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3,95

sur 604 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La première fois que j'ai vu Claire Berest , c'était dans l'émission "La Grande Librairie" , elle présentait son livre Bellevue. Je l'ai trouvée brillante et j'ai noté le titre.
La deuxième fois que j'ai vu Claire Berest, c'était à Rennes , interviewée aux Rencontres Littéraires, elle y présentait son "petit dernier , Gabriële" , un livre écrit à quatre mains avec sa soeur. Elle était très passionnée, convaincante, ultra documentée, passionnante…

Gabriële avant d'être un roman, c'est une histoire de famille, un secret ou plutôt un non-dit, un trou béant…
C'est l'histoire de leur arrière grand-mère qu'elles n'ont pas connue , celle d'une jeune fille très intelligente et indépendante qui décide de faire des études musicales, tout d'abord à Paris puis à Berlin . Elle étudiait la composition, seule femme admise dans une classe de jeunes hommes.
On est 1908, elle a 27 ans , (il lui reste une année d'étude à faire ) , quand elle rencontre le peintre Francis Picabia et elle envoie tout promener.
Elle l'épouse , ils auront quatre enfants , ne s'en occuperont pas beaucoup mais révolutionneront le milieu de l'art mondial. Lui avec ses oeuvres , elle par son esprit, sa capacité à voir le talent des autres , à discuter , à les "accoucher" . Ils fréquenteront toute la fine fleur artistique du xx ième siècle ( Duchamp, Apollinaire entre autres ) , voyageront énormément pour l'époque.
Et les enfants dans tout ça ? C'est là que le bas blesse…
Le quatrième se suicidera à 27 ans laissant une petite fille de quatre ans, la mère de Anne et Claire Berest, laquelle ne reverra jamais sa famille paternelle : Gabriële a mieux à faire.
Elle est morte en 1985 , à 104 ans , ses arrières petites filles ignoraient son existence.

Monstrueuse et généreuse, bienveillante et égoïste, moderne et visionnaire, indépendante et terriblement soumise , Gabriële a été une femme très intelligente , "un cerveau érotique" ...

Ce livre raconte leur "enquête" autour d'un personnage hors du commun pour l'époque. Il réussit le fragile équilibre entre documentation historique et parties romancées et imaginées. Chaque chapitre est clos par un petit paragraphe ou une phrase , sorte de réflexion d'une ou des auteures sur leur recherches , leurs découvertes et leur ressenti. Cela ajoute une touche humaine et très personnelle et nous rappelle qu'elles n'ont pas écrit un livre SUR et POUR Gabriële mais pour elles-mêmes , pour essayer de comprendre comment elles avaient pu être amputées d'un pan de leur histoire familiale et surtout pour leur maman; ( maman qui vivra très douloureusement cette aventure …)
Une quête sur ses origines bouleversante et pudique, sensible et sans aucune mièvrerie…
Tout l'intérêt de ce livre provient de cette implication, ce parti pris.

Entre ma rencontre avec Claire Berest ( que j'ai alpaguée dix minutes …) et la lecture de ce livre, j'ai laissé passer quelques mois, je voulais laisser l'histoire "décanter ", un peu oublier la vie de Gabriële pour mieux la redécouvrir . Ça a été un voyage fascinant et passionnant qui dépasse le cadre de l'histoire de l'art et peut séduire les non initiés, car c'est aussi un livre qui grouille de vies , ( célébrités croisées, vies à 100 à l'heure, vies sacrifiées…).
Qu'est ce qu'une vie réussie ?
Quelle "trace " laisse-t' on sur la terre ?
Peut-on tout sacrifier à l'Art ? ….

Brillant , très agréable à lire et instructif...
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Cette lecture, « imposée » dans le cadre du Prix Libraires en Seine, a été un véritable envoutement !
A priori, je n'étais pas vraiment partante pour une plongée dans un milieu d'artistes avant-gardistes et iconoclastes prêts à révolutionner le monde des arts au tournant du dernier siècle, et encore moins, craignant l'hagiographie, dans l'aventure de reconstruction biographique entreprise par les arrière petites-filles de Gabriële Buffet, épouse du peintre Francis Picabia.
Mais ce livre recèle des charmes surprenants qui m'ont très rapidement conquise, au point de me faire glisser dans cette situation délicieuse où l'on a hâte de reprendre sa lecture pour retrouver ses personnages.

