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sur 608 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Gabrielle (ou Gabriële, Gabrièle, ...) Buffet ? Ce nom ne vous dit rien ... Et Picabia ?
Anne et Claire Berest nous offrent ici une série de repères biographiques essentiellement concentrés sur la vie d'une femme entre 1908 et 1919. L'originalité du récit de la vie de Gabriële est qu'il émane de deux de ses arrière-petites-filles qui n'avaient pratiquement jamais entendu parler d'elle. L'intérêt de la lecture de leur travail de recherche et de reconstitution vient de ce que, grâce au parcours de leur aïeule, nous approchons des artistes précurseurs et sentons sourdre progressivement ce qu'il est convenu d'appeler l'art moderne. Nous sommes en plein proto-dadaïsme. La peinture fait entrer l'abstraction dans nos vies. Une étape décisive dans l'histoire de l'art est en train d'être franchie sous nos yeux ; cela est fascinant.
Au point de basculement entre le XIXe et le XXe siècle, précisément donc dans la période où se situe l'action, peinture, poésie, musique voient émerger et se côtoyer de-ci de-là des précurseurs improbables qui seront plus tard reconnus : Francis Picabia, Marcel Duchamp, Apollinaire, et, pas loin, Fauré, Debussy, Picasso, Edgard Varèse... Ajoutez à ce prestigieux plateau des séjours à Berlin, Paris, New-York, Barcelone, Saint-Tropez, le Jura, mélangez le tout avec une vie sentimentale très agitée et vous aurez déjà de quoi passer un bon moment. Un seul regret : le bruit de la guerre en train de devenir mondiale est trop assourdi.
En cadeau, tout au long du récit, les deux auteures vous offrent des réflexions -trop rares à mon goût- sur ce qu'elles découvrent et sur la construction même de leur récit.
Gabriële inspire, comprend, encourage les peintres et, durablement marquée par ses études musicales, ne cesse de rapprocher sons et couleurs. Il n'est pas étonnant qu'elle ait tout de suite aimé le Sacre du Printemps !
Bien qu'elle ait voulu laisser le moins de traces possibles de son influence, et à cause de cela, Gabriële est un personnage très attachant. Passions, trahisons, amitiés, amours déçus puis reconquis et définitivement perdus forment le bouillon de culture au milieu duquel rayonne par son intelligence et sa sensibilité celle qui illustre à merveille le sens premier du mot "égérie".
Si vous voulez l'histoire d'une vie romanesque, lisez celle-ci ; elle est attachante.
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« Car ce qui est troublant chez elle, c'est qu'on ne l'a pas empêchée d'être. C'est elle qui a voulu qu'on l'oublie. Elle possédait un regard autre. Elle était alors une sorte de médium. Elle est un messie. Mais un messie qui n'est pas prosélyte. »

J'ai tant rêvé de ces artistes, de ces intellectuels. J'aime ceux qui pensent, qui créent, qui peignent. Ceux qui ont le courage de penser autrement, ceux qui remettent en question l'ordre établi. Je n'ai pu me sortir ces quelques phrases du merveilleux livre de Gaëlle Nohant, Légende d'un dormeur éveillé : « Ils enterraient joyeusement les valeurs sacrées de leurs aînés, la famille, la patrie, et cette morale bourgeoise qui s'accommode du bordel et du viol mais brocarde la liberté d'aimer. Ils entrechoquaient et frottaient les mots, cherchant l'étincelle d'une poésie surgie de l'étrange et de la surprise. »

Avec Gabriël Buffet nous évoluons d'abord durant la fin du XIXe siècle dans une société encore et toujours si masculine. Ce qu'elle aime avant tout c'est la musique. Les sons, les tons, les notes… Elle est née femme mais qu'importe, les femmes ont leur place partout. Sur la scène, dans les rues mais aussi sur les bancs des écoles et sur ceux des universités. Ce n'est pas facile pour elles. Sont-elles vraiment capables de créer de la musique ?de la vraie ? Pas la musique de chambre mais celle qui s'écoute avec les oreilles. Gabriël possède un esprit brillant, comme peu peuvent s'enorgueillir. Elle découvre, analyse, comprend. Indépendante, elle part pour Berlin. Premier pays d'une longue liste. Là-bas, tout est différent. Elle se sent libre. Mais cette liberté sera de courte durée puisqu'un homme à la réputation sulfureuse fait son entrée dans la vie. Il est beau, talentueux, drôle, l'esprit vif et il aime les voitures. Passionnément… Il comprend qu'elle n'est pas comme les autres. Une muse ? Non, plutôt un esprit, un « cerveau érotique ». Ils se plaisent, ils le savent. Elle va tout abandonner pour le peintre espagnol. Celui qui peint des tableaux aux noms étranges : Edtaonisl, Udnie… Elle sera son inspiration constante, celle qui ne fanera jamais telle une fleur de verre.

