C'est un roman de grand style que ce Chevalier Des Touches, écrit par le dandy du Cotentin,
Jules Barbey d'Aurevilly…
À l'heure de l'encensement, presque sans restriction, des grandeurs révolutionnaires – tandis que la République n'est toujours pas fichue de reconnaître le génocide vendéen, car génocide il y eut ! –, voici un texte dissonant qui raconte l'autre camp, à savoir celui de la Chouannerie ; à ne pas confondre avec la révolte des Vendéens.
Ce roman, parfaitement ciselé, raconte en apparence une aventure contre-révolutionnaire et, plus en profondeur, une tragédie amoureuse comme l'Histoire en conçoit trop souvent, hélas…
Au moment où il débute, le récit présente des « gens du passé, rassemblés dans [un] petit salon à l'air antique, et qui parlaient entre eux de leur jeunesse évanouie et des nobles choses qu'ils avaient vues mourir. » Et, à l'occasion d'une apparition fantomatique de ce passé, ces gens se souviennent ; particulièrement Percy, femme au physique qu'elle s'est toujours reconnu ingrat mais dont la vaillance et le noble coeur l'élèvent au-dessus des considérations plastiques.
Récit à la fois mélancolique et cruel – voir l'épisode d'Avranches et surtout celui de la vengeance, laquelle change « un riant et calme Moulin bleu en un effrayant moulin rouge » – qui raconte, pour une grande part, l'expédition de sauvetage d'un chouan unique en son genre :
le chevalier Des touches, « homme de guerre indifférent à tout ce qui n'était pas la guerre et farouches ambitions », inspiré de Jacques Destouches de la Fresnay. Être fantastique et ténébreux, il est de ces figures qu'affectionne l'auteur (lire, par exemple
L'Ensorcelée).
Par la voix de ses protagonistes, Barbey en profite pour écorner les derniers Bourbons et leur ingratitude ; Bourbons qui, au moment de la publication du
roman, sous le Second Empire, ne sont plus qu'un souvenir.
Parmi les autres personnages se trouve la figure pure et idéalement romantique – avec tout ce que cela comprend de drames – d'Aimée de Spens, devenue une « pauvre magnifique beauté perdue, qui n'entend même pas ce que je dis d'elle, ce soir, au coin de cette cheminée, et qui n'aura été dans toute sa vie que le solitaire plaisir de Dieu ! » Murée dans le silence, elle s'était arrêtée dans le temps lointain où son amour lui fut arraché.
Mais oublions l'intrigue – qu'il appartiendra à chacun de connaître en la lisant –et penchons-nous sur ces phrases qu'on pourrait extraire du récit pour en faire des maximes, dont celle-ci : « La foi sincère a souvent de ces familiarités avec Dieu, que des sots prennent pour des irrévérences ridicules, et des âmes de laquais ou de philosophes pour de l'orgueil. »
Et cette autre qui, en peu de mots, agencés avec un génie littéraire indéniable, dit tellement : « Si mademoisel
le Aimée avait été brune, pas de doute que déjà, sur ces nobles tempes qu'el
le aimait à découvrir, quoique ce ne fût pas la mode alors comme aujourd'hui, on eût pu voir germer ces premières fleurs du cimetière, comme on dit des premiers cheveux blancs que le Temps, dans de cruels essais, nous attache au front brin à brin, en attendant que le diadème mortuaire qu'il tresse à nos têtes condamnées soit achevé ! »
Quand l'art d'écrire atteint ces hauteurs, nous ne pouvons que nous incliner…