C'est le roman d'une génération. La mienne. Les générations suivantes trouveraient probablement décent que je rajoute « hélas » à cette incise, pour marquer quelques remords. Des remords ? Pourquoi des remords ? On a voulu voir dans ce roman l'histoire d'une jeunesse paumée qui avilit ses rêves dans la drogue, le sexe et l'oisiveté. Ceux qui n'y trouvent que cela passent à côté de la question principale du roman : « A quoi on sert ? ». J'admets qu'on ne la trouve qu'à la dernière ligne de la dernière page du livre. Pourtant, c'est bien elle qui le traverse tout entier. Et en cela, ce roman est très fidèle à l'esprit de l'époque.
En mai 68, Olivier croyait changer la vie en descellant les pavés du boulevard
Saint-Germain. Déçu et en colère à cause des compromissions qui soldent la fin des évènements, il part à la recherche de son père qu'il n'a jamais connu et qui semble avoir fait fortune au Népal en dirigeant un complexe hôtelier pour milliardaires. Arrivé à Katmandou, il se fond dans la mouvance hippie venue y chercher un monde de paix et de liberté, et surtout trouve l'amour en la personne de Jane, une jeune anglaise paumée et droguée. Amour tragique puisque impuissant à sortir Jane de sa dépendance. La fin du livre est bouleversante et poignante.
Olivier et Jane cherchent leur place dans ce monde. Victimes de parents absents pour Olivier, sexuellement déviants pour Jane, ils n'arrivent pas à donner un sens à leur vie, et en rendent responsable la société dans laquelle ils vivent. Quand l'amour leur donne enfin la réponse, c'est trop tard, la cruauté de la vie reprend ses droits.
L'écriture de
Barjavel n'est pas toujours à la hauteur de son sujet. Mais ce roman rend pourtant très bien compte de l'atmosphère des années 70, de la formidable liberté sexuelle dont a bénéficié la jeunesse de l'époque pendant une grande décennie, entre la généralisation de la pilule et l'arrivée des années Sida, (liberté qui a profité surtout aux hommes, il faut le reconnaitre), mais aussi des aspirations d'une partie de cette jeunesse pour une société plus fraternelle, plus ouverte au monde, plus spirituelle aussi, afin de donner un sens à sa vie.
Quand j'ai visité Katmandou pour la première fois en 1987, moins de vingt ans après la publication de ce livre, je l'avais en tête. La ville avait déjà bien changé. Il n'y avait plus cette « formidable odeur de merde » dont parle
Barjavel, et les trekkeurs commençaient à remplacer les hippies. Mais après avoir escaladé la colline de Swayambunath, quand je me suis retrouvé au pied du stupa qui contient les restes de Bouddha depuis 2500 ans, j'ai eu l'impression que j'avais accompli une promesse.