Ils représentent ce que j'aime de cette période. Un envie de tout foutre en l'air. Une envie d'envoyer balader la morale artistique pour qu'enfin le renouveau, la renaissance apparaissent.
« Ils avançaient sur la crête des vagues, tutoyaient la mort et le vertige. Leur rire était un crachat envoyé au ciel. Ils n'avaient que faire d'être raillés, méprisés, excommuniés. » ( Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant ) Ils s'appelaient également Marcel Duchamp, le jeune homme timide qui peindra pourtant le célèbre Nu descendant l'escalier qui fera tant jaser le milieu artistique. Il est beau, admire Francis mais aime encore plus Gabriël. Ils vivront ! Ils boiront en parlant art, en parlant nouvelle vie. Ils voyageront aussi. L'art n'a pas de frontières. Il est partout autour de nous, l'inspiration est à chaque coin de rue pour celui qui sera capable de la voir. « Nous n'avons de patrie que celle des rêves que nous partageons, des femmes que nous aimons, des vins qui nous enivrent. » La littérature se mêlera bientôt à l'art quand le poète Guillaume Apollinaire viendra rejoindre la troupe ( Apo pour les intimes ). Celui qui écrit « J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps » ou encore « Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie. Ta vie que tu bois comme un eau-de-vie »

Ils vont créer un art subversif, ils vont bousculer les frontières. Et pourtant, j'ai pensé que si je n'avais pas lu ce livre De Claire et Anne Berest, je n'aurais certainement jamais eu la connaissance de ces êtres là. J'ai adoré voyager dans les ateliers où la peinture enivre les sens. J'ai aimé découvrir le New-York de ces années là. La chaleur des corps alors que les artistes comme Marie Laurencin se trouvent à Barcelone. Si comme moi, vous aimez ce début du siècle où une poignée d'individus crachent au nez des guerres, foncez !
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Gabriële Buffet qui épousa le peintre Francis Picabia en janvier 1909 est pour le moins une femme étonnante. Deux de ses arrières- petites-filles, les soeurs Anne et Claire Berest, entreprennent de nous faire connaître sa vie mouvementée et son influence non négligeable sur les artistes de son temps. Les deux soeurs ont fait un énorme travail de documentation sur leur ancêtre Picabia et sa femme qu'elles ne connaissaient pratiquement pas. (Et on comprend la sorte d'omerta pratiquée dans la famille au sujet des Picabia à la lecture de ce récit passionnant écrit sous la forme d'un roman). C'est aussi une étude de la communauté artistique dans laquelle évoluait les Picabia.
Le sujet de ce roman est vraiment Gabriële dont la postérité n'a pas gardé beaucoup de souvenirs alors qu'on retrouve dans tous les musées des oeuvres de son prestigieux mari. Au départ Gabriële était une musicienne et se rêvait compositrice. Difficile pour une jeune fille au tout début du XXème siècle! Mais elle a une volonté de fer et après des études à Paris auprès des plus grands musiciens de son temps elle part seule à Berlin. Et voilà que Francis Picabia, alors au sommet d'une jeune gloire de peintre post-impressionniste croise sa route. C'est un vibrion riche, fêtard, extraverti, au volant de voitures extraordinaires qui se cherche et veut tout révolutionner dans sa peinture comme elle voulait le faire pour la musique. Ils entament de longues et passionnantes conversations sur les rapports entre musique et peinture. Leurs amis les plus proches sont Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire. Tous semblent éblouis par l'intelligence de Gabriële. C'est une théoricienne et non une artiste qui met en mots les recherches des artistes les plus influents de l'époque.
Leur traversée de la première guerre mondiale est assez ahurissante. Loin de l'engagement patriotique de Guillaume Apollinaire, les Picabia continuent à vivre leur vie bohème de Paris à New York en passant par Barcelone et la Suisse uniquement préoccupés de leur art et entourés de tous leurs amis artistes qui, comme eux sont anti-militaristes. Leur monde c'est l'art et la fête, peu importe ce qui se passe sur le front. Gabriële abandonne toute idée de création personnelle et se consacre uniquement à son mari et à son oeuvre. Celui-ci ne peut vivre sans elle mais est d'un égoïsme sidérant. Elle le materne comme un enfant mais se désintéresse totalement de leurs 4 enfants.
La Gabriële décrite dans ce récit était une bien étrange personne. Un femme libre avant l'heure mais inféodé à un mari volage, capricieux, certainement bipolaire, en un mot invivable. Qu'est-ce qui fait que des femmes dites d'une intelligence supérieure restent tant d'année auprès de tels hommes? Dans certains commentaires sur Gabriële j'ai vu apparaître la notion de féminisme mais pour moi elle n'était pas féministe dans ce roman. C'est une femme forte, un esprit libre, qui a peu d'amies femmes et ne semble pas se préoccuper des conditions de vie de ses contemporaines. Ses combats ne concernent qu'elle. J'ai regretté que ce roman ne concerne que les années Picabia. J'aurais aimé en savoir plus sur la vie de Gabriële après leur séparation car sa vie se poursuivit dans le sillage d'autres artistes majeurs. Mais comme elle vécut jusqu'à 104 ans il faudrait sans doute un autre tome! Est-il en route?

