Citations sur Le Deuxième Sexe, tome 1 : Les faits et les mythes (235)
On ne sait trop ce que le mot bonheur signifie et encore moins quelles valeurs authentiques il recouvre ; il n’y a aucune possibilité de mesurer le bonheur d’autrui et il est toujours facile de déclarer heureuse la situation qu’on veut lui imposer : ceux qu’on condamne à la stagnation en particulier, on les déclare heureux sous prétexte que le bonheur est immobilité.
Ce ne sont pas les individus qui sont responsables de l'échec du mariage: c'est l'institution elle-même qui est originellement pervertie.
Il est difficile de jouer, les idoles, les fées, les princesses lointaines, quand on sent entre ses jambes un linge sanglant; et, plus généralement, quand on connaît la misère originelle d'être corps.
Assurément, en un sens, la femme est mystérieuse, "mystérieuse comme tout le monde" selon le mot de Maeterlinck. Chacun n'est sujet que pour soi; chacun ne peut saisir dans son immanence que soi seul : de ce point de vue l'autre est toujours mystère. Aux yeux des hommes l'opacité du pour-soi est plus flagrante chez l'autre féminin ; ils ne peuvent par aucun effet de sympathie pénétrer son expérience singulière : la qualité du plaisir érotique de la femme, les malaises de la menstruation, les douleurs de l'accouchement, ils sont condamnés à les ignorer. En vérité, il y a réciprocité du mystère : en tant qu'autre, et qu'autre de sexe masculin, il y a aussi au cœur de tout hommes une présence fermée sur soi et impénétrable à la femme ; elle ignore ce qu'est l'érotisme du mâle. Mais selon la règle universelle que nous avons constatée, les catégories à travers lesquelles les hommes pensent le monde sont constituées de leur point de vue comme absolues : ils méconnaissent ici comme partout la réciprocité. Mystère pour l'homme, la femme est regardée comme mystère en soi.
L'idéal de l'homme occidental moyen, c'est une femme qui subisse librement sa domination, qui n'accepte pas ses idées sans discussion, mais qui cède à ses raisons, qui lui résiste avec intelligence pour finir par se laisser convaincre.
Ce n’est pas l’infériorité des femmes qui a déterminé leur insignifiance historique : c’est leur insignifiance historique qui les a vouées à l’infériorité.
Enfin une société n'est pas une espèce : en elle l'espèce se réalise comme existence ; elle se transcende ves le monde et vers l'avenir , ses mœurs ne se déduisent pas de la biologie ; les individus ne sont jamais abandonnés leur nature , ils obéissent à cette seconde nature qu'est la coutume et dans laquelle se reflètent des désirs et da craintes qui traduisent leur attitude ontologique .
On peut dire aussi en un autre langage que l’homme atteint une attitude authentiquement morale quand il renonce à être pour assumer son existence ; par cette conversion, il renonce aussi à toute possession, car la possession est un mode de recherche de l’être ; mais la conversion par laquelle il atteint la véritable sagesse n’est jamais faite, il faut sans cesse la faire, elle réclame une constante tension. Si bien que, incapable de s’accomplir dans la solitude, l’homme dans ses rapports avec ses semblables est sans cesse en danger : sa vie est une entreprise difficile dont la réussite n’est jamais assurée.
Mais il n’aime pas la difficulté ; il a peur du danger. Il aspire contradictoirement à la vie et au repos, à l’existence et à l’être ; il sait bien que « l’inquiétude de l’esprit » est la rançon de son développement, que sa distance à l’objet est la rançon de sa présence à soi ; mais il rêve de quiétude dans l’inquiétude et d’une plénitude opaque qu’habiterait cependant la conscience. Ce rêve incarné, c’est justement la femme ; elle est l’intermédiaire souhaité entre la nature étrangère à l’homme et le semblable qui lui est trop identique
Qu’est-ce qu’une femme ?
L’énoncé même du problème me suggère aussitôt une première réponse. Il est significatif que je le pose. Un homme n’aurait idée d’écrire un livre sur la situation singulière qu’occupent dans l’humanité les mâles. Si je veux me définir je suis obligée d’abord de déclarer : « Je suis une femme. » Cette vérité constitue le fond sur lequel s’enlèvera toute autre affirmation. Un homme ne commence jamais par se poser comme un individu d’un certain sexe : qu’il soit homme, cela va de soi… En français, on dit « les hommes » pour désigner les êtres humains.
J'ai longtemps hésité à écrire un livre sur la femme. Le sujet est irritant, surtout pour les femmes ; et il n'est pas neuf. La querelle du féminisme a fait couler assez d'encre, à présent elle est à peu près close : n'en parlons plus. On en parle encore cependant. Et il ne semble pas que les volumineuses sottises débitées pendant ce dernier siècle aient beaucoup éclairé le problème. D'ailleurs y a-t-il un problème ? Et quel est-il ? Y a-t-il même des femmes ?