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Un GRAND rendez vous avec le passé de VICHY

Tout commence par 4 prénoms posés d'une écriture maladroite, sur une carte postale déposée chez Lélia ce lundi 6 Janvier 2003. Ces quatre prénoms sont ceux de ses grands parents maternels, de son oncle et de sa tante morts à Auschwitz en 1942.
"Ma mère a eu très peur, mais qui a pu m'envoyer cette horreur se demande Lélia ?" Page 8. Anne a vu les mains de Leila se mettre à trembler.

Et moi lecteur, j'ai compris que la Saga Piccabia est bien finie. C'est dans le dur qu'il faut avancer, dans les chemins les plus douloureux.

L'ÉNIGME
.
A la lecture de la carte postale, des faisceaux de questions se mettent à germer, des plus simples aux plus graves, des plus menaçants aux plus éphémères.
« Elle n'est pas toute jeune, la carte, elle a au moins dix ans ! » page 10.
Les choses en seraient restées là, sans les révélations de Lélia à sa fille. Une boite verte tachée de noir, comme recouverte de cendres et de poussières, s'ouvre alors sur un récit hybride celui de la famille Rabinovitch, une histoire encore éparpillée.
Ephraïme, Emma, Noémie, Jacques, il manque Myriam.
Quelques boites sont en file d'attente prêtes à livrer des secrets ou laisser de longues lacunes, des blancs aussi noirs que les disparus des camps de la mort.
Qui à transmis cette carte, d'où, pour dire quoi, et Myriam ? Pour faire renaître quelle terreur ?
Anne comme Claire sa soeur se sentent prêtes à affronter les cauchemars.

La puissance de ce livre est là, juste à hauteur de lecture, car je sais que ces destins uniques seront bouleversants et impitoyables.
Ce roman doit être lu par tous ceux qui un jour on imaginé servir une vie publique, pour défendre tous les citoyens français ou étrangers.

L'ENQUÊTE

C'est l'enquête impossible. Comment retrouver les traces de ces étrangers vivants en France depuis plus de 10 ans, depuis 1929. Qui sont-ils ?
La réponse allait tomber en 1941. Ils devront tous se déclarer. S'ils ne se sont pas encore inscrits ce sera la prison puis l'expulsion. Ni vus, ni connus.
les lois du gouvernement de Vichy seront nombreuses, progressives et très détaillées. Rien n'est laissé au hasard. Ephraïm est un inventeur, mais la seule nomenclature possible , l'oblige à faire un faux, il se déclare agriculteur.

Mais il fait toujours confiance.

La famille Rabinovitch de religion juive mais non pratiquante, est heureuse de s'installer à Paris, en 1929, fière de découvrir la tour Eiffel, ils cultiveront l'excellence, les enfants sont brillants à l'école.
Leur naturalisation leur sera refusée. Leur père et son entreprise innovent. Madame est concertiste, et professeur. Plusieurs fois des amis les supplient de partir...

Mais ils font toujours confiance !

Le récit de Leila constitue un travail de toute une vie, un devoir de loyauté à l'égard des rescapés, un déploiement de moyens insensés : rassembler des bribes de lettres, des photos, écrire, interroger, retrouver des amis, des professeurs, rechercher, parfois dans les biens raflés par les services de la préfecture..

Aucune archive n'a été conservée en France, sauf pour trois départements notamment l'Eure et le Loiret.
"L'administrateur du camp rédige, ce mardi 28 juillet une liste intitulée : camp de Pithiviers personnes apparaissant avoir été arrêtées par erreur. Sur cette liste il inscrit le nom de Jacques et Noémie Rabinovitch. Cette liste tu l'a retrouvée maman ? Lélia lui dit oui de la tête. Page 175"

Cette enquête menée par Lélia, puis par ses filles est une épopée grandiose.
Le déroulement des faits est raconté avec une précision horlogère, et confirmé par des preuves ou des aveux, par des lettres, parfois insignifiantes.

Une CONTRIBUTION EXCEPTIONNELLE à notre connaissance de la France sous le gouvernement de Vichy.


La perversité des méthodes utilisées par le gouvernement de Vichy est diabolique, elle repose sur plusieurs principes :

-il ne faut conserver aucune mention de la destination finale d'une personne arrêtée, ou mieux encore préciser des départs volontaires pour travailler à l'étranger ou quitter la France,
-aucun fonctionnaire ne doit savoir ce qui a précédé, aucun ne sait ce qui va suivre,
-confisquer des biens d'étrangers ou de juifs n'est plus un délit,
-S'agissant des juifs, ils seront déportés, les étrangers, puis les français, puis tous les juifs français quels que que soient leurs mérites...
-L'horreur est progressive, car au final aucun enfant ne sera épargné,
-Ne laisser aucune trace compromettante.