Il faut dire que ce livre est très habité par ses auteures, dont on perçoit fortement combien le travail entrepris d'exhumation de cette aïeule mal aimante fut à la fois douloureux et fondamental. Avec sensibilité et intelligence, elles amènent par touches légères Gabriële, la mettant dans la lumière de sa prodigieuse intelligence et de son indépendance d'esprit hors normes, sans hésiter par ailleurs à marquer ses zones d'ombre – en tant que mère notamment : étonnant exercice en clair obscur, destiné à mettre sur le devant de la scène une femme exceptionnelle qui se serait toujours (à moins que les auteures n'embellissent la réalité ?) maintenue dans l'ombre de ces grands hommes qu'elle a côtoyés : son mari d'abord, Francis Picabia, mais aussi Marcel Duchamp, Guillaume Apollinaire…

Un récit biographique très intimiste dans lequel les concepts d'art, de famille, d'amour prennent une dimension singulière dans le tourbillon de créativité révolutionnaire insufflé par ces artistes atypiques et géniaux.
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Comme une remontée à ciel ouvert d'une oeuvre d'art que l'on croyait perdue, Anne et Claire Berest, exhume des chefs d'oeuvres oubliés, un passé explosif profondément enfouis, et grimpent à la rencontre de deux fantômes de notre histoire, deux figures des grandes révolutions picturales du XX ème siècle, effacées de nos références, une sorte de malédiction cachée mise à nue dans ce long témoignage à deux voix, "Gabriëlle".


Une mise à l'index familial, a soustrait Anne et Claire, à la personnalité de leurs grands parents, à la connaissance de leur filiation, celle-ci devant rester secrète, être la petite fille d'un grand père qui se suicide, et découvrir que son arrière grand père a été une grande figure de la peinture et des arts, n'est pas une généalogie ordinaire. le fils de Picabia, Vincente est aussi le fils qui a toujours été délaissé par sa mère, Gabriëlle. qui ne s'est jamais intéressé à ses 4 enfants.


Elles ont éludé le mystère qui entourait ce grand-père maternel, Vincente, l'enfant non désiré, meurt à 27 ans d'une overdose, laissant une enfant de 4 ans. Puis en remontant vers Picabia, relever que lui aussi s'est retrouvé orphelin à l'age de 7 ans, une blessure que l'absence de mère va profondément perturber.


Mais c'est l'itinéraire assez diabolique de Gabriële que les deux sœurs vont investir, pour la mettre à nue, et partager sa vie jusqu'à sa mort dans un dénouement insensé, pour celle qui bradera 17 toiles de Picasso. Sa fidélité à Picabia avec lequel elle se marie ira jusqu'à écarter Vincente de la tombe familiale en1953, pour y déposer le prince de ses rêves, alors qu'elle en est séparé depuis de si longues années.


Puisqu'il Il faut parler peinture, c'est la fusion de l'énergie de Picabia et de l'imagination de Gabriëlle qui va donner vie à leurs passions artistiques du moins pour la période allant de 1908 à 1930. C'est en 1909 que Picabia signe le premier tableau abstrait "Caoutchouc". C'est Picabia qui va lancer à New York les peintres français de l'art nouveau. Picabia, multiplie les trouvailles, les innovations, les chef d’œuvres.


Devenant le chef de file du mouvement surréaliste, puis du Dadaïsme, il multiple les œuvres les plus originales, ou singulières. C'est Marcel Duchamp qui le suit. La première œuvre de Marcel,"Nu descendant un escalier", refusé à Paris fait un triomphe à New York, pendant des semaines les passionnés se bousculent.
Avec Guillaume Apollinaire ils vont dresser devant eux un boulevard, une rétrospective, un enthousiasme, une doctrine derrière lesquels tant d'artistes puiseront.


Mais par quelle magie cette éclosion s'est-elle mise à flamber ?

