D’amour et de cyanure !
Ne m’appelle pas chez toi, dans ta mansarde,
tournant ‒ comme un écervelé tournant ! ‒
les boutons de la cuisinière,
pour te défaire une fois pour toutes
des hurlements des vieux loups du four,
de leurs poils mués,
qui te poussent sans cesse sur les bras,
la nuit, comme des furoncles, alors que tu éteins
les cigarettes profondément dans ta chair.
Ne m’appelle pas chez toi, dans ta mansarde,
fendant ‒ comme un écervelé fendant ! ‒
entre les barreaux du lit,
dans la porte, sous la botte,
ton tibia et ton péroné
‒ je les entends craqueter dans mon portable ‒,
comme si tu fendais
le vieux fusil de chasse de ton père,
trop poisseux pour que tu puisses le charger à nouveau,
après qu’il se fut brûlé la cervelle
et, pris de spasmes, qu’il eut cassé ta porte
à coups de pied.
Ne m’appelle pas chez toi, dans ta mansarde,
puisque j’y viendrai !
Et je m’arracherai le cœur de la poitrine,
je l’entaillerai avec les dents
et je le saupoudrerai de sel
extrait avec une rivelaine
de mes glandes lacrymales
et je le jetterai,
comme l’on jette une meule,
pour qu’il brise ton tibia et ton péroné,
‒ en de menus morceaux ! ‒,
pour qu’il entasse profondément dans le four
ton souffle d’ammoniaque
et pour qu’il fende à jamais
ta tête de bête sauvage !
La chemise de kevlar
Tu enfiles longuement la chemise des murs,
tout comme d’autres le font avec la chemise de la mort.
Oui. Tu enfiles chaque jour la chemise serrée des murs,
les mâtins volants des persiennes.
Oh, les murs, les murs ‒ les amis, les ennemis,
le doux retard, leurs poches trouées,
leurs minces chevilles de jument, les framboisiers,
la pompe qui les irrigue vigoureusement
du tréfonds de ton cœur,
comme d’un filon d’étron,
les fougues qui engluaient naguère leurs cheveux,
les plantes des pieds où ils laissaient leurs lourdes traces,
les petites mains des homoncules
avec lesquelles ils te serrent contre leur poitrine
et enduisent de savon, doucement, le nœud de ta corde,
toujours les mêmes, toujours proches,
comme si tu dormais déjà
quelque part, sous terre ;
ils font tinter les clochettes de l’illusion ;
leur cliquetis ‒ tremblant ‒
comme celui du canon d’un revolver
heurté contre les dents.
Tu te réveilles le matin et enfiles la chemise des murs.
Tu te couches la nuit et enfiles la douce chemise des murs.
Le masque à gaz
Jusqu'à toi,
les tailleurs de marches s'écroulent par endroits
regardant au loin vers l'horizon
jusqu'à toi.
Engouffrés et mous dans la cage visqueuse de l'escalier.
Les couvertures des portes, jusqu'à toi,
‒ des peaux de veau, déchirées
par les broches des sangliers.
En terre aromatisée (kieselguhr), ton œil sauvage,
ta bouche de mercure.
Jusqu'à toi, il y a le coin de la rue
où dorment immobiles, dans un nuage de cristal,
ceux qui n'ont ni maisons, ni dieux.
Comme à travers la bouche ternie d'un canal,
à travers leurs vêtements troués,
les regarde Celui d'en haut, avec une pitié infinie.
Jusqu'à toi, il y a le grand boulevard,
au-dessous duquel pend
à de longs crochets d'acier,
comme un masque à gaz,
le scalp des jours passés.
Et la mitrailleuse avec laquelle tu tires longuement.
Les balles bourdonnent, la caravane ne vient pas.
Jusqu'à toi ‒ les paroles dites. Le faux pas.
Tu tires à travers les fenêtres sur toi.
Le fonds principal de mots
Si tu n’écris pas tous les jours mon nom,
oh, que ta main soit écrasée par l’étau des phrases !
Raidie, la bouche
avec laquelle tu gribouilles les mots !
Fouettée la parole
qui ouvre des pièges pour les loups
entre toi et nous !
Et qu’elles soient inguérissables à jamais, tes blessures,
que tu laves de mes larmes
amenées en ville dans une barrique !
Et que ton visage
soit éternellement souillé dans les fenêtres,
si tu ne taillades pas tous les jours
mon nom sur le bidon de l’amour !
Oh, mais si, en dormant, tu n’écris pas mon nom,
avec des lettres douces,
délicates, comme à nos débuts,
alors, je te le coudrai sur les lèvres
profondément, avec du catgut !