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Critique de Alzie


Alzie
22 septembre 2017
Dino Battaglia (1923-1983) visite et réactualise Edgar A. Poe. Huit récits en noir et blanc – piochés dans les Histoires extraordinaires, Nouvelles Histoires extraordinaires ou grotesques et sérieuses de l'écrivain –, parus dans la revue italienne Linus dans le courant des années soixante dix (sauf un paru dans Il Giornalino en 1981). C'est le troisième tome des « Contes et récits fantastiques » d'une très belle série signée par lui et produite par la maison Mosquito. Avec « Woyzeck » (T. 1, 2003) et « le Golem » (T. 2, 2004) le vénitien avait déjà fait parler tout son art dans le registre du fantastique. Par son dessin incomparable d'abord, l'éclatement de ses compositions graphiques ensuite, sa maîtrise des noirceurs enfin directement sorties d'un travail sur l'expressivité des ombres et la force des réserves blanches. Battaglia, passionné de littérature, a adapté Rabelais, Melville ou Maupassant avec les « Contes de guerres » qui me l'ont fait connaître. C'est sans conteste un inventeur de formes héritier d'une esthétique du noir et blanc enracinée dans la grande tradition des échanges incessants entre l'univers du dessin classique, celui de l'estampe et du livre. Certains rendus dans son dessin évoquent particulièrement la lithographie (qui à l'origine cherchait à reproduire les effets du dessin) ou la manière noire pour les contrastes, et renvoient aux incontournables illustrateurs et graveurs qui magnifièrent tant de livres dans le passé. Outre les qualités signalées dans les deux précédents, le T. 3 (2005) séduit et convainc par son interprétation très libre et son esprit fidèle aux projections ténébreuses et macabres, bouffonnes aussi de Poe (maladie, mort et folie), relu pour l'occasion dans la traduction baudelairienne, sans enthousiasme débordant.

Le récit est quelquefois somptueusement transposé par Battaglia comme dans « le masque de la mort rouge » où le bal mortel du prince Prospero et ses amis que la maladie a épargnés prend corps sur un navire mouillant au large de la ville ravagée par l'épidémie (et non dans le monastère du texte original) ; parfois l'histoire est drastiquement raccourcie et c'est heureux dans le cas de « L'aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall » – Battaglia conserve l'essentiel de la construction voulue par Poe dans le périple lunaire épistolaire de H. Pfaall mais fait passer sans vergogne par-dessus la nacelle du ballon tout ce qui barbe à la lecture du texte original (mon cas) et nuit au pouvoir corrosif de la nouvelle : les longs développements scientifiques et savants calculs du marchand de soufflets rotterdamois qualifié de « machine raisonnante » par Julio Cortázar dans sa préface bien sentie des Histoires extraordinaires ; les dimensions burlesque, cruelle ou pathétique, appuyées par le trait incisif des physionomies, dérivant vers toujours plus de macabre sont intactes visuellement dans la vengeance du bouffon difforme « Hop frog » et dans « le roi peste » ; les tablées délirantes de la maison de santé du docteur Maillard (« le système du docteur Goudron et du professeur Plume »), les paires de jambes coupées galopant sur fond d'architectures vénitiennes (« Ne pariez jamais votre tête au diable ») magnétisent le regard ; le splendide traitement graphique de « La chute de la maison Usher » conduit aussi sûrement le lecteur à la folie hallucinée de Rodérick dans l'ombre de Lady Madeline que celui de « Ligéia », brillante et belle jeune femme emportée par la maladie, le fait glisser jusqu'aux vertigineux abîmes du désespoir dans lesquels sombre son époux… La création graphique est ici à l'égal de la création littéraire et la vivifie.






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