C'est Gabriëlle l'inspiratrice, la musicienne qui veut un art au dessus de tous les arts, une démarche libérée de toutes les contraintes. Gabriëlle qui va dicter à Picabia ce qu'il faut peindre, à Marcel Duchamp toutes les folies et toutes les audaces. Marcel qui apprend vite, livre un bidet à un concours d'art moderne, déclenchant un immense scandale et l'hilarité générale. Des scandales qui avec Gabriëlle, devenaient possible et qui bientôt s'organiseront.

Dans leur sillage tant de maîtres sont apparus, Miro derrière Picabia, Magritte et Andy Warol derrière Marcel Duchamp.

Maîtrisant les langues utiles à la promotion des peintres, Gabriêlle dessine une des figures féminines, les plus extravagantes des années d'après guerre, car rien ne l'arrête, rien pour elle ne peut être sacrifié à la liberté pas même ses propres enfants. Elle fut l'Égérie de Picabia, mais aussi de Marcel Duchamp, de Igor Stravinsky...

Avec Apollinaire ils perdent un ami mais plus encore un défenseur. Son absence va peser durablement sur la notoriété du trio, Gabriëlle Buffet aux bras de ses hommes. C'est une sorte de malédiction qui va ternir l'image  de Picabia. Lui qui a peint près de 100 toiles impressionnistes, n'est pas dans les livres sur les impressionniste, Picasso y figure. Aujourd'hui sa place est floue, il est souvent absent des rétrospectives sur la peinture moderne, on cite Miro ou Chirico pas Picabia. Aucun membre de sa famille ne s'est impliqué dans la promotion de Picabia, idem pour authentifier l'étendue de son œuvre.


Il faudra un jour penser à réunir, enfin Duchamp et Picabia dans un unique hommage, une grande Expo au grand palais et par ricochet convoquer Gabriëlle pour redessiner ces deux géants de la peinture, sous le charme de leur muse Gabriëlle Buffet.

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Sublime et fascinante, cette histoire quasi-inconnue de Gabriële Buffet.
Une histoire d'une vie écrite à quatre mains avec adresse, avec limpidité et avec chronologie.
Le livre est rempli d'anecdotes et il n'est jamais ennuyeux au vu de la vie trépignante du couple Picabia-Buffet.


Anne et claire Berest n'ont pas ménagé leur peine, pour écrire et faire revivre le souvenir de leur arrière-grand-mère, presque oubliée de toutes et tous.
Elles se sont lancées toutes les deux, dans une quête immense, presque impossible. Elles ont toutes les deux fait un travail gigantesque de recherches, car elles avaient peu de choses au départ pour écrire un livre aussi riche sur la vie captivante de cette avant-gardiste qu'était leur arrière-grand-mère.


Il n'y a rien de plus euphorisant, de plus énergisant et je sais de quoi je parle, que de suivre les traces d'un ancêtre là où personne d'autres de la famille n'était jamais allé. de découvrir un passé qui avait été enfoui volontairement ou non, mais qu'importe !
Aussi, il n'est pas facile parfois de rendre sa copie, en exposant les faits tels qu'ils se sont passés, en dévoilant des archives, des lettres, des cartes telles qui furent écrites. Et en peignant le portrait d'une arrière-grand-mère telle qu'elle a été, elle et son mari Francis Picabia, sans enjoliver les choses, sans rendre les personnages sympathiques et attachants.

Les décrire juste humains avec leur part de lumière, de génie et bien sûr de la folie qui est accolée avec, et leur part d'ombre aussi.
Cette face sombre qu'il faut accepter et porter malgré tout, parce qu'elle fait partie du poids de notre héritage familial.
Ce qui me touche le plus dans le livre autobiographique de Gabriële, c'est qu'Anne et Claire Berest qui ont été chargées de cette « mission », car rien n'arrive par hasard, ont été d'une grande honnêteté et authenticité envers leurs ancêtres.


Dimanche, j'étais à « Livres dans la boucle » à Besançon. J'ai assisté à une rencontre avec, entre autres, Anne Berest. L'auteure disait que ses recherches familiales qui redonnent vie à des souvenirs, qui retrouvent des histoires passées, lui ont permis de se libérer parfois d'un héritage psycho-émotionnel qui lui encombrait la vie.
Mais là nous entrons dans le domaine de la psycho généalogie. Et il faut avoir une certaine sensibilité à cet « outil » qui nous aide à décrypter notre filiation, pour y entrer.