La perversité des nazis aura été de faire exécuter ce génocide par le gouvernement de Vichy, qui a rempli sa tache avec minutie, avec application et souvent avec zèle.

Dans cette toile d'araignée, construite par Vichy, seuls des actes isolés pouvaient aller jusqu'à leur terme, et sous réserve d'avoir le flair de ne pas être dénoncé.
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Recevoir une carte postale est une attention qui fait toujours plaisir.
Elle permet d'obtenir de brèves nouvelles de nos proches qui sont généralement partis en voyage et qui souhaitaient nous faire partager un petit bout de cette expérience.

En allant un soir de l'année 2003 chercher son courrier, Lélia Picabia trouve dans sa boite aux lettres une carte postale sans enveloppe représentant l'Opéra Garnier. En retournant la photographie pour y découvrir les quelques mots laissés, quelle ne fût pas sa stupeur en lisant que ce courrier adressé à sa mère par un auteur inconnu a inscrit au dos de la carte le prénom de quatre parents disparues il y a de nombreuses années, lors de la Seconde Guerre mondiale.
Enfermée pendant plus d'une décennie dans un tiroir, ce n'est qu'en 2019 que sa fille, Anne Berest se lance à la recherche du mystérieux expéditeur... Par ce travail d'investigation, l'auteur va découvrir l'histoire de sa famille, les Rabinovith, partis de Russie en 1919 et qui, après de nombreux voyages se sont installés en France dans les années 1930.

Ouvrage bouleversant, ce roman autobiographique offre un beau travail d'introspection de la part de l'auteur. Par une plume délicate et pleine de fluidité, Anne Berest nous offre, grâce à son travail d'écriture, un ouvrage captivant et touchant qui retrace une histoire familiale très riche d'un point de vue sentimental et humain. Malgré des passages décrivant des scènes d'horreurs ou très difficiles qui font l'objet de beaucoup d'interrogations sur l'espèce humaine, on n'arrive pas à lâcher cet ouvrage. Je conseille vivement la lecture de cet ouvrage car il permet de retracer une période de l'Histoire de France avec beaucoup de sensibilité et d'humanité car l'auteur raconte les événements de la période de la Seconde Guerre et d'après guerre au travers son histoire personnelle. Si j'avais pu lire ce roman pendant ma scolarité, peut-être que mes cours d'Histoire auraient été plus intéressants...
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"-Qu'est-ce qu'être juif ?
Peut-être que la réponse était contenue dans la question :
-se demander qu'est-ce qu'être juif ?
Après avoir lu le livre que Georges m'avait donné, - Enfants de survivants – de Nathalie Zajde, j'ai découvert tout ce que j'aurais pu dire à Déborah lors du dîner de Pessah.
Les réponses arrivaient seulement avec quelques semaines de retard. Déborah, je ne sais pas ce que veut dire "être vraiment juif" ou "ne pas l'être vraiment". Je peux simplement t'apprendre que je suis une enfant de survivant. C'est-à-dire quelqu'un qui ne connaît pas les gestes du Seder mais dont la famille est morte dans les chambres à gaz. Quelqu'un qui fait les mêmes cauchemars que sa mère et cherche sa place parmi les vivants. Quelqu'un dont le corps est la tombe de ceux qui n'ont pu trouver leur sépulture. Déborah, tu affirmes que je suis juive quand ça m'arrange. Lorsque ma fille est née, que je l'ai prise dans mes bras à la maternité, tu sais à quoi j'ai pensé ? La première image qui m'a traversée ? L'image des mères qui allaitaient quand on les a envoyées dans les chambres à gaz. Alors voilà, cela "m'arrangerait" de ne pas penser à Auschwitz, tous les jours. Cela m'arrangerait de ne pas avoir peur de l'administration, peur du gaz, peur de perdre mes papiers, peur des endroits clos, peur de la morsure des chiens, peur de passer des frontières, peur de prendre des avions, peur des foules et de l'exaltation de la virilité, peur des hommes lorsqu'ils sont en bande, peur qu'on me prenne mes enfants, peur des gens qui obéissent, peur de l'uniforme, peur d'arriver en retard, peur de me faire attraper par la police, peur quand je dois refaire mes papiers... peur de dire que je suis juive. Et cela tout le temps. Pas quand ça m'arrange. J'ai, inscrit dans mes cellules, le souvenir d'une expérience de danger si violente, qu'il me semble parfois l'avoir vraiment vécue ou devoir la revivre. La mort me semble toujours imminente. J'ai le sentiment d'être une proie. Je cherche dans les livres d'Histoire celle qu'on ne m'a pas racontée. Je veux lire encore et toujours. Ma soif de connaissance n'est jamais étanchée. Je me sens parfois une étrangère. Je vois des obstacles là où d'autres n'en voient pas. Je n'arrive pas à faire coïncider l'idée de ma famille avec cette référence mythologique qu'est le génocide. Et cette difficulté me constitue tout entière. Cette chose me définit. Pendant presque quarante ans, j'ai cherché à tracer un dessin qui puisse me ressembler, sans y parvenir. Mais aujourd'hui je peux relier tous les points entre eux, pour voir apparaître, parmi la constellation des fragments éparpillés sur la page, une silhouette dans laquelle je me reconnais enfin : je suis fille et petite-fille de survivants."

