Vivre de l'intérieur pour ressentir au plus profond de soi ce que peut ressentir une femme qui exerce le plus vieux métier du monde et décrire ce métier au plus près de la réalité. C'est ce qu'a fait Emma Becker, sous le pseudonyme de Justine. Elle a vécu et fait commerce de son corps pendant deux ans, dans deux maisons closes de Berlin, autorisées en Allemagne. le deuxième établissement, La maison, donne son nom au roman.
Une immersion dans une maison close réussie à mon avis, un documentaire sociologique dense et intéressant sur la sexualité, le désir, les fantasmes, les rapports de domination et la psychologie sexuelle des hommes.
« [...] il faudrait en faire un bouquin. Ça, c'est une lecture qui me ferait rire. Qui ferait rire toutes les putes. Et toutes les autres, parce que le bordel, au fond, ce n'est qu'un miroir grossissant où tous les défauts, tous les vices des hommes tempérés par le quotidien deviennent assourdissants. »
J'ai regretté néanmoins les digressions sur l'écriture de son roman, sur son "métier de passage", sur son rôle d'écrivain, qui ont, à mon goût, alourdi la lecture de ce récit, et l'ont rendue de ce fait moins captivante par moment. Trop de longueurs.
Je n'ai également que très rarement compris le lien entre les titres musicaux cités en début de certains chapitres et la teneur de ces chapitres en question...un effet de style ?
Néanmoins une autofiction courageuse, audacieuse sur un sujet délicat, une plume savante et esthétique, des passages saisissants notamment les portraits de ses collègues, de ce
« nid de femmes et de filles, de mères et d'épouses, se confortant toutes dans la conscience d'oeuvrer aussi un peu, avec leur chair et leur infinie patience, pour le bien des individus qui composent cette société ».
Dans La maison, les femmes choisissent d'exercer ce métier, elles choisissent même leurs clients...
« Ceci n'est pas une apologie de la prostitution. Si c'est une apologie, c'est celle de la Maison, celle des femmes qui y travaillaient, celle de la bienveillance. On n'écrit pas assez de livres sur le soin que les gens prennent de leurs semblables. »
Même s'il en est autrement pour tant de femmes qui se retrouvent sous le joue d'un proxénète, et dont la vie est loin d'être celle "heureuse" décrite dans ce récit. Emma Becker mentionne d'ailleurs au début du livre, un autre bordel "Le manège" qui exploite les femmes et qu'elle a fui.
Le modèle prohibitionniste français envers la prostitution n'est-il pas paradoxal ? La loi pénalise les clients, mais ne donne aucun droit ni protection aux prostituées.
Un récit empreint de beaucoup d'humanité et de sincérité, c'est ce que je retiens avant tout, de cette lecture.
« Je parle d'un monde où les putes pouvaient choisir d'être des princesses, des elfes, des fées, des sirènes, des petites filles, des femmes fatales. je parle d'une maison qui prenait les dimensions d'un palais, les douceurs d'un havre.
Maintenant le reste du monde, pour les filles, c'est un abattoir. »
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