Gabriële Buffet, musicienne dans l'âme, fût une femme brillante qui a force d'acharnement, sans aucune aide financière de ses parents, est entrée dans la prestigieuse classe de composition de la Schola Cantorum.
Nous étions en 1898 et c'était une révolution car Gabriële était la première femme à y entrer.

Ensuite tout basculera pour elle, lorsque qu'elle rencontra le fantasque peintre et son futur mari ; Francis Picabia.
Gabriële, cette femme d'exception, cette femme d'une grande intelligente, aura donc tout abandonné ce bel avenir qui s'ouvrait à elle, pour se consacrer uniquement à son époux. C'est elle qui l'a porté, l'a conseillé, l'a motivé, l'a consolé, l'a soigné. Elle a suivi toutes ses folies, tous ses égarements.
Elle a soutenu sans aucune faille, toute la démesure son mari, ce génie qui lui aussi était en avance sur son temps, mais qui fut un homme torturé durant toute sa vie, par de longues crises maniaco-dépressives.


Le plus surprenant pour moi, le plus triste aussi et qui m'a beaucoup affecté, c'est la fin de vie tragique qu'a eue cette femme hors-norme.
Gabriële Buffet est morte seule et oubliée à 104 ans, dans un appartement vidé de tous souvenirs. Tous les tableaux qu'elle avait acheté de Picasso, les tableaux de son mari Francis Picabia, les lettres de Guillaume Apollinaire, ont toutes disparues.


Elle était un soleil étincelant, elle avait côtoyé les plus grands, les artistes les plus célèbres de son époque comme son grand ami, Guillaume Apollinaire, le peintre Marcel Deschamps, ou le compositeur Igor Stravinsky.

Elle est partie silencieuse, n'étant plus que l'ombre d'elle-même.

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Cet ouvrage est le défi que se sont lancé les soeurs Berest afin de lever le voile sur cette arrière grand-mère maternelle dont elles ignoraient l'existence.
Mais qui est Gabriële? (1) Pourquoi cet omerta de la part de leur mère ?
Elles la définissent comme «  femme de Picabia, maîtresse de Duchamp, amie intime d'Apollinaire. » Une photo d'elle est insérée page 19.

Si certains auteurs choisissent pour titre de chapitres des titres de chansons, Anne et Claire ont opté pour des «  titres des tableaux de Francis Picabia ».

Le récit débute en 1908, au moment où Gabriële se prépare à regagner Berlin pour poursuivre ses études musicales. Son parcours irrigué par la musique est sidérant, car cette jeune fille ne vit que pour elle. Sa rencontre avec Picabia, par l'entremise de son frère est déterminante.
Sa vie bascule. On assiste à son renoncement à sa passion pour celui qui a réussi à la séduire, qui va devoir à présent l'apprivoiser.Un mariage et de multiples voyages où Picabia puise son inspiration. Quelle métamorphose au contact de Picabia !
Gabriëlle fait montre d'une liberté sans tabou qui peut désarçonner.
Les naissances se succèdent mais semblent un fardeau pour le couple, on ne sent pas la fibre maternelle, parentale. Des enfants laissés tour à tour aux nounous, chez la mère de Gaby, en pension en Suisse, pendant que le couple atypique renoue avec la vie de bohème.
Et pour Picabia l'addiction à l'opium. Les romancières le comparent à un Serge Gainsbourg.

Lors des rencontres de Puteaux , ils feront plus ample connaissance avec Marcel Duchamp.Très vite s'installe une «  utopie amoureuse » à trois. « Une attraction pulvérisante » pour Gaby.
La découverte de la bipolarité de Picabia permet de mieux comprendre leur vie chaotique, faite de fusion, d'éloignements, de rabibochages. Des relations à la “ Jules et Jim”.
La poésie s'invite dans leur vie lors de leur rencontre avec Apollinaire, “son inconscient, son ange gardien”. .Picabia , à son tour, écrit et publie des oeuvres poétiques, sous la houlette de Gaby, animée par “ l'urgence de transmettre”.
Cette biographie romancée à quatre mains est ponctuée d'apartés où les voix des deuxécrivaines dialoguent, font le point sur ce qu'elles découvrent ou ne savent toujours pas.