FRISSONS !

Ces mots bouleversants, qui m'ont bouleversé, c'est la réponse "après coup" qu'Anne Berest fait à Déborah, une amie de son fiancé qui lui avait reproché lors d'un dîner de Pessah ( Pâque juive ) auquel elle avait été conviée de n'être juive que quand ça l'arrangeait, et ce parce qu'Anne ayant eu des parents qui n'avaient pas laissé rentrer la religion sous leur toit, lui préférant Mai 68 et le socialisme, ne connaissait rien des rites liés à la religion juive...

Ce livre qualifié de "roman des origines" est avant tout et surtout une enquête effectuée par Anne Berest et sa mère Lélia, à partir d'une tragédie familiale marquée par la Shoah.

Cette enquête a comme élément déclenchant le coup de téléphone qu'Anne reçoit de sa mère au sujet de sa petite fille Clara, six ans, qui lui a rapporté l'échange qui suit :

-"Grand-mère, est-ce que tu es juive ?
-Oui je suis juive.
- Et grand-père aussi ?
- Ah non, il n'est pas juif, lui.
-Ah. Et maman, elle est juive ?
- Oui, toi aussi.
- C'est bien ce que je pensais.
- Mais pourquoi tu fais cette tête, ma chérie ?
- Cela m'embête beaucoup ce que tu dis.
- Mais pourquoi ?
- Parce qu'on n'aime pas trop les Juifs à l'école."

Lélia exige d'Anne qu'elle parle avec Clara et qu'elle aille s'expliquer avec le directeur d'école de sa fille.
Mais inexplicablement, Anne est incapable d'aborder le sujet avec Clara.
Comme elle le rapporte : "au lieu de cela, j'ai eu une sorte de flash, et cette carte postale qu'on avait reçue depuis seize ans est revenue comme une obsession. J'ai appelé ma mère et je lui ai dit " maman, est-ce que tu as toujours la carte postale ?" Elle m'a dit " oui, mais pourquoi ? ". Je lui ai dit : "mais je veux retrouver l'auteur."

Revenons donc un instant au tout début, c'est-à-dire à la mystérieuse et anonyme carte postale reçue par Lélia le 6 janvier 2003.
C'est une photo de l'Opéra Garnier, au verso de laquelle il semble y avoir un destinataire " M. Bouveris" et son adresse, et en guise de texte quatre prénoms :
- Ephraïm
- Emma
- Noémie
- Jacques
Ces quatre prénoms sont ceux des grands-parents de Lélia ( Ephraïm, Emma ), ainsi que ceux de sa tante ( Noémie ) et de son oncle ( Jacques ), le père et la mère de sa mère Myriam, de la soeur et du frère de Myriam. Tous les quatre ont été déportés et assassinés à Auschwitz en 1942, à l'exception de Myriam qui a "miraculeusement" échappé à la rafle et à ses conséquences.

Seize ans plus tard, et après que Clara ait été interpellée sur sa judéité, Anne, la petite-fille de Myriam, et Lélia, la fille de Myriam, décident d'enquêter sur l'énigmatique carte postale.
Entre les fouilles, les archives, elles font appel à l'agence Duluc détective, rue du Louvre, laquelle s'avère décontenancée par cette carte postale reçue tant d'années auparavant, mais elles ressortent de l'agence munies de quelques informations.
L'écriture est ce qu'on appelle dans le jargon "une écriture non sincère", et un criminologue graphologue prénommé "Jésus" accepte de comparer l'écriture de la carte avec celle de lettres ou d'écrits divers de personnes ayant pu avoir un "lien" quelconque avec la famille Rabinovitch...