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Ce livre écrit par deux femmes, les deux soeurs Berest est une biographie de leur arrière-grand-mère, Gabriële Buffet- Picabia - épouse du peintre Francis Picabia. Il a pour titre le prénom qu'elle s'était choisie (de fait son troisième prénom qu'elle orthographiera de différentes manières au court de sa vie), une femme forte, féministe, rebelle, au destin hors-normes, née le 21 novembre 1881 à Fontainebleau et morte à Paris le 7 décembre 1985, à l'âge de104 ans.
Partie dans la vie pour être musicienne – elle sera la première femme à être autorisée à suivre une classe de composition de musique – elle rencontrera Francis Picabia qui est un ami de son frère Jean Buffet et sa vie en sera chamboulée ; de fait elle abandonnera sa carrière de musicienne. Picabia est un homme très riche, ingérable, passionné de voitures, que l'on pourrait qualifier d'atteint de folie maniaco-dépressive ; Picabia qui à la fin de sa vie sera poète en plus d'être peintre….
Elle mettra son intelligence au service de la carrière de peintre de celui qu'elle a épousé, Francis Picabia. Elle fréquente des personnes du monde de l'art, est active dans la résistance…
C'est juste un festival de rencontres, un tourbillon de vie, une femme d'exception entourée d'hommes d'exception. Un couple qui est fusionnel niveau artistique et intellectuel, qui aura des amitiés fortes (toujours avec des hommes). Gabriële n'aura qu'une seule amie femme : Elsa Schiaparelli.
Les principaux amis du couple : Marcel Duchamp, Lamartine. Gabriële, la femme d'un seul homme tant qu'il sera en vie. le couple aura 4 enfants… mais pour le couple, les enfants cela se fait et puis cela se confie, devient quantité négligeable… Picabia ne sera jamais fidèle ; comme le dira Gabriële, sa fidélité sera dans l'esprit en non dans la chair, leur entente est métaphysique et non physique.
Un nombre impressionnant d'artistes dans leur entourage : des peintres, des auteurs, des poètes… Au fil des pages on croisera ou évoquera : Alfred Sisley, Lénine, Pablo Picasso, May Jacob, Gabriel Fauré, Saint-Saëns, Prost, Debussy, Stéphane Mallarmé, Rubinstein, César Franck, Vincent d'Indy, Rodin, Edgard Varèse, Geaorge Braque, Marie Laurencin, Tristan Tzara, Berthe Morisot, Rimbaud, Gauguin, Kandinsky, Frantisek, Matisse, Cocteau, le groupe de Puteaux, Léger, Brancusi, Miro, André Gide, le douanier Rousseau, Gris, Derain, Paul Fort, Kipka, Man Ray, Stravinsky, Aragon, Chagall, Suzanne valadon, le couple Delaunay, Robert Desnos, Maurice Ravel, André Breton, Jean Arp… et tous ceux/celles que j'oublie…
On les fréquentera à Paris, Berlin, Cassis, St Tropez, New-York, Hythe (Angleterre) , Etival (Jura) et ailleurs…
Les Picabia (famille espagnole exilée à Cuba au XVIIème siècle) n'auront de cesse de craquer les codes, de remettre en question tous les principes artistiques, de mixer la musique et la peinture et c'est juste passionnant.