Anne et Claire Berest se sont faites Sherlock Holmes et livrent le résultat de leur enquête, mettant en exergue cette femme hors cadre, incroyable, «  le cerveau érotique »,polyglotte, anticonformiste, ultramoderne, qui a révolutionné l'art par son influence sur Picabia.
Cette femme de l'ombre, les soeurs Berest ont voulu la réhabiliter, la considérant comme «  un messie », « un médium ».
Leurs recherches a eu de bénéfique de leur faire découvrir le havre de paix d'Etival dans le Jura, de pénétrer dans cette maison qui une âme avec tous ces portraits d'aïeux. Et de faire la connaissance de cousins.
Elles ont éludé le mystère qui entourait ce grand-père maternel, Vicente,( enfant non désiré, suicidé à 27 ans, laissant une enfant de 4 ans) . Comment ne pas être choquée de sa décision de Gabriële d 'exhumer le corps de son fils Vicente, « Nié » ,pour mettre celui de son époux.
Elles reconnaissent que cela a pu être douloureux pour leur mère de les voir fouiller dans son passé afin d'établir la filiation avec le peintre Picabia. « La relation des Picabia à leurs enfants est un mystère » : des parents démissionnaires, indifférents à leur petite fille, Lélia.
On note que Gaby exprima ses regrets d'avoir failli au rôle de mère.

Un travail de mémoire familiale, étayé par une documentation foisonnante, qui nous immerge dans les mouvements artistiques de l'époque : du cubisme, la naissance de l'art abstrait jusqu'au dadaïsme et qui met en lumière Gabriële, « cette éminence grise, rayonnante », cette femme hallucinante ainsi que toute une constellation d'artistes, d'intellectuels qui gravite autour d'eux.
Une lecture fluide, passionnante à accompagner de tableaux de Picabia.
PS :
Une mention supplémentaire pour la présence d'une table des matières et de photos.
Par contre un arbre généalogique aurait été le bienvenu.
(1) Gabriële est décliné sous des orthographes différentes : Gabrielle, Gabrièle.



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Anne et Claire BEREST. Gabriële.

A quatre mains, Anne et Claire BEREST nous présente leur arrière-grand-mère, Gabriële BUFFET. Cette femme a connu un destin hors du commun. Elle est issue de la bourgeoisie. Elle fait de brillantes études dans le domaine musical, quitte le foyer familial a 25 ans pour parfaire ses études et s'installe à Berlin. Sa carrière musicale s'achève en 1908, alors que la jeune femme a 27 ans. Elle rencontre le peintre Francis PICABIA. IL l'épouse et cet être, lui aussi doté d'une intelligence hors norme, très riche, indépendant va cependant asservir la jeune femme. Tout en étant l'épouse de ce grand peintre, elle est la maîtresse de Marcel DUCHAMP, n autre peintre et une très bonne amie du poète Guillaume APPOLINAIRE.

Les deux soeurs, armées jusqu'aux dents de documents d'archives, soient familiales, soient publiques , ont suivi à la trace le parcours de tous ces peintres, idéalistes, réformistes, usant de nouvelles théories et méthodes dans l'art de la peinture, toujours à l'avant-garde, précurseurs de l'art abstrait. C'est ainsi qu'en compagnie de tous ces célèbres peintres et romanciers du début du XXème siècle, nous parcourons l'Europe, traversons l'Atlantique, revenons en Europe, en Espagne, en Suisse, en France, du nord au sud, de Saint-Tropez en Bretagne, séjournant dans le Jura, à Paris avec nos héros.

