« Gabrielle est un roi. Gabrielle est une reine. Elle aime l'envoûtement. Même prise dans une toile d'araignée, elle reste claire comme le jour ».
Gabriele Buffet-Picabia était l'arrière-grand-mère des soeurs Berest, une femme qu'elles n'ont malheureusement pas connue et dont elles n'ont appris l'existence que tardivement. Une femme dont la vie était palpitante et inspirante. Mais il ne s'agit pas là d'une simple biographie, c'est une histoire familiale et une histoire de l'art, l'histoire d'une révolution intellectuelle et artistique.
Gabriële a été l'épouse du célèbre peintre abstrait
Francis Picabia, la maîtresse de
Marcel Duchamp et la grande amie de
Guillaume Apollinaire. Elle exerçait un pouvoir fascinant et était telle une muse, une inspiratrice, une « accoucheuse d'idées », elle était le cerveau lorsque l'artiste était la main. Elle voulait laisser la lumière aux hommes. « Elle laisse aux hommes les délices des caresses de l'égo ».
Gabriële était une femme indépendante d'une intelligence remarquable, d'un caractère incroyable, elle était à contre-courant de son époque. Dans une société où les femmes n'avaient pas le droit d'être libres et étaient traitées en éternelles mineures, elle décida de devenir compositeur et intégra la Schola Cantorum, une école de musique parisienne, puis de partir à Berlin pour vivre de sa passion, fuir ce cocon familial pour enfin s'émanciper.
En 1908, alors âgée de 27 ans, pas encore mariée et sans enfant, elle fut courtisée par
Francis Picabia, un ami de son frère. Entre eux ce fut une évidence artistique, une alchimie intellectuelle plus que physique. Elle délaissera ses rêves pour se consacrer à son mari. Francis est un Dom Juan, il collectionne les conquêtes comme il collectionne les voitures. Petit génie impressionniste à seulement 30 ans, il veut révolutionner l'art et compte sur l'esprit de
Gabriële pour le pousser dans cette nouvelle forme d'expression.
De leur union naîtront 4 enfants, ou plutôt 4 étrangers, 4 fardeaux car ils seront un frein à leur épanouissement intellectuel et artistique, un obstacle à la liberté qui les caractérise si bien.
Gabriële et Francis forment ce couple mythique d'artistes, leaders de l'avant-garde et figures emblématiques de l'intelligentsia artistique parisienne du début du XXème siècle. Ce livre c'est aussi la naissance de l'art abstrait, un cheminement de pensées des artistes de l'époque pour se délivrer des carcans d'une peinture classique devenue obsolète. Ils ont tous deux contribué à révolutionner l'art, dans ce qui fut les prémices de l'abstraction, du dadaïsme, du cubisme, du futurisme, de l'Orphisme.
Une vie à mille à l'heure, une vie où se mêlent les effluves d'opium, les départs sur un coup de tête, les maîtresses, les crises de neurasthénie, une liberté assumée mais tellement moderne qu'elle en devient scandaleuse.
Anne et
Claire Berest ont voulu écrire ce livre pour comprendre la logique des liens familiaux, analyser ce couple d'artistes tellement fusionnel qu'il ne laissait aucune place à leurs enfants. Ecrire la vie de leur ancêtre devient leur exutoire. Mettre des mots sur des faits qui font mal : être artiste et femme avant d'être mère. Concéder que ce couple ait aimé l'art plus que leur progéniture. Ce n'est pas le procès de
Gabriële, c'est plutôt mettre en lumière ce caractère exceptionnel pour enfin accepter cette histoire familiale hors du commun. Un livre coup de coeur, écrit à 4 mains, d'une impressionnante précision, dans un contexte historique et artistique bouillonnant, des moeurs avant-gardistes, des êtres plongés dans une folie révolutionnaire. C'est dérangeant mais tellement envoûtant, j'ai adoré !
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