Cette biographie de leur arrière-grand-mère écrite par les soeurs Berest à quatre mains retrace principalement sa vie alors qu'elle était mariée à Francis Picabia. Elle retrace aussi la vie et la carrière artistique de Picabia.
La vie de Gabriële après la disparition de son mari est retracée dans les très grandes lignes (on en apprend davantage dans le roman « La carte postale »). J'étais déjà tombée sous le charme d'Anne Berest l'an passé avec son roman « la Carte postale », je suis retombée sous le charme des deux soeurs Berest avec cette biographie.
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Gabriële ... avec un seul "l" et un tréma sur le e. Les deux auteurs sont ses arrières petites-filles puisque Vicente était son fils et que c'était leur grand-père, mort jeune à 27 ans, suicidé. Il a laissé derrière lui, une enfant, Lélia, leur maman. Gabriële BUFFET, compositrice, élève de Vincent d'Indy, qui a 27 ans, est toujours célibataire dans une époque où célibataire à cet âge, voulait dire "incasable" donc un échec. Gabriële va à Berlin pour perfectionner son art de la musique et en revenant, elle rencontre un trublion, Francis PICABIA qu'elle déteste avant de vivre avec lui une communion d'esprit et de corps qui la surprendra et pour laquelle elle abdiquera tout et surtout la musique. PICABIA, impressionniste sans conviction, devient grâce à Gabriële, un peintre moderne, un chef de file. Riche, extravagant, peut être bipolaire, PICABIA est une bombe artistique qui explose dans le PARIS des années d'avant la première guerre mondiale. On y croise Marcel DUCHAMPS (et ses deux frères) qui formera avec les PICABIA, un trio "amoureux", Guillaume APPOLINAIRE, poète, défricheur, grand soutien de Gabriële, dans les périodes sombres de son époux, lorsqu'il s'effondre. Gabriële sera le diable dans les détails de PICABIA : elle le fera connaître aux ETATS UNIS, avant qu'il ne soit reconnu en FRANCE, le soutiendra même lorsqu'il la trompera à tour de bras, fera toujours en sorte de garder la première place dans son univers intellectuel qu'elle stimule. Elle ira jusqu'à rencontrer ses maîtresses, les accepter. Gabriële ne se fera qu'une seule amie femme, Elsa SCHIAPARELLI, la créatrice de monde italienne dada.
Entre ses deux "monstres", les 4 enfants du couple n'existeront pas. PICABIA ne s'y intéressera pas et Gabriële n'a pas la fibre maternelle : son seul enfant est Francis. Les deux auteurs rendent attachants ces personnages si atypiques et parfois réfrigérants. J'ai eu de la peine pour Gabriële qui abandonnera son souhait d'être compositrice pour lequel elle s'était tant battue pour devenir l'impresario de celui qu'elle aime. Je garde l'impression d'une femme cérébrale, en totale opposition avec son mari foutraque, mais capable de faire naître du chaos, la magie. Un livre vibrant qui nous fait découvrir un univers que je connaissait peu celui de l'art moderne. Bien que dense, le texte s'arrête peu de temps après la fin de la première guerre mondiale. Nous n'aurons pas la suite de la vie de Gabriële qui va pourtant vivre et aimer encore d'autres hommes dont Igor STRAVINSKY (dont elle avait beaucoup apprécié "Le sacre du Printemps") durant un grand nombre d'années : elle mourra à 104 ans.
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Il est de ces histoires merveilleuses dont l'on n'entend jamais parler, par une injustice historique, un biais inexplicable, un bug technique de la logique de l'Univers.

Celle de Gabriële Buffet en fait partie.
Enfin, en faisait partie, puisque grâce à deux de ses arrière-petites-filles, sa vie est désormais retracée, inscrite entre les quelques 480 pages d'un roman dense, passionné, prenant.

Désormais, Gabriële appartient à l'histoire, elle aussi.