Gabriële est une maîtresse femme, libérée, avant-gardiste, à la solde de son époux. Elle est très intelligente ; c'est une intellectuelle qui entraîne dans son sillage de nombreux lettrés. Par contre ce n'est pas une mère très aimante. Heureusement que sa mère est là pour combler l'absence lors des nombreux voyages qu'accomplissent Gabriële et Francis, soit pour le plaisir soit pour les nombreuses expositions des toiles du maître dans les salons du monde entier. C'est un bel hommage que Claire et Anne rendent à leur aïeule. Et c'est avec grand plaisir que j'ai lu cette biographie. Dans ce récit les dessous entre les divers courants tant pictural, artistique que littéraire de ce début de siècle nous sont bien présentés, bien expliqués. Elles ont fait ici une belle oeuvre et les notices explicatives sont complètes. Je déplore de les retrouver en fin de volume. Pour la fluidité du texte j'apprécie de les retrouver en bas de page. Ce n'est pas très grave, j'ai lu avec attention et une certaine complicité s'opère entre le lecteur et l'héroïne. le texte est limpide, les actions rapides, mais nous avons des personnages qui vivent à 100 à l'heure, il faut donc emboîter le pas et chausser des bottes de sept lieux afin de les suivre. le fil rouge de la passionnante vie de Gabriële m'a permis de lier connaissance avec Francis PICABIA, Marcel DUCHAMP, PICASSO, etc.... Des peintres hors normes, précurseurs de l'art abstrait. Un domaine que je ne connaissais pas. Merci aux deux jeunes femmes. Je me permets de vous recommander, non seulement de vous pencher sur cette biographie mais de lire l'étude faite par Anne BEREST « Rien n'est noir » où elle nous présente la vie de Frida KHALO. Et Claire vient de nous offrir un magnifique roman « La carte postale », dans lequel elle fait vivre, revivre la famille de sa mère dans la tragédie de la déportation. Un grand merci aux deux soeurs et toutes mes félicitations. ( 19/01/2022)

Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Pour certains êtres, l'art dévore, consume, isole du monde dit « normal ».

Il pénètre au plus profond de celles et ceux qui se débattent entre traditions, éclosion d'un monde nouveau en cette fin du XIXème siècle et début XXème.

Une jeune musicienne Gabriële, un peintre : Picabia déjà célèbre, au sang bouillonnant, se rencontrent.

Elle est hors de la norme des jeunes filles de l'époque, intelligente et intellectuelle, libre et anti-conventions, musicienne.
Théoricienne d'un art d'avant-garde, elle insuffle chez le peintre impressionniste une réflexion qui corrobore ce qu'il ressent, perçoit et l'amènera à bouleverser sa peinture.
Elle abandonnera musique et composition pour « porter » l'homme sujet à la bipolarité et propulser l'artiste au faîte d'une créativité mouvante selon ses états, son vécu et les courants de l'époque.
Un couple où les idées sont le ciment de leur relation.

Fantasque, provocant, opiomane, aux nombreuses infidélités, dépensier, amoureux des voitures, coutumier de brusques départs, souffrant de ne pas être reconnu à Paris, en rivalité avec Picasso, Picabia s'appuiera sur cette femme nécessaire à son équilibre.

Des amitiés, des banquets, des sorties nocturnes.
L'argent coule à flot, un peu trop au regard des autres.
Une amitié belle et trouble avec Marcel Duchamp à qui elle cédera.
Une amitié pure avec Guillaume Apollinaire dont nous comprenons mieux certains poèmes (comme Zone) comme nous comprenons mieux l'histoire de certaines oeuvres de Picabia et Duchamp grâce à ce livre.

Tout un monde en effervescence, en retraite volontaire pour se ressourcer, en caprices aussi, une ébullition créative et créatrice, une période qui changera la face de l'art pictural.

Un monde parmi lequel vivent des enfants qui représentent peu, petits poids encombrants pour ceux qui ne vivent que pour l'Art, leur art et n'ont que faire d'une vie familiale dans un intérieur bourgeois avec des idées dites bien-pensantes.
Quelques lignes bouleversantes sur ces enfants qui n'ont rien demandé, sur Vicente (grand-père des deux auteures) et son auto-destruction et l'absence de relations qui en découlèrent sont révélatrices.

La 1ère guerre qui deviendra mondiale, New-York, Barcelone où l'on ne peut que penser aux malheurs qui se profilent et se subissent pendant que ce groupe iconoclaste « s'éclate » sur une plage.
Gabriële est présentée comme la seule véritablement consciente de l'horreur vécue sur le front… (elle pense à Apollinaire qui s'est engagé).
Bref, on ne peut qu'être choqués par l' « anti-militarisme » désinvolte … de ces artistes échappés aux tourments et déconnectés de la réalité.