Plus d'un siècle va se dérouler de manière romanesque dans ce polar biographique et généalogique, qui nous fait voyager de la Russie à la Lettonie, à la Palestine, à la Pologne, à la Tchécoslovaquie, à l'Allemagne et bien sûr à la France.

L'Histoire est intimement mêlée à l'histoire.
On côtoie des personnages célèbres dont un certain capitaine Alexandre ( René Char ), Irène Némirovsky, Gabriëlle Buffet, Francis Picabia, Adélaïde Hautval et beaucoup d'autres encore...

Anne Berest croit beaucoup à ce qu'elle appelle "la transmission de l'invisible", et elle se questionne, nous questionne sur ce qui continue à vivre en nous de nos ancêtres, quelque chose comme un marqueur cellulaire.
Et il y a effectivement beaucoup d'éléments troublants dans ce roman qui pourraient nous inciter à penser ou à croire que nous sommes tous porteurs de cette transmission.

Anne Berest qui reconnaît n'avoir pas de religion ( athée laïque ) a, grâce à ce livre, fait connaissance avec son histoire, ses racines, mais aussi avec une culture, et grâce à elle, nombreux seront ceux qui feront connaissance avec cette culture juive, riche et multimillénaire.

Un roman, une enquête, un chemin, un puzzle romanesque palpitant, touchant, bouleversant, questionnant, une sépulture offerte à ceux que la barbarie a voulu effacer.

J'ai adoré ce livre, le lisant souvent les yeux humides. Pour moi, c'est un coup de coeur qui aurait mérité le Goncourt.
Ayant été long et peut-être, sûrement même, éparpillé et peu concis, je voudrais terminer par une citation et deux extraits terriblement éloquents.

"Les Juifs sont indéniablement une race, mais ils ne sont pas humains." ( Adolf Hitler )

"Je vois le visage de Jacques, sa tête brune d'enfant, posée contre le sol de la chambre à gaz.
Je pose mes mains sur ses grands yeux ouverts pour les fermer dans cette page."

"Noémie meurt du typhus quelques semaines après son arrivée à Auschwitz. Comme Irène Némirovsky. L'histoire ne dit pas si elles se sont rencontrées."

Une structure narrative impeccablement structurée.
Une très jolie plume.
Des personnages extraordinairement vivants.
La dramaturgie de la vie et de l'histoire sans recours au pathos.
Une authenticité, un réalisme, une honnêteté intellectuelle qui sont la marque des belles personnes.
Un talent porté par une généalogie de plumes qui attendaient un tel livre.
C'est brillant et ça remue !

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Un roman très personnel sur l'histoire familiale de l'auteure avec comme point de départ une carte postale reçue en 2003 avec les prénoms des grands-parents de sa mère, de sa tante et de son oncle, morts à Auschwitz en 1942, « Ephraïm, Emma, Noemie, Jacques ».

Une enquête que l'auteure mènera vingt ans plus tard avec l'aide de sa mère et qui nous transportera un siècle plus tôt, retraçant la destinée des Rabinovitch depuis la Russie, en passant par la Lettonie et la Palestine, et l'arrivée à Paris, avec la guerre et le cataclysme qui s'ensuit, l'horreur des crimes et des injustices subies durant la Seconde Guerre mondiale.

Un passé familial douloureux dans toute sa complexité, chargé d'histoires, de silences, de culpabilité, et aussi de mémoire, de résilience, de courage et de force, de dignité ; on y discerne tout le poids et la puissance de l'héritage familial et son empreinte indélébile sur le présent.

Un récit familial sous forme d'enquête qui traduit aussi une quête de vérité poignante et une réflexion sur le sens du mot « juif » dans une éducation laïque.
« - Qu'est-ce qu'être juif ?
Peut-être que la réponse était contenue dans la question : - Se demander qu'est-ce qu'être juif ? »

Une lecture qui révèle le trouble provoqué par certains signes dans la vie.

« (…) aujourd'hui je peux relier tous les points entre eux (…) je suis fille et petite-fille de survivants ».

