Dans cette ville où nul ne sait bien pourquoi il reste, il y a Romain, travailleur culturel bobo, nonchalant, mais sûr de sa mission, un homme qui parle, qui pense, sûr de ses certitudes comme de son incapacité à agir dans leur sens. Et il y a Louisa, jeune femme que seul le combat maintient à flot, scannant des articles à l'entrepôt d'Amazone, qui voit partir à la dérive la petit bonheur pavillonnaire quand son conjoint, aimablement éjecté d'une multinationale qui a mieux à faire en Slovaquie, endosse le rôle du perdant.
Rien de commun entre ces deux là, mais les circonstances vont les mettre face à face, puis dans le même lit.
Et les conséquences seront dévastatrice, dans une explosion de violence qui va les remettre en question, mais chacun à sa façon, la rencontre n'a finalement pas changé grand-chose.
Et, après [b]
Leurs enfants après eux[/b], me voilà repartie dans un roman social. A ce détail près qu'on n'est plus en Lorraine mais à Amiens, ce qui en matière d'emploi, n'est guère mieux, les héros de Bégaudeau pourraient, si on compte bien, être ceux de
Nicolas Mathieu, quelques années plus tard.
Même veine sociale, même idée bien ancrée du déterminisme social, donc, mais pas du tout le même livre, pas du tout.
Ici, quelque chose de plus malin, de plus fin, de plus créatif. Une façon de raconter ce que Mathieu expliquait. La justesse est soutenue par l'humour et par une ironie feutrée, décalée. Et cela autorise une apothéose mi-onirique, mi-visionnaire, mi-poétique. Une improbable, mais délectable et tordante victoire des petits. Cependant Bégaudeau n'est pas dupe, chacun retrouve finalement sa place , comme chez Mathieu. Je n'en dis pas plus, mais le scénario est plein d e bonnes idées, s'ouvrant à d'autres personnages qui enrichissent l'habile description de cette classe moyenne provinciale si multiple.
C'est extrêmement malin, direct, rapide et réfléchi tout à la fois. Il y a cette portée intemporelle: c'est un conte du prince charmant et de la pauvresse. Mais ils ne seront pas heureux et n'auront pas beaucoup d'enfants : on est au XXIème siècle, quand même. le roman s'implante dans une géographique, la ville, les banlieues, les rocades, le McDo, la Halle aux vêtements, qui lui donnent une proximité immédiate. Il s'inscrit dans le temporel, les événements passent au loin, attentas, Nuits debout, Trump, sans envahir, messages furtifs, mais terreau d'une façon de penser et d'agir. C'est donc aussi un roman d'ici et de maintenant, un roman d'aujourd'hui, clairvoyant, qui parle sans concession mais sans jugement, avec une empathie dont le désespoir est voilé par la lucidité, de gens que je connais, de leurs histoires, de leurs vies.