Dada se profile et Picabia écrit, provocations, obscénités, dépression, ruptures …

Un livre rédigé à deux voix qui se confondent.
Les arrière-petites filles du peintre ont remonté le temps et regardé dans les yeux cette arrière grand-mère discrète volontairement, lucide et dure, à qui elles rendent ainsi la véritable place qu'elle occupa dans le milieu artistique.
Un retour à un passé qui bouleversa des destins, en annula d'autres.
Des légendes qui se construisirent, les anecdotes valorisant la folie qui les anime, les enfants broyés par l'absence, une inexistence qui heurte.

Ces pages, après bien des recherches, des recoupements, racontent quelques moments de l'histoire de l'art et de la vie d'une femme consacrée à l'homme qui fut son « tout », une femme certes libre, dans tous les sens possibles que contient ce mot, au regard acéré, à la perception artistique lucide mais une femme que l'on devine impitoyable…

« Éclairer la nuit » du passé et du silence, voilà ce qui clôture le livre avec des paroles émouvantes et pudiques offertes à leur mère « Lélia » (la nuit en hébreu), paroles de filles aimantes et respectueuses.

Plume alerte, extraits, dialogues, description de lieux et d'une époque, un portrait sans concessions de deux êtres (et d'autres) qui vivèrent au gré de leurs foucades, de leurs démons intérieurs : démesure anormale.

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Des petites morsures au coeur.

C'est ce qui aura jalonné la vie de Gabriële. le lot de celle qui n'aura pas été muse mais mécène. Ce n'est pas sa beauté qui la place au centre des oeuvres mais son intelligence qui la positionne aux côtés des artistes. Épaule contre épaule, sans un pas de recul. Mais assez pour être dans l'ombre du soleil créateur.
Dans l'ombre, c'est là que Claire et Anne Berest vont retrouver la trace de l'aïeule honnie. Épouse de Picabia amante de Duchamp, amie d'Apollinaire, elle aura connu les fêtes de ces années folles, l'effervescence artistique, les affres de la création, la passion des esprits vifs. Gabriële était un monde à elle seule, aimée de tous, mais mal, puisque mordue, par petits coups qui lui dévorent le coeur.

"C'était totalement inhumain de se trouver assise près d'un homme et dont vous sentez qu'il vous désire tant et de ne même pas avoir été touchée... avant tout, je devais faire très attention à tout ce que je lui disais, parce qu'il entendait les choses d'une manière totalement alarmante, manière absolue."

Alarmante et absolue, comme sa manière d'être aux hommes de sa vie.
J'ai d'ailleurs regretté de voir si peu Gabriële et tant Picabia au début du texte, regretté le chapitrage qui est de sa patte à lui, et non de la sienne. Regretté qu'elle s'efface toujours un peu même sous la plume de ses descendantes. Mais c'est ne pas la trahir. Et c'est ce que j'ai adoré dans ce livre. Faire la connaissance de cette femme toute entière, solaire, lunaire, astre qui s'éteindra seule, à 104 ans. Et qui aura vécu pour les hommes et l'art. Pour l'art et l'esprit. Pas pour elle. Pas pour ses enfants. Parce que ce n'est pas elle qui crée, mais les autres, les hommes autour. Une femme qui n'impose rien, surtout pas sa présence. Qui ne revendique rien. Féministe à sa manière. Regardant Picabia avec tendresse, admiration mais aussi avec lassitude parfois.

Ce texte est à la fois un hommage artistique, un merveilleux document sur cette époque. Une réhabilitation au sein d'une famille qui est racontée avec brio par ces deux soeurs (si vous n'avez pas lu La Carte postale, c'est une faute !). Et le portrait d'une femme que j'aurais aimé croiser.
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Gabriële.
Gabrielle. Gabrièle. Gaby.

Rien ne lui résiste à Gabriële !
Quelle incroyable histoire de femme. Quel personnage précurseur ! Quelle drôle de femme…

On ne peut s'empêcher de l'admirer. Une pionnière. Une artiste. Une intelligence sans faille. Une résistante aussi !

