Elle bénit le libraire de rester ouvert si tard
et sa liberté à elle, de pouvoir rentrer à n'importe quelle heure
sans avoir à avertir qui que ce soit.
C'est la première fois qu'elle se formule les choses de cette façon :
Elle ne pense pas je suis seule
Elle pense : je suis libre.
Un arbre, la façon dont la ramure dessine contre le ciel
un entrelacs très fin, aléatoire.
C'est beau parce que c'est. Voilà.
Afrique ... le mot contient son année secrète, la plus belle de sa vie.
Une seule année parfois peut nourrir toute une existence.
Son regard m'a frappé dès le premier entretien.
J'ai pensé à une grotte, à un fond sous-marin ou à un sous-bois,
des endroits ombreux où on s'aventure avec la sensation
d'être entouré, protégé et en même temps avec le sentiment
d'un risque, inexplicable.
Il pense à l'étymologie du mot profane: celui qui est devant le temple. Il est ce profane. Ils sont ces profanes. Au coeur de chacune de leurs vies, le temple. Vif. Le seul sacré qu'il connaisse. Cette vie qui vibre et échappe à chaque pas.
Quand je n'ai plus de refuge, je vais dans les mots. J'ai toujours trouvé un abri, là. Un abri creusé par d'autres, que je ne connaîtrai jamais et qui ont œuvré pour d'autres qu'ils ne connaîtront jamais. C'est rassurant, de penser ça. C'est peut-être la seule chose qui me rassure vraiment.
Elle est restée longtemps là, passant d'un livre à l'autre, s'imprégnant peu à peu de l'atmosphère paisible et en même temps animée, souterrainement, par la quête de ceux qui ouvrent, feuillètent, cherchent le texte qui va leur faire signe, les accompagner quelques heures, quelques nuits, toute une vie peut-être. C'est un lieu où elle se sent bien. À l'abri et en même temps prête à toutes les aventures intérieures.
Elle avait employé plusieurs fois ce mot « tentative ». Un mot qu'il aimait. C'était celui qu'il employait pour baptiser le fait de vivre : une tentative. Un mot humble, qui donne le droit de se tromper, d'errer, de recommencer.
La technique ne suffit pas. Nécessaire, pas suffisante. Il faut « sentir » au-delà. Comme si chaque geste était pris dans un geste bien plus vaste, relié au-delà du temps aux gestes des hommes, ceux qu'ils ont toujours fait, avec des outils plus ou moins sophistiqués, ou sans, à mains nues, pour retenir le vivant parmi les vivants. Dans ces moments-là, j'appartenais pleinement à l'espèce humaine.
Elle a relevé brusquement la tête. Il a vu les larmes. Dans sa vie, il en a vu couler, dans son cabinet, à la clinique. Il ne s'est jamais détourné. Il a appris à ne plus être un regard. Juste être là. Ne pas ajouter au chagrin la honte d'être regardé.