Une multitude de critiques, le prix Renaudot des Lycéens, j'ai tenu à temporiser cette lecture par crainte de trop en attendre. Puis ce fut une belle surprise.
Un roman intime, profond et touchant, au style agréable et fluide, un très bon moment de lecture avec toute sa résonance.
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« La Carte postale », roman, lit-on sur la couverture. Voilà de quoi nourrir la perplexité du lecteur: cette enquête sur le sort des générations fauchées par le nazisme renvoie à la famille même de l'auteur et n'a rien, semble-t-il, de fictionnel. Mais il est vrai qu'on nous prévient d'emblée : « c'est un récit hybride que tu vas entendre. Certains faits sont donnés comme évidents, toutefois je te laisserai estimer la part des hypothèses personnelles qui ont finalement abouti à cette reconstitution »
C'est la mère qui annonce cela à sa fille. Car la mise en situation fait dialoguer les deux femmes et nous devons faire semblant de croire en une Anne Berest candide s'intéressant brusquement à ses ancêtres pour entraîner le lecteur à sa suite et lui tenir aimablement la main pendant qu'on crapahute dans l'arbre généalogique des Rabinovitch. Camille Laurens a parlé à propos de ce livre de « Shoah pour les nuls ». Ce n'est pas faux. Et alors? En l'affaire, le didactisme ne nuit pas et le prix Renaudot des lycéens prouve que cela fonctionne. Les plus jeunes ont besoin qu'on leur explique à nouveau ce truc inimaginable d'un peuple destiné tout entier à disparaître. Les moins jeunes aussi d'ailleurs.
Ok donc pour ce dispositif un peu téléphoné et aussi pour le recours à la narration qui crée des personnages à défaut de ressusciter les morts. Il faut bien recourir à l'imagination pour que les millions de disparus ne soient pas seulement des statistiques.
Camille Laurens a également raison de relever la description discutable que fait Berest de l'entrée de Jacques dans la chambre à gaz. Elle imagine qu'un S.S. lui déboite l'épaule d'un coup de crosse pour l'obliger à avancer et finit son chapitre par un gros plan sur les pommeaux de douche. Et, effectivement, on ne voit pas trop en quoi ces détails forcément inventés et furieusement cinématographiques sont utiles ; ils sont même gênants de laisser croire que l'horreur des simples faits ne suffirait pas à dénoncer le nazisme. Ils sont gênants mais ce ne sont que 2 lignes sur 500 pages, pas de quoi instruire un procès en immoralité.
Mais quand même. Si Berest ne tombe jamais dans l'obscénité, elle s'en approche parfois. J'ai été très gênée de lire un pseudo échange de lettres entre les deux soeurs, Anne et Claire, qui mettent sous le nez du lecteur leurs difficultés à être soeurs et rivales en littérature. La description du ménage à trois entre la grand-mère et ses deux maris m'est aussi resté en travers de la gorge.
Ah, me direz-vous, qu'est-ce que c'est que cette pudeur de sainte-Nitouche qui s'offusque de détails un peu trop intimes mais qui a lu sans sourciller la mise à mort d'une famille à Auschwitz? Je répondrai d'abord que j'ai évidemment sourcillé et même un peu plus mais surtout que l'holocauste appartient à l'universel et à ce titre m'interroge sur ce que j'aurais fait, tandis que les problèmes familiaux des soeurs Berest ne concernent qu'elles.
J'admets qu'il est difficile, avec une famille follement romanesque comme la leur, de ne pas se vautrer dans la confidence à fort potentiel fictionnel. Mais ce n'est pas la même chose de parler de soi comme d'une petite-fille de survivants ou comme d'une petite-fille d'amants irréguliers. Et, à la fin du livre, la question des amours libres de Mamie prend toute la place, comme si la mort du reste de la famille obligeait à trouver une nouvelle inspiration pour de nouveaux rebondissements. Gênant.
J'ai le sentiment d'être excessive dans mon jugement. Mais Anne Berest a le tort d'écrire après la sublime chronique de Mendelsohn : « Les Disparus » et ce livre, lui, est un chef-d'oeuvre.
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La carte postale, nouveau roman d'Anne Berest, a bouleversé mon été (et je l'espère, bouleversera la rentrée littéraire !) tant sa narration m'a happée dans le récit dramatique d'une famille. Autour des quatre prénoms Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques, Anne Berest reconstitue l'histoire errante de sa famille maternelle décimée lors de la seconde guerre mondiale En procédant comme une enquête généalogique, elle redonne à ses parents leurs identités et s'inscrit dans une filiation retrouvée.
Au moment où elle se prépare à accoucher, Anne Berest se rappelle la carte postale énigmatique reçue en janvier 2003 mais dont la photographie date d'au moins dix ans. A l'époque, la famille s'est interrogée sur son expéditeur puis ne trouvant pas de réponse, la carte fut oubliée dans un coin. Mais, avant de reprendre l'enquête sur la carte, Léila, sa mère, décide de raconter l'enquête généalogique qu'elle a menée pour tenter de redonner un passé à sa famille.