Anne et Claire Berest raconte la naissance et les choix de vie de leur arrière-grand-mère qui épousa le peintre Francis Picabia. Elles explorent leur passé car qui y'a t'il derrière leur grand-père Vicente Picabia, mort d'une overdose à 27 ans ? Cet enfant non désiré, rejeté par ses parents… il n'y a que des zones d'ombre.

Née Gabrielle Buffet en 1881, elle sera la seule femme à intégrer une école de musique prestigieuse et une des rares à ne pas s'être marier très jeune. Avant gardiste, elle s'épanouira dans les conversations intellectuelles, les échanges musicaux et surtout sa précieuse liberté. Mais sa rencontre avec Picabia remettra tout en question. Elle aurait pu être sur le devant de la scène mais choisira d'évoluer dans l'ombre, de consacrer une bonne partie de sa vie à édifier ce qu'est devenu Picabia. L'élan de Picabia et l'imagination intarissable de Gabriële, une association hors du commun, sans limite. Picabia dira d'ailleurs de sa femme qu'elle avait un « cerveau érotique » !
On dit toujours que derrière chaque grand homme se cache une femme : Gabriële en est la preuve. Inspirante, visionnaire, elle poussera Picabia pour qu'il se réalise. Côtoyant les plus grands, son meilleur ami étant Guillaume Apollinaire, elle jouera un rôle primordial dans l'histoire de l'art et dans son apport dans la pensée de l'abstraction en matière picturale.

Cette femme est un génie. Et Picabia la considère comme sa muse, il ne peut se passer de ses conseils, de son organisation. Souffrant de dépression, elle est son phare.

Je ne peux vous dire combien la lecture fut belle, enrichissante et incroyable ! Quelle femme ! J'ai savouré chaque page, sans pouvoir m'empêcher de faire le parallèle avec la carte postale. Un bémol car si Gabriële est une femme précurseur et libre, ce n'en fut pas moins une mère absente qui ne porta d'attention qu'à Picabia, délaissant complètement ses enfants. Elle sacrifiera d'ailleurs la place de son fils dans le caveau familial pour y installer Picabia. Femme emblématique mais mère affligeante, qui finira par ses agissements souvent qualifiés « d'homme », à constituer à elle seule, un vrai secret de famille.

Un très beau portrait de femme, et la joie d'avoir pu évoluer aux côtés des plus grands : Picasso, Picabia, Duchamp, Balzac, Apollinaire… et comme une envie de relire la carte postale pour lier tous ses destins.
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Ecrite à quatre mains, cette biographie nous fait découvrir la destinée d'une femme en avance sur son temps, femme libre et anti -conventionnelle, et arrière-grand-mère des soeurs Berest.
Gabriëlle Buffet a mené des études de composition musicale, qui en ce temps -là demandait caractère et témérité pour les envisager. Cette modernité, d'esprit, ce féminisme qui ne dit pas encore son nom n'est que le début d'une vie hors norme vécue aux côté puis en parallèle avec le peintre Francis Picabia. Ce dernier emporte dans son sillage Picasso, Marcel Duchamp, Apollinaire. Nous sommes au début du siècle dernier, la vie artistique est en plein renouveau.

Les soeurs Berest signent non seulement une belle biographie familiale, mais aussi un tableau vivant de ce qu'a été la vie artistique au sens large à cette époque. Elles montrent notamment comment s'articulaient les relations entre les artistes de disciplines variées.

Dans un style alerte, vivant, les soeurs Berest, s'amusent, en fin de chapitre à confronter leurs impressions, leurs sentiments, et nous font partager leur questionnement autour du personnage principal, leurs échanges tout au long de la rédaction de leur ouvrage. Elles sont présentes, mais juste ce qu'il faut, ne s'imposent pas au lecteur qui peut ainsi cheminer avec Gabriëlle et Francis.

J'ai beaucoup apprécié cet ouvrage tant sur la forme pour les raisons évoquées précédemment, que sur le fond pour lequel j'ai perçu un gros travail de recherche.
En outre, j'ai aimé l'implication affective discrète mais profonde des soeurs Berest dans l'évocation de cette arrière-grand-mère qu'elles n'ont jamais connue, et à laquelle elles rendent un vibrant hommage.
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