Gabriële, c'est cette femme dont l'orthographe du nom - qu'elle s'est choisi elle-même - peut laisser perplexe, qui a surtout décidé de ne jamais se laisser imposer quoi que ce soit dans sa vie, et de toujours se laisser la possibilité de choisir, de bifurquer, de tout renverser, de repartir de zéro.

Elle naît au crépuscule du XIXème siècle, se destine à une carrière de grande compositrice à une époque où la plupart des écoles de musique sont obstinément fermées aux femmes, voyage, se refuse à se marier, jusqu'au jour où elle rencontre le peintre Francis Picabia, coqueluche des salons de peinture, jeune millionnaire en puissance, pasionaria insolente et géniale. Gabriële le sait, très vite : sa vie, elle la passera aux côtés de Francis, pour le meilleur et pour le pire, dans la popularité, la solitude, dans les périodes de vache maigre comme dans celles où la critique se pâmera d'admiration pour le talent du peintre.

Elle a déjà fait son choix.
Alors elle l'épouse, elle s'installe avec lui, elle le conseille, elle le porte, et bientôt, elle se fond avec lui dans une bande d'amis un peu fous et surtout formidables, dont les noms résonnent pour nous comme des légendes : Marcel Duchamp, Guillaume Apollinaire, André Breton, Marie Laurencin, Luis Bunuel, Jean Cocteau ou encore Pablo Picasso.

C'est ambitieux, comme idée, ce roman qu'est Gabriële. C'est en fait, pour ses deux autrices, s'attaquer au destin d'une femme irrécupérablement insaisissable, mais aussi à celui de leur propre arrière-grand-mère - qu'elles n'ont jamais connue au demeurant -, en cumulant les casquettes de biographes, de romancières, de descendantes, d'inconnues, de familières.
C'est ambitieux, ça aurait pu être périlleux, mais c'est diablement convaincant.

La réussite du roman tient à plusieurs qualités, mais notamment celle-ci : sa passion. On sent derrière ces quelques centaines de pages des mois et des mois de recherches fouillées et appliquées, et plus largement un véritable souci de rendre justice à cette figure hors-normes en point d'en paraître fictive. Les autrices peignent l'époque à grands coups de descriptions fouillées et de portraits attendris, imaginent, connectent, avouent leur ignorance, expliquent, s'extasient. Et le lecteur, forcément, suit.

L'enjeu était aussi et surtout de laisser transparaître toutes les contradictions de Gabriële sans que cela ne fasse d'elle un personnage agaçant ou peu crédible. Mais au contraire, ici, plus la jeune femme hésite et rétropédale, plus on s'attache à elle, plus on se plonge dans ses dilemmes propres à son époque et à son engagement artistique. Bien sûr qu'une femme comme elle veut se dévouer corps et âme à l'art - mais cela laisse-t-il une place pour son grand amour, Picabia ? Bien sûr qu'elle n'aspire qu'à l'indépendance, mais n'a-t-elle pas aussi ce besoin inavoué de soutien, voire de protection ? Bien sûr, on le voit, on le sent, elle aime profondément et foncièrement ses amis, son entourage, mais on perçoit aussi sa soif de solitude, de paix, autant de désirs inconciliables qui se bousculent et se déchaînent le long d'un récit captivant. Comment faire, alors ?

Comment vivre lorsque l'on est Gabriële Buffet et que l'on ne saura jamais se satisfaire de ce que le monde a à offrir, avec ses guerres, ses blocages et ses imperfections ?

C'est un roman brodé d'énergie furieuse et créatrice, celle de Picabia, et d'exigence mature et passionnée, celle de Gabriële, parcouru de piques d'érudition qui ne se teintent jamais de prétention, purement romanesque mais tout aussi riche d'un documentaire, une tragédie aux accents comiques, une biographie qui s'accommode très bien de ses zones d'ombres. Gabriële se lit vite et fort, entraîne son lecteur dans un halo d'extase artistique, de frénésie intellectuelle, d'émerveillement contemplatif, non sans quelques échos nostalgiques. Plus qu'un bel hommage, c'est un texte qui peut devenir une petite expérience si on choisit de l'accompagner de la musique de Debussy, des toiles de Duchamp, Picabia et Picasso, de l'architecture diabolique de New York, des photos de famille disséminées entre les pages. C'est une plongée dans la bande d'amis la plus fascinante et tumultueuse qui soit, les surréalistes, une odyssée artistique un peu chaotique, un destin enfin, celui d'une femme dont on ne savait rien et que l'on voudrait comprendre - un peu -, bref, une lecture douce-amère, qui ouvre tout un tas de portes mais accepte aussi de devoir en laisser certaines closes.
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Claire et Anne Berest voulant découvrir qui était cette femme, Gabriele Buffet, leur arrière grand-mère maternelle qui fut la compagne du peintre Francis Picabia.