Car ces prénoms sont ceux de ses grand-parents et de ses jeunes grand-oncle et grande-tante disparus en déportation. Ainsi, c'est l'histoire d'un antisémitisme européen qui nous est relaté poussant une famille russe de 1919 à s'exiler à travers le monde. Après une période en Israël, Ephraïm et Emma choisissent la France pour apporter une terre à leur famille. Seulement, les mesures antisémites et les lois scélérates de Vichy auront raison de ces juifs étrangers qui furent pourchassés et subiront, les premiers l'épuration ethnique que la population française a à la fois encouragé mais aussi, avec les justes, protégé.
Seule survivante, Myriam, grand-mère d'Anne Berest, a tout fait pour essayer d'oublier, quitte à ne plus pouvoir rien en dire, de ce passé trop lourd à partager. Alors, elle s'est interdit de raconter provoquant la colère de sa fille. Celle-ci s'est heurtée à ce mutisme ne pouvant se construire sans recoller les morceaux d'une vie fracassée. Ce qu'elle a fait et qu'elle transmet à sa propre fille au moment où elle va être mère.
Seulement, là où la mère ne peut aller plus loin, Anne Berest reprend le fil de sa filiation en s'interrogeant sur cette carte, son expéditeur, la situation de son envoi et l'intention de cet anonyme qui marque à jamais la mémoire de ces aïeuls effacés de l'Histoire. A partir de cette recherche, c'est aussi l'histoire de la judéité en Europe mais aussi le sillon que creuse encore aujourd'hui un antisémitisme toujours actif.
La carte postale est le récit nécessaire d'un passé qui ne doit s'oublier ! Mais, au lieu d'une simplification trop réductrice que l'émotion convoque souvent, la fiction ici explique le contexte, la situation, la lente maturation d'une idéologie des meurtres de masse pour supprimer de façon subjective une partie de la population. Elle pointe aussi la responsabilité d'un État français qui est devenu plus diligent que les demandeurs nazis en organisant rafles et camps pour servir à l'ennemi sa rétribution mortuaire !
Mais, Anne Berest transforme le statut de victime, tant à l'oeuvre dans notre société contemporaine, en acceptation où ceux qui sont morts sont présents à jamais dans le quotidien de ceux qui ne pourront les oublier. Car, Anne Berest démontre la présence de nos morts, leur permanence à vivre à partir du moment où leurs mémoires, leurs combats, leurs souffrances ont été captés au mieux par leur descendance, au pire par d'autres. Aucun mort ne doit être oublié, sinon c'est pire que de perdre la vie, c'est perdre une certaine partie de son identité d'humain !
Incapable de prévoir le parcours de ce roman écrit avec justesse et intelligence mais surtout sans pathos. Ici, Anne Berest raconte comment un mot qui représente une religion pas pratiquée, pas honorée, va bouleverser cinq générations jusqu'à ôter la vie à certains ! Car le révolutionnaire Ephraïm qui avait effacé de sa vie l'asservissement à son dogme religieux d'origine sera quand-même rattrapé comme le dira son arrière-arrière petite fille, car ici, on n'aime pas beaucoup les juifs !
Chronique avec photos ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2021/08/18/anne-berest/
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Tout a déjà été écrit à propos de ce roman. Alors je ne vais pas être longue. Juste quelques mots pour dire combien ce livre m'a bouleversée. En effet, cette histoire je l'ai dévorée. Cette année pourtant de nombreux livres ont été édités sur toile de fond cette seconde guerre mondiale, j'ai beaucoup appris avec chacune des plumes, de ces récits différents tant par leur forme que leur contenu.... Ici, un point crucial dans ce qui a touché tout mon être, c'est la fin de la guerre. Oui, nous sommes loin de ces images de soldats Américains ovationnés par les Français, ces défilés en musique....vus dans tant de films..... Non, Anne Berest nous raconte l'arrivée de ces déportés......et là, nous mesurons d'aussi loin que nous sommes aujourd'hui, l'horreur..................
Ce roman est un hommage magnifique à la famille de l'auteure et à tous ceux qui ont vécu cette terrible guerre....N'oublions jamais que nous sommes la continuation de qui a été et les témoins de demain.
Un coup de coeur !
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Paris-Normandie, 22 Mai 2019 : "Une plaque en hommage à trois anciens élèves du lycée Aristide-Briand, déportés en 1942 et morts à Auschwitz, a été dévoilée dans le hall de l'établissement ébroïcien. Ils s'appelaient Lucien Melich, Noémie et Jacques Rabinovitch. Ils avaient respectivement 14 ans, 19 ans et 16 ans quand ils ont été arrêtés et déportés, en 1942, vers le camp de concentration d'Auschwitz où ils ont trouvé la mort."

