ennemi de classe"), persuadée qu'aucune passerelle n'existe entre elle et les classes dominantes dont elle se préserve derrière son "déguisement" de concierge.
Paloma, 12 ans1/2 habite cet immeuble de luxe dans lequel Renée officie. Elle aussi est une surdouée qui se cache, méprisant et rejetant un monde superficiel, moche et vain, auquel elle appartient de par sa naissance mais qu'elle projette de quitter le jour de son 13ème anniversaire.
Chacune des deux va à son tour nous offrir une vision de ce monde où rien ne vaut la peine d'être... jusqu'au jour où ces deux résistantes apparemment résignées vont se rencontrer... leur marginalité de génies réfractaires, leurs goûts communs... où le Japon occupe une place de choix, vont faire le reste...
Une pure merveille !
Merveille de lucidité, d'intelligence, de culture... Merveille d'humour finement vitriolé aux neurones imbibés d'acide philosophique et politique...Merveille d'invitation à repenser le monde... Merveille de tendresse, de bienveillance et d'amour, ce roman pas comme les autres, appartient à cette espèce rare où le lecteur se retrouve à cette troublante patte-d'oie littéraire où se croisent les chemins de la littérature, de la culture, de l'Art et de quelques sciences humaines de premier plan.
J'ai bu cette oeuvre comme Renée, Paloma, Manuela ou Kakuro Ozu savourent leur thé, par petites gorgées pour en prolonger le plaisir jusqu'à l'infini... et les dernières pages de ce prodigieux bouquin ont imbibé les madeleines qui accompagnaient cette dégustation de ce livre-thé, de quelques larmes que j'aurais voulues moins amères tant je sais gré à
Muriel Barbery de m'avoir offert des moments "d'adéquation".
C'est une mine truffée de multiples pierres précieuses offertes dans un écrin où l'orchestre et les choeurs des mots nous touchent au plus profond de l'âme et du coeur.
Un extrait d'un passage du livre, qui m'a fortement troublé tant son anticipation prend aujourd'hui une résonnance toute particulière.
-Notre prof d'histoire, M. Lermit, il a su nous emballer en deux cours en nous montrant des photos de types auxquels on avait coupé une main ou les lèvres, en application de la loi coranique, parce qu'ils avaient volé ou fumé. Pourtant, il ne l'a pas fait dans le genre gore. C'était saisissant et on a tous écouté avec attention le cours qui a suivi, qui mettait en garde contre la folie des hommes et pas spécifiquement contre l'islam.