Citations sur Océan mer (189)
-La nature a une perfection à elle; surprenante, et qui résulte d'une addition de limites. La nature est parfaite parce qu'elle n'est pas infinie. Si on comprend les limites, on comprend comment le mécanisme fonctionne. Le tout est de comprendre les limites. Prenez les fleuves, par exemple. Un fleuve peut être long, très long, mais il ne peut pas être infini. Pour que le système fonctionne, ce fleuve doit finir. Et moi, j'étudie de quelle longueur il peut être avant de finir.
— Je vous en prie, ne bougez pas, dit-il.
Puis il approche le pinceau du visage de la femme, hésite un instant, le pose sur les lèvres et lentement le fait glisser d’un coin à l’autre de la bouche. Les soies se teignent de rouge carmin. Il les regarde, les trempe à peine dans l’eau, et relève les yeux vers la mer. Sur les lèvres de la femme reste l’ombre d’une saveur qui l’oblige à penser « de l’eau de mer, cet homme peint avec de l’eau de mer » – et c’est une pensée qui fait frissonner.
Car la science est bizarre, un animal bizarre, qui va se nicher dans les endroits les plus absurdes et travaille selon des plans minutieux qui, vus de l'extérieur, paraissent forcément impénétrables, et même parfois comiques, tellement ils ressemblent à un vagabondage oiseux, alors que ce qu'ils tracent c'est une géométrie de sentiers de chasse disséminés avec art, et de batailles stratégiques devant lesquelles il peut arriver qu'on reste ébahi [...]
Depuis longtemps déjà elle s'est retournée, et elle mesure de nouveau la plage immense du rosaire mathématique de ses pas, quand le vent passe sur la toile sécher une bouffée de lumière rose, nue à voguer dans le blanc.
Il pose son porte-plume, plie la feuille, la glisse dans une enveloppe. Se lève, prend dans sa malle une boîte en acajou, lève le couvercle, laisse tomber la lettre à l'intérieur, ouverte et sans adresse. Dans la boîte, il y a des centaines de lettres pareilles.
Ouvertes et sans adresse.
Il a trente-huit ans, Bartleboom. Il pense que quelque part dans le monde il rencontrera un jour une femme qui est, depuis toujour, sa femme. Parfois il se désole que le destin s'obstine à le faire attendre avec autant de ténacité et d'absence de délicatesse mais,le temps passant, il a appris à considérer la chose avec une grande sérénité. Chaque jour ou presque, depuis des années maintenant, il prend la plume et il lui écrit. Il n'a pas de nom ni d'adresse à mettre sur ces enveloppes : mais il a une vie à raconter. Et à qui, si ce n'est à elle? Il pense que, lorsqu' ils se rencontreront, se sera beau de poser sur ses genoux une boîte en acajou pleeine de lettres et de lui dire
Je tattendais.
Je t'ai aimé, André, et je n'imagine pas qu'il soit possible d'aimer plus. J'avais une vie, qui me rendait heureuse, et je l'ai laissée partir en miettes pour être avec toi. Je ne t'ai pas aimé par ennui, ou par solitude, ou par caprice. Je t'ai aimé parce que le désir de toi était plus fort que n'importe quel bonheur. Et je savais bien que la vie n'est pas assez grande pour y faire entrer tout ce que le désir peut imaginer. Mais je n'ai pas cherché à m'arrêter, ni à t'arrêter. Je savais qu'elle le ferait, elle. Et elle l'a fait. Il y avait des débris partout, et tranchants comme des rasoirs.
Il y a des instants où l'enchaînement logique omniprésent des causes et des effets craque, pris au dépourvu par la vie même, [...] laissant une main invisible pêcher dans le giron illimité du possible, et, entre des millions de choses, n'en laisser advenir qu'une seule.
Elles font des choses quelquefois, les femmes, ça vous tue.
" Le père Pluche dit qu'en fait je devais être un papillon de nuit mais il y a eu une erreur et je suis arrivée ici, mais ce n'est pas exactement ici que je devais me poser, et c'est pour ça que maintenant tout est un peu difficile, c’est normal que tout me fasse mal. Je dois avoir beaucoup de patience et attendre, c'est assez compliqué, forcément, de transformer un papillon en femme..."
Qu'est ce que tu fais assis là tout le temps ?
- Je regarde
- Il n'y a pas grand-chose à regarder...
- Vous plaisantez ?
- Ben, il y a la mer, d'accord, mais la mer c'est la mer, c'est toujours pareil, la mer jusqu'à l'horizon, à la rigueur il passera un bateau mais ce sera bien le bout du monde.
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