Cela aurait pu commencer avec ça. Mais, il n'en fut rien. L'élément déclencheur de cette quête est en couverture du livre : une carte postale de l'Opéra Garnier reçue en janvier 2003. Au dos, quatre prénoms : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques et un destinataire : M.BOUVERIS.

Merci au Jury du Goncourt d'avoir recadré une de ses membres, sans cela, je ne l'aurais peut-être jamais ouvert ce livre. Ou pas si tôt. Comme quoi, les prix, ça a du bon... Trêve de plaisanterie. Ce livre est une, si ce n'est ma meilleure lecture de 2021. Ce n'est pas qu'un énième livre sur la Shoah. Et si, c'est la seule chose qui vous intéresse, lisez plutôt Si c'est un homme de Primo Levi.
Non.
C'est un livre sur la transmission, sur ces bouches closes, sur la mémoire, sur ces maux dits et impossible à entendre, sur ce que c'est que de devoir vivre avec une étiquette que nous colle la société et dont on ne connaît rien. Ou presque. Juive pour les uns, Illégitime à la table du dîner de Pessah pour les autres, Perdue au milieu de tout cela pour soi...

"Je cherche dans les livres d'Histoire celle qu'on ne m'a pas racontée. Je veux lire, encore et toujours. Ma soif de connaissance n'est jamais étanchée. Je me sens parfois une étrangère. Je vois des obstacles là où d'autres n'en voient pas. Je n'arrive pas à faire coïncider l'idée de ma famille avec cette référence mythologique qu'est le génocide. Et cette difficulté me constitue tout entière. Cette chose me définit. Pendant presque quarante ans, j'ai cherché à tracer un dessin qui puisse me ressembler, sans y parvenir. Mais aujourd'hui je peux relier tous les points entre eux, pour voir apparaître, parmi la constellation des fragments éparpillés sur la page, une silhouette dans laquelle je me reconnais enfin : je suis fille et petite fille de survivants".

Avant d'en arriver là, vous avez 500 pages. Mais, croyez-moi, vous ne les verrez pas défiler...
Lien : http://page39.eklablog.com/l..
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Je pense qu'il n'y aura jamais assez de témoignages sur le plus grand génocide européen que fût la Shoah.

La langue écrite, aussi imparfaite soit-elle pour rendre palpables ces drames humains, reste quand même l'arme (larme)  par excellence.

Certains diront que cela suffit...que personne ne peut remplacer Primo Levi, qu'il faut passer à autre chose, que tout a déjà été écrit...
J'ai entendu ce type de propos affligeants jusque dans ma propre famille, lorsque j'étais enfant. Dans la bouche de parents, pourtant des gens
" bien ".

Ainsi donc, ce que décrit Anne Berest, les réactions de quelques français moyens face au vécu des juifs après les déportations, sur leur place aujourd'hui dans notre société, ces propos rapportés dans la seconde partie de LA CARTE POSTALE ... je les ai  reconnus, ces commentaires issus du " syndrome de la victime coupable ".

Alors oui, la carte postale est un livre de plus sur l'extermination des juifs européens, réfugiés en France, se pensant protégés par les valeurs de la République française issues de la Révolution.

Oui, on a déjà maintes fois entendu le déroulé des événements dramatiques qui anéantiront, dans la pire des violences, des êtres humains sans défense et des familles entières, laissant les survivants hagards et révoltés.

Oui, le roman biographique d'Anne Berest n'est pas de la meilleure plume qui soit, certaines répétitions sont insupportables (l'addiction tabagique de la mère) et autres passages franchement lourds (le choix du prénom d'un bébé en hommage aux disparus), etc...

MAIS si je prends le temps de rédiger un avis, malgré les 599  précédemment publiés, alors que je suis sur l'île de Skye réfugiée climatique en roue libre pour quelques semaines, c'est qu'il me semble que son texte le vaut vraiment. Pour le fond, plus que la forme.