Née en 1881, elle fut l'incarnation de l'indépendance féminine à une époque dominée par les hommes.

Sa première marque d'indépendance fut de se choisir un prénom : Gabriele.

Développant un goût prononcé pour la musique, et malgré les difficultés faites aux femmes, elle parvînt à s'inscrire au Conservatoire dans la section "pianiste"...or elle veut composer. Par chance, un musicien crée son école de musique et elle y est admise en tant que compositrice. Elle fait ses preuves et obtient un diplôme. Elle part en Allemagne.

Décidée à ne pas se marier, Gabriele éprouve pourtant une passion dévorante pour Francis Picabia après leur première rencontre.
Elle abandonne sa carrière, ne vivant que pour Picabia, l'art et un amour absolu, elle devient sa muse et l'encourage dans son travail de recherches artistiques.

Le dadaïsme, le cubisme, Gabriele se passionne pour tous les courants artistiques de son époque. Elle sera totalement impliqué : galeriste, critique d'art et journaliste.

Gabriele et Picabia auront quatre enfants dont Vincente, grand-père maternel des auteures, qui se suicidera. C'est l'année de naissance de Vicente qui voit la séparation de ses parents.

Gabriele meurt, âgée de 104 ans, en 1985 dans la solitude.

Cette biographie passionnante et émouvante est écrite avec tact et sensibilité. de plus elle fourmille de précisions sur la vie artistique du début du XXème siècle.

Un excellent livre.
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Gabriële Buffet, née en 1881, est une jeune fille qui ne veut pas se marier. Elle choisit de devenir compositrice, car c'est la voie royale réservée aux hommes, et se retrouve la seule femme de sa volée dans son école de musique à Paris. Pour lui permettre d'échapper au mariage, son professeur l'envoie à Berlin poursuivre ses études, où elle commence à sortir le soir et à vivre sa liberté, sans pour autant s'intéresser aux hommes. Lors d'un séjour chez sa mère, elle rencontre Francis Picabia, qui est un ami de son frère peintre et qui tombe sous le charme de cet esprit moderne et brillant. Il est riche, la veut absolument. Elle cède et renonce à sa carrière de compositrice, mais jouera un rôle central dans la carrière de Picabia, qu'elle épousera en 1909, avant de devenir la maîtresse de Marcel Duchamp, l'amie d'Apollinaire.

Je n'avais pas envie de lire cette biographie, qui s'est avérée tellement bien faite que j'ai été embarquée dès le premier chapitre. Ce livre est très bien écrit, plein de références et d'anecdotes intéressantes sur l'époque, la musique, la peinture, l'art en général. Les auteurs, arrière-petites-filles de Gabriële, réussissent à insuffler du suspense à chaque fin de chapitre, par des révélations fracassantes sur l'avenir des personnages ou des questionnements sous forme de dialogue entre elles. J'ai trouvé ce livre très réussi et très intéressant, sans être jamais ennuyeux, ni trop détaillé ; il se lit d'une traite sans effort et avec un grand plaisir. le style est fluide et agréable. Dommage qu'il s'arrête de manière abrupte avec la fin de la relation de Picabia et Gabriële, alors même que la vie de celle-ci semble avoir été intéressante après cette période également. On aurait volontiers poursuivi cette lecture passionnante.
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Gabriële Buffet-Picabia (Gaby) est l'arrière-grand-mère des co-auteures. Si son nom vous est inconnu, il en était de même pour moi avant lire ce récit. Les deux soeurs Berest n'ont pas connu leur ancêtre, pourtant décédée bien après leur naissance. Leur mère n'avait pas de contact avec sa grand-mère et n'avait pas souhaité la présenter à ses filles. Une fois adulte, les soeurs ont voulu savoir qui était cette femme mystérieuse et quelle était son histoire.
Gabriële Buffet a 27 ans quand elle rencontre le peintre Francis Picabia. Musicienne, très indépendante pour une jeune femme de sa génération, elle a un caractère bien trempé et une intelligence hors du commun. Sa rencontre avec Francis va bouleverser le destin qui s'offre à elle. La jeune Gaby plaque la musique pour se mettre au service de son futur mari dont elle pressent le talent exceptionnel. La complicité intellectuelle du couple est parfaite au point qu'ils finissent par ne faire qu'un. Pour autant, leur vie est loin d'être idyllique car Francis est un être torturé, qui a un besoin constant d'être encouragé et stimulé.