D'abord, il m'a scotchée, et ce ressenti fait toujours un bien fou à la lectrice addictive que je suis. Ne plus pouvoir lâcher sa liseuse (voyage oblige) avec la volonté (puérile) farouche de trouver avant l'auteure (!) le mystérieux expéditeur de la carte postale... C'est incroyable.

Deuxièmement, j'ai été profondément émue, parce que je leur ai tous donnés la main, aux disparus, aux descendants de la survivante, aux
" palestiniens d'origine russe sans nationalité " (ainsi nommés par l'état français en 39), aux juifs actuels de France et d'ailleurs qui voient les actes innommables revenir, aux juifs croyants et non-croyants, aux juifs pratiquants, laïcs, communistes ... à tous, ces descendants d'Abraham pourchassés depuis plus de 2000 ans.

- Que signifie être juif aujourd'hui ? se demande l'auteure à chaque page.
Le style d'Anne Berest est alors suffisamment fluide, franc, efficace pour atteindre son but, sans nous noyer sous des simagrées stylistiques qui n'auraient pas eu leur place dans de telles circonstances.

Parce qu'elle se fait aussi souvent plus biographe qu'écrivaine, ce livre m'a emportée vers un ailleurs, pourtant bien réel et terrifiant. Moins loin de nous qu'il n'y paraît. Il a été récompensé par des prix littéraires, et c'est mérité.

Sous les mots pudiques, qui s'en tiennent souvent aux faits, j'ai "touché" un nombre important de personnages. Des réfugiés plein d'espoir, des justes, des réfractaires au STO, des enfants de bourgeois mi bohèmes mi artistes, des instituteurs, des veuves de guerre... ceux qui participeront à l'armée de l'ombre.

Un dernier argument en faveur de ce travail de reconstitution historique parfaitement mené ; force est de reconnaitre que ce texte nous instruit encore et encore, en mêlant petite et grande histoires. Les décrets, les ordonnances, les lois... presque au jour le jour, Anne Berest éclaire ses lecteurs sur l'insupportable machine de destruction gouvernementale que fut le gouvernement de Vichy et ses fonctionnaires.
Le travail formidable de reconstitution de la mère d'A.B. trouve aussi là son apogée.

Pour Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques et tous les autres qui ne trouveront jamais de repos et qu'on assassinera sans relâche pour le simple fait qu'il fallait punir un peuple. Pour les zones d'indifférence voire de rejet qui perdurent chez nous, ce livre se devait d'être écrit. Et je suis fière de l'avoir lu.
Lien : http://justelire.fr/la-carte..
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Emma
Ephraim
Noémie
Jacques
Quatre noms écrits sur une carte postale envoyée de manière anonyme à la mère de l'autrice en janvier 2003. Elle représente l'opéra Garnier. Qui sont ces personnes? Les grands parents, la tante et l'oncle de la mère de l'autrice Anne Berest. 4 personnes décédées pendant la seconde guerre mondiale dans un camp de concentration à Auschwith en 1942. Seule Myriam échappera à la déportation. Unique survivante, Myriam ne s'est pas confiée sur sa famille disparue. 20 ans après avoir recue cette carte, Anne Berest décide de trouver qui a pu envoyer cette carte et pourquoi. On découvre le parcours de la famille Rabinovitch qui a fui la Russie, a vécu un temps en Lettonie et en Palestine et a fini par s'installer à Paris. le papa Ephraim tentait d'obtenir la nationalité française. Il était confiant en l'état français. Puis survint cette abomination de Shoah.
Ce roman met aussi en lumière comment il était difficile pour les juifs de quitter la France. Les frontières qui se ferment. le défaut d'informations. les dénonciations. Ces parents qui ne partent pas car ils espèrent le retour de leurs enfants. Tellement tragique.
Se pose aussi la question de l'après guerre. Que deviennent les biens des personnes déportées? Leurs brevets? J'ai trouvé hallucinant que les descendants n'arrivent même pas à récupérer les photos de famille.
Se pose la question de qu'est ce qu'être juif aujourd'hui? Est on un vrai juif si on ne pratique pas?
La haine des juifs est elle vraiment passée? J'ai été glacée quand la fille de l'autrice lui dit qu'à l'école "on n'aime pas trop les juifs".
Un roman à découvrir pour ne pas oublier toutes ces personnes assassinées dans les camps ni les personnes qui ont tenté de résister.
Une lecture poignante.

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