1910 - Gabrielle et Francis Picabia
Gabriële s'oublie. Elle est l'épouse, la muse, l'organisatrice de la carrière de son mari. "Elle déplace des montagnes pour les autres mais il lui manque la force de pousser une porte pour elle-même". La vie du couple est mouvementée. Francis Picabia ne lui laisse pas de répit, ne se gène pas pour la tromper. Elle accepte la situation, considérant ce besoin d'aller voir ailleurs comme une composante de l'équilibre de l'artiste. Pendant ce temps, Gaby ne se morfond pas chez elle. Elle abandonne ses enfants pour défendre les intérêts de son mari, s'il le faut à l'étranger. Elle fréquente le milieu artistique, seule ou avec Picabia. C'est une femme en très avance sur son temps, qui n'hésite pas à se rendre seule aux Etats-unis, par exemple.

"Hera" - oeuvre de Francis Picadia - 1929
Ce récit m'a passionnée de bout en bout. C'est un beau voyage dans le temps, qui revisite une époque sous l'angle de ses artistes. Nous croisons Apollinaire, Marcel Duchamp, Picasso, Marie Laurencin, Isodora Dukun... Nous découvrons la naissance du dadaïsme et l'esprit provocateur de ceux qui portent le mouvement. Parmi eux se trouvent les Picabia. La vie de Gaby est à la fois passionnante et frustrante, preuve qu'il est difficile de tout réussir dans une vie. Ce que Gabriële mettra de côté, outre sa vocation pour la musique, c'est son rôle de mère. Elle considère ses enfants comme un fardeau. Son mari ne s'y intéresse pas davantage. Les enfants en souffriront.

1917 Francis Picabia, Gabriële Buffet-Picabia et Guillaume Apollinaire
Dans le récit se glissent régulièrement quelques éléments de réflexion des co-auteures. Sont elles légitimes à écrire ce portrait ? En montrant l'admiration qu'elles ont pour leur arrière-grand-mère, ne trahissent-elles pas leur mère et grand-père, qui tous deux ont souffert des manquements de Gabriële ? J'ai pas pas eu ce ressenti. On sent dans la démarche des co-auteurs une recherche constante d'objectivité. En atteste le partage avec les lecteurs de leurs doutes, de leurs questionnements.
Je vous conseille sans hésitation de découvrir ce beau portrait d'une femme hors du commun.
Lien : http://www.sylire.com/
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L'histoire révélée d'une femme brillante dont son amour tumultueux avec le peintre Picabia a occulté sa vocation de musicienne et son rôle de mère de 4 enfants. Écrit par ses deux arrière-petite-filles, le récit retrace cette vie rocambolesque du début du XX ième siècle marquée par l'ambition des artistes de révolutionner les bases de leur art, ce qui amènera l'avènement du cubisme en peinture, de la musique sérielle et électronique en musique, au mouvements dadaïste et surréaliste alors que la première guerre mondiale fait ses ravages. On y croise Picasso, Marcel Duchamp, Man Ray, Edgar Varèse, Vincent DIndy, Hugo Ball le père du dadaïsme, Guillaume Apollinaire, le grand ami, le confident de Gabrielle. Perpétuellement en voyage de Paris à Saint-Tropez, Barcelone, New-York, en Suisse et dans le Jura, Gabriële vit leur vie de bohème au rythme des dépressions et des infidélités de Picabia. Mais elle ne peut résister à ses enthousiasmes fulgurants, son talent artistique et leur connivence artistique qui les lient. Elle mourra à 104 ans. Un livre passionnant bien écrit qui se termine de façon touchante par la révélation d'un passé familial tragique, celui de leur grand-père, le dernier né de Gabriële, qui se suicide à 27 ans d'une overdose...
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